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Découverte / Niger

Les nouvelles perspectives
de l’uranium

Par Thibaut Cabrera - Publié en avril 2023
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La mine de Tamgak, à Arlit, est exploitée par l’entreprise française Orano.DR/SP/ANDIA.FR - SHUTTERSTOCK
La mine de Tamgak, à Arlit, est exploitée par l’entreprise française Orano.DR/SP/ANDIA.FR

Ressource historique, le précieux minerai a fait l’objet de nombreuses controverses au fil des années. Et redevient un sujet d’actualité.

Souvent associé à l’énergie nucléaire et à l’arme atomique, l’uranium joue en réalité un rôle plus vaste. Ce métal radioactif, présent dans l’écorce terrestre, est exploité pour diverses applications, de la production d’électricité à la médecine ou la recherche scientifique. Le Niger en est l’un des principaux producteurs au monde. Longtemps premier d’Afrique, il est désormais devancé par la Namibie. Depuis la découverte de ce minerai en 1957 dans la région d’Agadez, il est une ressource essentielle au développement et à la croissance du pays. Toutefois, les fluctuations du marché mondial ont entraîné une longue période de creux pour l’industrie.

Bien qu’essentiellement désertique, le territoire est riche en uranium. Jusqu’en 2017, le pays faisait partie du « top 5 » des producteurs mondiaux. En 2021, il en livrait 2 248 tonnes et se plaçait au septième rang derrière le Kazakhstan, la Namibie, le Canada, l’Australie, l’Ouzbékistan et la Russie. L’uranium représentait 60 % des recettes d’exportation en 2010. Son exploitation a ainsi généré des revenus considérables et créé de nombreux emplois. Symbole de l’exploitation du minerai au Niger, la société française Orano, anciennement Areva, est présente sur le territoire depuis plus de cinquante ans. Elle exploite actuellement plusieurs gisements dans le nord-ouest via sa filiale Somaïr, et pourrait, d’ici cinq ans, commencer à utiliser la mine d’Imouraren, qui contient d’importantes réserves. En mars 2021, la mine d’Akouta, exploitée par la filiale Cominak, a cessé sa production après cinq décennies de services. La raison avancée pour expliquer sa fermeture est l’épuisement des réserves. On sait toutefois que la crise qui a frappé le secteur dès 2011 n’est pas étrangère à cette décision.

À la suite de l’accident nucléaire de Fukushima, le 11 mars 2011, le cours de l’uranium s’est effondré. La diminution de la demande a entraîné une baisse de la production et des investissements dans le secteur au Niger. L’effet combiné de l’accident, de la montée du discours antinucléaire en Europe et de l’annonce de l’Allemagne quant à sa volonté d’arrêter le nucléaire a fait passer son cours de 70 à 50 dollars la livre entre 2011 et 2012. Un contexte difficile, qui a perduré pendant près d’une décennie. En 2019, son prix est même descendu à 20 dollars la livre.

UN SECTEUR SECOUÉ

La production du Niger est quasiment divisée par deux : atteignant plus de 4 300 tonnes en 2011, elle ne dépasse pas les 2 300 tonnes en 2020. Une période complexe, qui illustre la difficulté que peut rencontrer un pays misant sur une seule ressource pour son développement. Les questions environnementales et sociales liées à l’industrie minière ont également suscité des préoccupations, qui sont toujours d’actualité. À titre d’exemple, l’exploitation nécessite d’importantes quantités d’eau (près de 8 millions de m3 par an pour seulement 3 000 tonnes d’uranium), dans une région très aride. Les nappes phréatiques situées autour de la mine d’Arlit ont ainsi perdu près de deux tiers de leur volume. Pire, le quotidien des habitants vivant à proximité des mines est aussi chamboulé : poussière radioactive, eau empoisonnée, nourriture contaminée, etc.

Les conditions de la fermeture de Cominak par Orano ont été vivement critiquées : les déchets radioactifs, qui auraient dû être regroupés dans des emballages étanches, ont été déversés à même le sol, provoquant des émanations toxiques et la pollution des eaux souterraines. L’image de l’industriel français au Niger a été ternie par des scandales successifs, notamment l’affaire de corruption dite de l’« uraniumgate » en 2017. Les ONG ont également dénoncé les conditions de travail dans les mines.

Tirant la leçon des expériences passées, le tribunal de grande instance d’Agadez a pris une décision historique en février dernier, ordonnant à la Société des mines de Dasa (Somida) d’interrompre l’exploitation d’une mine détenue par la société Global Atomic face aux risques environnementaux. L’entreprise devra ainsi mener une étude pour réévaluer l’impact environnemental de son activité. Si la décennie 2010-2020 peut être qualifiée de cauchemardesque, l’industrie semble aujourd’hui revivre.

LE RETOUR EN FORCE

Du fait de la conjoncture économique favorable du secteur et de la guerre en Ukraine, qui motive les grandes puissances à sortir de la dépendance russe, la crise de l’uranium s’est estompée. Le cours atteignait 50 dollars la livre en mars 2023. La lutte contre le changement climatique et la transition vers des sources d’énergie moins polluantes ont conduit à un regain d’intérêt pour l’énergie nucléaire. De nombreux pays, en particulier en Asie, investissent dans des technologies qui permettent une utilisation plus sûre et plus efficace de l’uranium, rendant l’énergie nucléaire plus attrayante pour les investisseurs.

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Depuis 2020, de nouveaux acteurs se tournent vers l’uranium nigérien. La société canadienne Govi High-Power Exploration a engagé la construction d’un complexe minier à Madaouéla, où elle entend injecter 670 millions d’euros. Le pays a également délivré quatre nouveaux permis de recherche à la société Loxcroft Resources dans les régions d’Agadez. En mars 2023, le directeur d’Imouraren SA, la coentreprise liant Orano à l’État nigérien, a confirmé sa volonté d’exploiter la mine d’Imouraren, dont les réserves, parmi les plus importantes au monde, sont estimées à 200 000 tonnes. Il s’agira toutefois de rester prudent : les essais commenceront en 2024, avec un potentiel lancement en 2028. L’exploitation aurait dû démarrer en 2015, mais la crise du secteur a découragé l’entreprise française. Et les négociations avec Niamey ne sont pas simples. En février dernier, les autorités ont jugé caduc le permis octroyé à Orano pour l’exploitation d’Imouraren. L’historique de la société sur le sol nigérien pourrait jouer en sa faveur dans l’aboutissement des négociations.

Pour tirer profit de ce retour en force du minerai, le Niger devra relever plusieurs défis, à commencer par l’amélioration de la gouvernance et de la transparence dans ce secteur, afin d’attirer davantage d’investisseurs étrangers. De plus, il paraît aujourd’hui essentiel de mettre en place des mesures de protection environnementale et de responsabilité sociale pour minimiser les conséquences négatives de cette industrie, que ce soit sur les communautés locales ou l’environnement.