Les 10 piliers de l’émergence
L’ambition nationale et la réponse aux enjeux du futur s’articulent autour d’une stratégie de développement et de bases solides : paix, sécurité, investissements, diversification, diplomatie…
1. Une nation en paix
C’est la clé de voûte du projet djiboutien, le centre de l’architecture. La paix intérieure, la cohésion nationale, étape indispensable au développement économique et à l’émergence. Le 27 juin 1977, Djibouti devenait un pays indépendant, héritant des divisions issues de l’ère coloniale. Il fallait d’abord recréer les conditions de l’unité. Le conflit est latent, sur fond d’opposition ethnique entre les grandes communautés afars et issas. Au tournant des années 1990, la guerre civile oppose le Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (FRUD) au régime du président Hassan Gouled Aptidon.
La signature de l’accord entre le gouvernement et le FRUD en décembre 1994 marque une première étape. L’arrivée d’Ismaïl Omar Guelleh (IOG) à la présidence de la République en 1999 permet d’entrer réellement dans le cycle de la réconciliation. Les négociations aboutissent par la signature des accords de paix le 12 mai 2001. Ce concept de la paix « d’abord », la mise en place d’un accord de gouvernement durable, d’une politique de gouvernance participative, permet de mobiliser Djibouti sur les sujets nationaux de développement socioéconomique. Et de lancer la « Vision 2035 » et la stratégie de « hub » commercial qui vont porter le pays.
Les réformes successives permettent la structuration de la vie politique. La mise en place du multipartisme intégral en 2002 et la réforme du mode de scrutin des élections législatives et locales pour y intégrer une dose de proportionnelle en 2011 vont dans ce sens. Réélu lors de la présidentielle du 9 avril 2021, IOG compte poursuivre le programme de développement du pays mis en œuvre au cours des deux dernières décennies.
Cette cohésion nationale, ce sentiment d’appartenance commune à la nation, est d’autant plus précieuse que les enjeux du futur sont particulièrement exigeants : sécurité et stabilité régionale, modernisation économique, promotion des initiatives privées, emplois, inclusivité sociale, jeunesse, consolidation de l’état de droit et de la justice .
2. Un pôle de stabilité et de sécurité
Positionné au cœur d’une corne de l’Afrique qui n’a rarement été aussi instable au XXIe siècle qu’actuellement, Djibouti affirme son statut de pôle de stabilité et de sécurité. L’histoire mouvementée de cette région d’Afrique de l’Est, en proie à différents conflits millénaires et séculaires, ne s’inscrit pourtant pas en ce sens. Les spasmes régionaux dont sont victimes les deux grands voisins djiboutiens, l’Éthiopie et la Somalie, témoignent de cette permanente redondance du conflit. Si le pays se doit de s’assurer une stabilité sans faille, c’est notamment parce qu’il est un carrefour à la croisée des principales routes maritimes mondiales. Gardien du détroit de Bab el-Mandeb, Djibouti maintient l’équilibre entre les puissances régionales et assume ses obligations en matière de sécurité collective. Quatrième passage maritime le plus important au niveau mondial en matière d’approvisionnement énergétique, le détroit est une étape indispensable pour les cargos souhaitant rejoindre d’autres continents.
Dans cette optique de sécurisation, le pays a mis en place une surveillance renforcée qui a permis d’accroître la confiance des puissances étrangères accueillies sur son territoire. En 2017, la Chine y a inauguré sa première et unique base militaire permanente hors de ses frontières. À quelques pas de la base américaine, la France stationne plus de 1 450 soldats au sein de sa plus grande base militaire à l’étranger. Et les présences des bases japonaises et italiennes ainsi que de contingents étrangers sur le territoire sont autant d’arguments qui confirment l’importance du pays en matière de géopolitique. Ces bases étrangères permettent également à Djibouti de s’assurer du soutien militaire, politique et économique des grandes puissances de la région. Initiée par la France et mise en œuvre par l’Union européenne (UE) à partir de 2008, l’opération Atalante illustre la dimension prise par Djibouti, qui y prend part tout en servant de point d’appui logistique. Cette mission militaire, prolongée en décembre dernier jusqu’à fin 2022, a pour but de lutter contre l’insécurité causée par la piraterie dans le golfe d’Aden et dans l’océan Indien. Plus de 30 pays y contribuent via le déploiement de personnel ou de matériel.
