Leïla Smati, le visage sport d'Al-Jazira

Avec un budget annuel de cent vingt millions de dollars et quarante millions de téléspectateurs dans le monde, Al-Jazira compte quatre chaînes sportives, bientôt huit… Leïla Smati a à peine 18 ans quand elle devient la première femme arabe commentatrice de sport. Elle débute à la télévision algérienne. « J’étais une princesse. C’est mon pays qui m’a préparée à devenir la journaliste que je suis aujourd’hui. »
Quelques mois avant la naissance d’Al-Jazira, en 1996, sous l’impulsion du cheikh Hamad bin Khalifa Al Thani, émir du Qatar, ses fondateurs, lui offrent un pont d’or et la possibilité d’étancher sa soif de réussite. « Un salaire au Qatar n’a rien à voir avec un salaire en Algérie. À Al-Jazira, on gagne de 3 500 $ à 15 000 $ par mois. » Elle doit donc s’installer à Doha, où se trouve le QG de la chaîne. Un défi qu’elle relève. Bien qu’elle affirme être « très attachée à l’Algérie, à [sa] terre ». Il faut dire qu’elle ne manque pas d’énergie et ne s’encombre pas d’états d’âme. « Ça fait douze ans que je suis au Qatar. Je ne m’y sens pas étrangère. »
Le sport ? Elle est quasiment née dedans. « À 5 ans, j’ai commencé à faire de la natation. C’est mon propre père qui me mettait en maillot de bain ! J’ai eu une éducation très libre. »
Aujourd’hui, Leïla Smati est à la tête d’une équipe de quinze reporteurs à Al Jazeera Sport Channel. Un front barré d’une frange, de longs sourcils dessinés au crayon et des ongles vernis, couleur de nacre, elle porte une bague où deux cercles sertis de diamants s’enchevêtrent. Comme un clin d’œil au sigle des jeux Olympiques. Elle se dit femme avant tout, et assure avoir dû commencer par prouver qu’elle n’était pas venue s’installer au Qatar pour chercher un mari, mais pour travailler. « Ici, j’ai eu la sensation de recommencer ma carrière... Mais j’ai opté pour mon métier, et je tiens beaucoup à ma liberté. »
En 2003, grâce à sa notoriété, le département du sport féminin du Qatar a été agréé par le Comité olympique national. « On œuvre pour les femmes ici. L’islam nous incite à faire du sport : le Prophète pratiquait lui-même l’équitation. »
Tout le monde connaît Leïla Smati au Maghreb et au Moyen-Orient. Ambitieuse et généreuse, à 35 ans, elle mène sa carrière comme sa vie, à cent à l’heure. Sa passion ? Faire avancer les droits des femmes dans une société wahhabite. Leïla jongle perpétuellement entre féminin et masculin. Elle est sur tous les fronts. A-t-elle un modèle ? « Ma mère, qui m’a appris qu’il fallait constamment lutter dans la vie. Et Saâl Bouzid, martyr algérien pendant la colonisation. »
On la dit cool et stressée, sympathique et exigeante. Sa vie, c’est Al-Jazira, sa mère, son frère, sa sœur, les reportages, « là où les femmes ne sont pas admises ».
Son meilleur souvenir de journaliste ? Un documentaire sur la sportive iranienne entre tradition et modernité. Pour lequel elle obtient, en 2001, le Reuters Special Awards, pour le meilleur programme sportif au Moyen-Orient. Les journalistes défilent dans son bureau, son téléphone n’arrête pas de sonner. D’apparence calme, Leïla gère. Et mine de rien, elle court toujours, dribble entre enregistrements, voyages, questions à résoudre, sujets à traiter, coups de fils à donner. Pas une minute à perdre. Elle déjeune à 16 heures, « c’est ça, le métier ! », fait quatre choses en même temps… « C’est dur d’arriver au top. Encore plus dur d’y rester. Ici, une femme doit travailler trois fois plus qu’un homme. »
Par Catherine Faye