Le paradoxe explosif
de la «menace de génocide»
L’argument de Kigali pour appuyer le M23 contrer la menace d’un nouveau génocide ne résiste guère à l’examen des faits. Pire: l’essor du M23 accroît les risques de violences à l’encontre des Tutsi de RDC.

Le Rwanda est habité par une peur existentielle», constate dans un entretien au Monde l’historien belge David Van Reybrouck, auteur du livre Congo. Une histoire (2012). Cette peur est celle d’un nouveau génocide. Et la prendre en compte est indispensable à l’analyse de la politique étrangère de Kigali, tout comme pour comprendre la politique israélienne, il faut intégrer le poids de la Shoah Tel-Aviv et Kigali nourrissent d’ailleurs d’excellentes relations. Les atrocités perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023 filmées avec la volonté d’horrifier l’opinion publique ont ravivé chez de nombreux Israéliens le traumatisme des pogroms et de l’Holocauste subis par leurs aïeuls en Europe. D’où l’incompréhension, entre Israël et une grande partie du monde, face à la démesure des représailles exercées par Tsahal sur la bande de Gaza.
Paul Kagame obéit à la même logique: toute son existence apparaît comme une lutte contre le Hutu power raciste. Enfant de parents tutsi réfugiés en Ouganda pour échapper aux massacres ethniques déclenchés dès l’indépendance du Rwanda, chef du Front patriotique rwandais (FPR), qui en juillet 1994 chassait le régime génocidaire et mettait un terme à cent jours de tueries de masse, le maître de Kigali est un véritable moine-soldat, obnubilé par la résurrection économique et la sécurisation de son pays.
Il est déterminé à en finir, par tous les moyens, avec la menace que constituerait, pour les Tutsi rwandais et congolais, la présence en RDC de nostalgiques de l’extermination. Convaincu de son rôle historique, le président rwandais entend grignoter une «zone tampon» sur le sol congolais, au détriment de la souveraineté de son voisin et au mépris du principe d’intangibilité des frontières du continent défendu par l’Union africaine.
En appuyant ainsi le M23, Kigali risque de faire assimiler les Banyamulenge, Tutsi congolais, à des «complices» des rebelles, à les rendre «suspects» pour les ennemis du M23, voire aux yeux des simples civils congolais. C’est le paradoxe du concept rwandais de défense proactive contre toute menace de résurgence du génocide: dans quelle mesure ce discours ne constitue-t- il pas une «prophétie autoréalisatrice», où la haine ethnique anti-Tutsi en RDC s’alimenterait du soutien rwandais au M23, dont l’objectif déclaré est la protection des Tutsi? «La manipulation du discours de génocide par le M23 et les autorités rwandaises a considérablement accru le risque d’attaques contre des civils», alertent les experts onusiens dans un rapport publié en juin 2023. Les Forces de libération du Rwanda (FDLR), une milice créée par des génocidaires hutu, commettent effectivement des exactions envers les Tutsi congolais. Mais c’est également le cas des groupes d’autodéfense locaux (Maï-Maï, Nyatura…). Les autorités congolaises appellent régulièrement les Congolais à dissocier les civils tutsi des «terroristes du M23» et insistent sur la présence, au sein des FARDC, d’officiers supérieurs tutsi (le lieutenant-général Obed Rwibasira, le général Innocent Kabundi, etc.). Enfin, le péril représenté par les FDLR paraît grossièrement exagéré par Kigali: «Le M23 et l’armée rwandaise viennent de défaire le bricolage sécuritaire de Tshisekedi, qui comprenait l’armée congolaise, les Wazalendo, un contingent sud-africain, une partie de l’armée burundaise, ainsi que des mercenaires français et roumains, énumère Thierry Vircoulon. Ce qui représente au total des dizaines de milliers d’hommes équipés d’artillerie et de drones. En comparaison, les FDLR sont estimées entre 1000 et 2000 hommes, munis uniquement d’armes légères. La victoire du M23 et de l’armée rwandaise démontre que l’argument présentant les FDLR comme une “menace existentielle” est fallacieux», conclut-il.