Sur le plan de l’appui humanitaire, Djibouti apparaît comme un maillon indispensable dans la région. En décembre 2020, la Banque mondiale a approuvé un financement additionnel de 30 millions de dollars afin d’aider les réfugiés et demandeurs d’asile se trouvant sur son territoire. Le pays accueille ainsi plus de 30 000 déplacés, dont une grande partie a fui la guerre au Yémen – près de 20 000 Yéménites sont arrivés à Djibouti entre 2015 et 2017 selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés. D’autres ont fui les conflits en Somalie, en Érythrée et, de manière croissante, en Éthiopie. Par ailleurs, l’engagement pris par IOG avant son arrivée à la tête du pays (« Nourrir, soigner et éduquer ») ne s’adressait pas uniquement à ses compatriotes. Pour preuve, 20 % des consultations médicales de Djiboutiville concernent des réfugiés et des migrants. Et les mineurs sont pris en charge par les établissements scolaires et bénéficient de kits de fournitures et de repas quotidien – un traitement équivalent à ceux des enfants du pays. Il n’a donc pas été surprenant de voir l’agence onusienne du Programme alimentaire mondial (PAM) faire confiance à Djibouti pour y installer sa base logistique pour le continent.
3. Un hub portuaire et commercial qui s’ouvre sur le monde
L ’un des atouts majeurs de Djibouti réside dans sa position géostratégique, au carrefour de trois continents. La voie maritime reliant le détroit de Bab el-Mandeb au canal de Suez est l’une des plus fréquentées de la planète, comptabilisant le passage de près de 30 000 navires par an. Dès lors, le pays s’est naturellement imposé comme un incontournable hub portuaire, commercial et logistique. À la fin du XIXe siècle, les Français, souhaitant rattraper leur retard sur les autres puissances coloniales présentes dans la région, décident d’y construire un port en eau profonde. Au milieu des années 1960, le port de Djibouti devient « le troisième de France », derrière Le Havre et Marseille. Après l’indépendance, le pays voit sa position géostratégique confortée en devenant, de facto, l’unique débouché maritime pour son voisin et allié éthiopien : à la suite d’un long conflit achevé en 1991, la séparation de l’Érythrée et de l’Éthiopie fait ainsi perdre l’accès à la mer à cette dernière en 1993. Le président IOG mesure les conséquences de ces bouleversements stratégiques et l’opportunité de développement que cela offre au pays.
À l’aube du XXIe siècle, les équipements du port apparaissent vétustes, datant de l’époque coloniale. Le retard de Djibouti sur les ports concurrents de Salalah (Oman), Aden (Yémen), Djeddah (Arabie saoudite) et Jebel Ali (Émirats arabes unis) est alors considérable. IOG entame un projet de développement qui vise à augmenter l’offre portuaire via la réalisation d’un complexe comprenant plusieurs terminaux. Les travaux du terminal pétrolier Horizon démarrent en mars 2004 et sont achevés en 2006. Deux ans plus tard, le terminal à conteneurs de Doraleh (DCT), d’une capacité de traitement de 1,2 million d’EVP (unités de conteneurs équivalentes à vingt pieds), est à son tour opérationnel. L’infrastructure s’avère très rentable puisque son coût de réalisation (397 millions de dollars) est remboursé en huit ans. Trois nouveaux terminaux sont inaugurés par IOG en 2017. Le premier est le port polyvalent de Doraleh (DMP), qui regroupe des installations ultramodernes et offre des capacités de stockage importantes. Les deux autres sont des terminaux minéraliers : le port autonome de Ghoubet, dédié à l’exportation du sel (une réserve quasi inépuisable du lac Assal), et le port de Tadjourah, qui fait notamment le lien avec le voisin éthiopien. Depuis 2017, pour assurer les dessertes vers Addis-Abeba, les installations portuaires sont prolongées d’une voie ferrée reliant les deux capitales.
En deux décennies, les investissements ont permis au port de Djibouti de rattraper son retard et de bénéficier d’une avance substantielle sur les concurrents de la sous-région. En 2020, il a ainsi été reconnu premier port à conteneurs en Afrique par la Banque mondiale. Le pays souhaite continuer d’étoffer son offre. C’était déjà le cas en 2015, lorsqu’il a décidé d’investir dans l’activité d’avitaillement des navires à travers la création de Red Sea Bunkering. Et c’est encore le cas pour le réaménagement du port historique : la première phase (2020-2023) mobilise 200 millions de dollars pour le chantier de réparation navale. Il disposera d’une cale sèche pouvant soulever et maintenir hors de l’eau des navires gros porteurs, une activité unique dans la région. Cette diversification doit confirmer le statut de Djibouti, considéré comme une plateforme portuaire, logistique et de service, ouverte sur l’Asie, l’Europe et l’Afrique.
4. Une volonté industrielle
Dans le cadre de la Vision 2035, le développement d’infrastructures ambitieuses et l’amélioration de la productivité sont considérés comme des priorités par le président Guelleh. Pour accompagner ces évolutions, le chef d’État refuse de cantonner le pays à un point de transit de marchandises et souhaite développer un tissu industriel national solide. Cette ambition s’inscrit dans une volonté claire de faire de Djibouti la Singapour de l’Afrique : un pays à la superficie modeste et aux ressources naturelles limitées, mais qui émerge du fait de sa stabilité, de ses performances économiques et de son poids dans le commerce maritime mondial. Pour ce faire, IOG s’attache à la mise en œuvre de deux projets majeurs : le Djibouti Damerjog Industrial Development (DDID) et le réaménagement du port historique.
Le 3 septembre 2020 a sonné le lancement de la première phase de développement du parc industriel de Damerjog, dont le coût atteindra les 3,8 milliards de dollars. Réalisé sur une période de quinze ans (2020-2035), en trois phases de cinq ans, le parc sera conçu sur un espace de 30 km2 dont les deux tiers sont gagnés sur la mer. La construction d’une première raffinerie et de la jetée du terminal pétrolier, confiée au groupe marocain Somagec, sera suivie d’une seconde raffinerie, qui augmentera la capacité de production de 2,6 millions de tonnes à 13 millions de tonnes, soit un passage de 8 000 à 40 000 barils par jour. Dépourvu de ressources en hydrocarbures, Djibouti souhaite se donner les moyens d’entrer dans le club fermé des pays africains dotés d’une industrie pétrochimique. La troisième phase verra naître les premières unités d’industries lourdes, avec un site de métallurgie, une cimenterie, un chantier naval et une usine de dessalement d’eau de mer.
Si la vocation industrielle de Damerjog est empreinte d’une dimension locale, la transformation du port historique en quartier d’affaires témoigne d’une ambition internationale. Le projet de 3 milliards de dollars prévoyait, outre le chantier de réparation navale livré en 2023, la construction de bureaux, d’un hôtel haut de gamme, d’une marina et d’un palais des Congrès. Cet espace est conçu selon les standards internationaux et consacré à l’innovation et à la fintech. Il devrait notamment permettre l’installation de bureaux régionaux de prestigieux cabinets de conseil (KPMG, Deloitte, EY) et de grands groupes économiques (DHL, Cosco). Ce business district ciblera aussi les leaders du e-commerce (Alibaba, Amazon ou JD.com). L’objectif sous-jacent est la création de plus de 200 000 emplois, afin de ramener le taux de chômage à 10 % de la population active contre 45 % en 2019.
Enfin, consolidant son argumentaire à l’adresse des investisseurs, le pays a mis en place la future plus grande zone franche d’Afrique. Lancée en mars 2016, la Djibouti International Free Trade Zone (DIFTZ) devrait rassembler un investissement de 3,5 milliards de dollars. Déjà opérationnelle, la phase pilote est composée d’un site comprenant quatre pôles industriels spécialisés dans le commerce, la logistique, l’industrie et les services aux entreprises. Le complexe devrait générer 7 milliards de dollars d’échanges commerciaux d’ici l’an prochain. Comme un symbole de l’ambition industrielle et commerciale djiboutienne, la DIFTZ est considérée comme le premier jalon de la Zleca .
5. Un potentiel énergétique durable
Entre 1999 et 2019, la production d’électricité a triplé, passant de 192 à 605 mégawatts (MW). L’augmentation du nombre d’abonnés à Électricité de Djibouti indique une nette avancée dans le programme d’accès au plus grand nombre à l’énergie. Aujourd’hui, 60 % des ménages sont concernés, et le pays souhaite atteindre l’objectif des 90 % à l’horizon 2024. De la même manière, et parallèlement, l’accès à l’eau s’est considérablement amélioré, grâce à une hausse de la production (de 15,4 m3 à 21,1 m3 ) et à une baisse sensible des pertes sur le réseau (de 42,3 % à 26 %). Les villes de l’intérieur disposent désormais de leur réseau courant, et les villages sont mieux desservis par le système de citernes et de fontaines publiques. De plus, de nombreuses infrastructures contribuant à offrir un accès à l’eau ont été mises en service ou réhabilitées : 80 forages, station d’épuration de Douda, réhabilitation de 600 kilomètres de canalisations…
La densité du développement djiboutien s’accompagne forcément de nouveaux besoins énergétiques. Le DDID permettra au pays de produire ses propres besoins en carburant et de devenir un acteur majeur du secteur gazier. Néanmoins, plus de 1 000 MW seront nécessaires au lancement des grands projets d’infrastructures nationaux : parc industriel de Damerjog, zone franche et business district. L’offre actuelle en électricité paraît donc insuffisante pour couvrir les besoins d’un pays devenu énergivore. Pour y répondre, l’ambition du président est de renforcer l’indépendance énergétique, tout en consolidant la part des énergies vertes. Ainsi, IOG souhaite couvrir 85 % des besoins énergétiques à travers les énergies renouvelables.
Djibouti bénéficie de trois atouts majeurs dont il souhaite tirer parti pour atteindre cet objectif. D’abord, il peut se tourner vers les richesses de son sous-sol aride à travers la géothermie, dont le potentiel est immense – les études estiment la production à plus de 1 000 MW d’ici 2024. Grâce à un financement de 31 millions de dollars de la Banque mondiale, les premiers forages ont confirmé que son potentiel géothermique était une source inépuisable d’énergie. De plus, Djibouti bénéficie de 3 240 heures (135 jours plein) d’ensoleillement par an et se place parmi les pays les plus ensoleillés du monde. Plusieurs infrastructures permettant de recueillir l’énergie solaire ont ainsi vu le jour au cours des dernières années. Sur une base de partenariat public-privé, le groupe français Engie a entamé la construction de la centrale solaire de Grand Bara, après avoir reçu le feu vert du gouvernement il y a quelques mois. Enfin, Djibouti recourt aussi à l’énergie éolienne. Le projet de parc prévu dans le Ghoubet, dont la capacité sera de 60 MW, est en phase terminale de réalisation.
6. Un développement vert
Djibouti offre un spectacle naturel intense, où les transformations de notre planète sont visibles à l’œil nu. Ceux qui ont eu la chance de s’y rendre peuvent témoigner de cette impression de remonter le temps et de se retrouver aux origines du monde. La nature offre des sites majestueux : la banquise de sel au lac Assal, les cheminées de calcaire au lac Abbé, ou encore la forêt millénaire au plateau du Day. Sa faune marine préservée et ses paysages géologiques étonnants côtoient son riche patrimoine culturel et archéologique. Les gravures rupestres datant du Paléolithique attestent de l’occupation humaine ancienne et de la riche histoire de ce pays. Au large des îles des Sept Frères ou dans le golfe de Tadjourah, les fonds marins des côtes brillent de leurs récifs de corail et de la diversité de leur faune protégée.
Le potentiel touristique est indéniable. Moteur du développement socioéconomique, le secteur du tourisme est l’une des priorités de la Vision 2035 d’Ismaïl Omar Guelleh. Le plan quinquennal 2019-2023 ambitionne d’augmenter le nombre de touristes à 267 000 visiteurs par an, créant ainsi plus de 5 000 emplois et mobilisant plus de 880 millions de dollars d’investissement. L’irruption du Covid19 en 2020 a eu un impact important sur le secteur à Djibouti, et partout dans le monde. Ce qui a donc logiquement ralenti la progression espérée. Conscient des dommages du tourisme de masse, le gouvernement souhaite préserver la richesse environnementale du pays. La promotion du tourisme responsable est une composante de sa politique. C’est aussi ce que soutient Osman Abdi Mohamed, directeur de l’Agence nationale du tourisme, qui plaide pour un développement préservant la durabilité des sites naturels. À Djibouti-ville, de nombreux projets d’aménagement vont dans le sens d’un urbanisme durable. Prévu pour 2023, le futur Océanorium, qui sera situé dans le business district, en est l’illustration. Ce centre de recherche scientifique à l’architecture singulière aura pour vocation de mettre en avant les riches écosystèmes marins de Djibouti, à l’aide d’une cinquantaine d’aquariums. Les besoins énergétiques du bâtiment seront produits en majorité par les capteurs solaires installés sur sa toiture.
Le climat tropical semi-aride dû à sa position géographique et la proximité du pays avec l’équateur impliquent qu’il ne soit pas épargné par le changement climatique. Ces conséquences néfastes se manifestent par une hausse des épisodes de sécheresse et des précipitations imprévisibles provoquant des inondations dévastatrices. Pour s’adapter à ces phénomènes, Djibouti prend des mesures innovantes associant infrastructures « grises », telles que les digues, et infrastructures « vertes », qui se basent sur des systèmes naturels ou semi-naturels ayant des conséquences positives sur l’environnement à long terme. Soutenu par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), le pays a ainsi fait construire une digue de deux kilomètres de long à Tadjourah pour protéger la ville des inondations. Ce projet permettra de soutenir les efforts gouvernementaux pour restaurer les forêts de mangroves sur le littoral, très utiles pour lutter contre la hausse du niveau de la mer. Dans le combat mondial contre le changement climatique, l’initiative djiboutienne fait œuvre d’exemple.
7. Une ambition numérique
Limité à un étroit marché de 400 000 abonnés pour une population de 1 million d’habitants, Djibouti Télécom est pourtant leader numérique dans la Corne de l’Afrique. En matière de technologies de l’information, l’opérateur national devance largement la concurrence régionale, notamment grâce à deux décennies d’investissements qui ont permis au pays de développer un hub régional. À l’international, Djibouti Télécom compte parmi ses clients plus d’une centaine d’opérateurs et de providers tels qu’Orange, Cogent, Vodafone ou MTN Kenya. Djibouti s’appuie aussi sur l’émergence d’entreprises locales pour créer un écosystème numérique. Sur une pente technologique ascendante, le pays ne manque pas d’arguments pour séduire les groupes mondiaux qui cherchent à s’installer en Afrique.
Cette dynamique est nourrie par l’attitude proactive de l’État dans le secteur et par sa position centrale dans les systèmes de télécommunications mondiaux. Le pays a déjà investi plus de 150 millions de dollars dans ses stations d’atterrissage, qui desservent six câbles sous-marins reliant l’Afrique à l’Asie, au Moyen-Orient et à l’Europe. Ces lignes sont indispensables à la transmission des données. Parmi elles, l’Eastern Africa Submarine System (EASSy) permet de connecter plus de 250 millions d’Est-Africains. Djibouti a même lancé une liaison régionale qui a conclu son atterrissement en février 2020 : le Djibouti Afrique Régional Express (DARE1), qui relie les deux principaux points d’accès télécoms de la région, Djibouti et Mombasa (Kenya). L’opérateur a pris en charge 65 des 80 millions de dollars investis dans ce câble de 5 000 kilomètres et détient 80 % du consortium qui l’a réalisé. Pour son directeur général, Mohamed Assoweh Bouh, le pays tend à devenir une passerelle entre les trois continents.
Pour concrétiser son ambition, le pays doit cumuler capacités de transmission, vitesse du débit et contenus. Dès lors, l’opérateur s’est doté du centre de données le plus performant de la Corne de l’Afrique. Ces installations intéressent les grands du numérique et des fournisseurs de CDN (réseau de diffusion de contenu) qui envisagent la réalisation d’un immense data center à Khor Ambado, dans la DIFTZ. Ce projet, dont le mémorandum est en cours de finalisation, deviendra la pierre angulaire du plan Smart Africa, porté avec le président rwandais Paul Kagame. Le gouvernement a aussi annoncé, en juillet, l’ouverture du capital de Djibouti Télécom. La promesse d’une prise de participation « minoritaire mais significative » associée à la conjoncture favorable du pays offrent une perspective attractive sur le long terme. En attendant d’aller plus loin dans le développement de sa stratégie d’expansion internationale, Djibouti bénéficie d’un argument de poids face à la concurrence régionale : les capacités numériques de ses installations.
8. Un cadre financier attractif
Djibouti est un hub à quatre dimensions : logistique, commerciale, numérique et financière. Sa position géostratégique a été mise en valeur à travers des investissements colossaux dans les infrastructures portuaires, routières et ferroviaires. À cela se sont ajoutées plusieurs réformes qui ont permis d’assainir le climat des affaires et de rendre le pays attractif pour les investisseurs. Dès son accession au pouvoir, Ismaïl Omar Guelleh va dans le sens d’une libéralisation de l’économie. Il renforce les prérogatives et les missions de la Banque centrale de Djibouti (BCD) et, en 2011, entreprend une refonte de la législation bancaire pour l’adapter aux contingences modernes du marché. Fait important, la convertibilité du franc Djibouti (DJF) en devises est sans limite, et le taux de change avec le dollar (USD) reste inchangé depuis près d’un demi-siècle (1 USD = 177,721 DJF). Soutenus par une dynamique de croissance sur les deux dernières décennies, la stabilité monétaire et l’entretien du cadre légal ont renforcé la crédibilité du pays.
De la même manière, le secteur bancaire s’est fortement diversifié grâce aux réformes successives. Entre 2000 et 2020, les fonds propres sont passés de 7,8 à 41,7 milliards de DJF. Le secteur a dégagé un résultat net de plus de 1,55 milliard en 2020 – malgré la crise sanitaire –, contre 803 millions en 2000. Le taux de bancarisation a suivi la tendance continentale, triplant entre 2010 et 2020. S’élevant aujourd’hui à plus de 28 %, il reste relativement faible. Cependant, l’attractivité financière de Djibouti ne s’exprime pas uniquement en termes de matière locale. Elle s’apprécie aussi en termes de perspectives d’affaires au-delà des frontières nationales. Le pays a su créer une place financière régionale qui, par exemple, dessert une part importante des capitaux de son voisin somalien. En ce sens, le gouverneur de la BCD, Ahmed Osman [voir interview pages précédentes], a souligné la solidité des institutions financières nationales qui ont l’opportunité d’accéder au vaste marché du COMESA et à celui de la Zlecaf. À Djibouti-ville, la présence de deux des plus importantes institutions chinoises, Exim Bank of China et Silkroad International Bank, témoigne aussi de l’attractivité de ce pays perçu comme sûr et stable.
Avec l’appui de la Banque mondiale, un chantier de modernisation de l’infrastructure financière nationale a été lancé. Il devrait stimuler l’automatisation et la dématérialisation des transactions en promouvant les moyens technologiques modernes. Cette initiative tend également à favoriser l’émergence de nouvelles activités financières, tels que le créditbail ou le très africain mobile banking. Le développement du secteur de la fintech fait aussi partie des priorités de la Vision 2035 du président. Le business district, qui va naître du réaménagement du port historique, en deviendra le pôle principal, utilisant ses hautes capacités numériques pour attirer de grands groupes internationaux .
9. Un investissement déterminé dans l’inclusivité
l y a vingt ans, Djibouti était un port à l’héritage colonial dont les perspectives de développement n’étaient pas assurées. Aujourd’hui, le pays s’impose comme une solide plate-forme. En deux décennies, le PIB du pays a été multiplié par six, le revenu par habitant par cinq. Cet effort national s’est aussi inscrit dans le domaine social, à travers la promotion d’une économie réellement inclusive profitant au plus grand nombre. Cela est particulièrement visible dans le domaine de l’éducation. Djibouti consacre 6,5 % de la richesse nationale par an à ce secteur, ce qui représente le premier poste budgétaire de l’État. Les chiffres illustrent parfaitement l’effort fourni : entre 1999 et 2020, le nombre de collèges et de lycées est respectivement passé de 4 à 69 et de 2 à 35. De la même manière, le taux de scolarisation en primaire atteint désormais 92,2 %. L’augmentation de la scolarisation des filles a ainsi bondi de plus de 90 % en vingt ans.
En 1999, le pays ne comptait aucune université. On dénombre aujourd’hui plus de 10 000 étudiants répartis au sein des 40 filières de formations supérieures, qui incluent l’ingénierie, la médecine, les sciences, les lettres, le droit ou encore l’économie. L’Université de Djibouti s’est dotée d’un centre d’excellence africain pour la logistique et le transport ainsi que d’un observatoire est-africain pour les changements climatiques globaux. Cette initiative est en phase avec la réalité socioéconomique du pays et s’inscrit dans une dimension continentale. Chaque année, l’établissement alimente le marché du travail de 1 613 nouveaux cadres. Sous l’impulsion du président IOG, le budget de l’éducation et de la formation professionnelle n’a cessé de grimper. Il atteint aujourd’hui les 115 millions de dollars et permet de soutenir les élèves du cycle primaire défavorisés avec des fournitures et des livres scolaires, et la distribution de repas quotidiens. Les investissements dans l’éducation et la formation professionnelle ont une composante importante : l’inclusivité.
Dans un contexte global complexe en matière de santé publique, le pays tire son épingle du jeu, grâce notamment au plan national de développement sanitaire (PNDS). Ce programme quinquennal a été institué par IOG depuis 2001. Le PNDS 2020-2024 dispose d’un budget de 348 millions de dollars qui donne les moyens au personnel de santé de pratiquer dans de bonnes conditions et offre également aux Djiboutiens un système de santé à la hauteur des enjeux sanitaires nationaux. Depuis la création de la faculté de médecine en 2007, les effectifs du secteur sont en constante hausse : 1 664 en 2008, contre près de 4 000 en 2019. Les investissements entrepris ont été déterminants dans la lutte contre la pandémie de Covid-19. Sur 13 501 cas déclarés, plus de 98 % ont été soignés. À la fin des années 1930, Djibouti-ville comptait moins de 20 000 habitants. Elle en dénombre aujourd’hui près de 600 000. Le dynamisme des deux dernières décennies a transformé le visage de la capitale, notamment via le développement de l’habitat. Porté par les programmes de logements sociaux et la multiplication des opérations immobilières, le secteur du BTP a enregistré une hausse de 900 % en vingt ans. À travers une approche inclusive, le gouvernement est très actif dans la construction de logements. Ainsi, sur les 6 000 unités de logement construites depuis 1999, 2 500 l’ont été par la Fondation IOG, créée en 2016 par le président djiboutien. Grâce au partenariat public-privé, l’objectif du quinquennat actuel est d’atteindre les 10 000 unités construites.
10. Une diplomatie active
Du fait de sa superficie, de sa population et de la quantité de ses ressources naturelles, Djibouti est considéré comme un petit État. Le président est conscient des implications : il est impératif d’adopter une diplomatie active. Dès son arrivée au pouvoir, IOG marque une rupture avec son prédécesseur, Hassan Gouled Aptidon – qui favorisait la neutralité passive –, et œuvre à la construction du soft power djiboutien. Dès lors, la diplomatie de neutralité agissante est devenue indispensable pour défendre les intérêts stratégiques du pays. Sa présence croissante dans les questions régionales et son implication active dans les médiations entre ses voisins en ont progressivement fait une puissance incontournable dans la région.
Ce nouveau paradigme s’est rapidement illustré en 1999, lorsque IOG intègre le comité chargé de piloter la médiation entre Addis-Abeba et Asmara. Quelques mois plus tard, en Somalie, il pilote les négociations entre les parties en conflit et œuvre à la mise en place d’institutions reconnues. En novembre 1999, il met à profit le sommet de l’Autorité intergouvernementale pour le développement à Djibouti pour réunir le président soudanais et son opposant afin de faciliter la signature d’un accord de règlement de crise. Plus récemment, en janvier 2021, une mission djiboutienne a réussi à calmer les esprits entre la Somalie et le Kenya, en conflit frontalier. Pendant les deux décennies qui suivent l’arrivée au pouvoir d’IOG, le pays soigne son statut d’interlocuteur privilégié sur la scène internationale.
L’un des aspects majeurs de son action diplomatique se caractérise par des partenariats militaires. Les installations successives de cinq bases étrangères sur le territoire ont d’abord confirmé la stabilité et la sûreté de Djibouti aux yeux des grandes puissances internationales. La mise à disposition par IOG de ses forces armées aux opérations de maintien de la paix a permis de rendre plus audible la voix du pays. Parmi les casques bleus de l’ONU et les casques verts de l’Union africaine, on compte ainsi plusieurs centaines de soldats djiboutiens. Depuis 2011, le pays participe activement à la Mission de l’Union africaine en Somalie, assumant une nouvelle fois son rôle de puissance régionale stabilisatrice.
À la dimension militaire s’ajoute l’économique, qui vient appuyer le plan Vision 2035. Djibouti renforce ses liens avec ses principaux bailleurs de fonds et partenaires, tout en s’assurant de l’efficience du suivi bilatéral de l’aide financière. C’est le cas à travers son partenariat avec la Chine. La portée de l’accord entre les deux pays est immense. Pour preuve, les huit plus grands projets d’infrastructures commencés par IOG sont financés par l’Exim Bank of China et China Merchants Group. Avec l’Éthiopie, Djibouti partage une complémentarité économique qui fait œuvre de modèle d’intégration régionale. Le port étant l’unique voie de passage des importations et exportations de son voisin – qui a perdu l’accès à la mer en 1993 –, le pays tire alors parti du volume global de son import, qui devrait tripler entre 2015 et 2025. Considéré comme un intermédiaire honnête sur la scène internationale, Djibouti a doublé le nombre de ses représentations diplomatiques depuis 2006 et en dénombre près de 50. Pourtant, un État de cette taille n’en compte en moyenne que sept. Il est désormais en mesure d’exercer une influence significative.