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Lilian Thuram : « J’approuve la loi sur le mariage pour tous. »

Par Jean-Michel DENIS
Publié le 14 avril 2014 à 12h12
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Il est l’un de ces fameux « Bleus », l’une des icônes de l’équipe « Black-Blanc-Beur » qui remporte la Coupe du monde en 1998 et le Championnat d’Europe en 2000. Il reste l’un des grands défenseurs de sa génération. Il a joué dans les clubs les plus prestigieux : Monaco, Parme, Barcelone. Mais quand, en 2008, à l’âge de 36 ans, Lilian Thuram, après dix-sept ans de carrière professionnelle, raccroche les crampons, on pouvait se demander si, en fin de compte, le Guadeloupéen appartenait vraiment à ce monde du ballon rond professionnel et à ses « marchands du stade ».

On n’y aime guère les footballeurs qui pensent ! Noir parmi les Noirs quand il naît en 1972 à Pointe-à-Pitre, au sein d’une fratrie de cinq frères et soeurs, il devient Noir parmi les Blancs lorsqu’il rejoint sa mère partie pour la métropole chercher du travail et qu’il la retrouve en banlieue parisienne dès 1981. Et les réflexions racistes qu’il essuiera constitueront le point de départ d’un long cheminement vers un nouveau personnage, le défenseur intraitable d’une certaine idée de la république multiculturelle et postraciale. Sur le terrain politique, il n’hésite pas à tacler le gouvernement sarkozyste pour son attitude envers les jeunes des cités qui enflammèrent la banlieue parisienne en 2005 ou à affirmer son soutien au candidat Hollande à l’occasion de la présidentielle de 2012.

Il se déploie sur toute la ligne d’attaque contre les inégalités et le racisme : membre du Haut Conseil à l’intégration à partir de 2002, il est nommé ambassadeur de l’Unicef en 2010 et ambassadeur de bonne volonté auprès des Nations unies en 2011. Ce riche rentier du ballon rond tient à « faire » le citoyen à temps plein. La fondation Lilian Thuram-Éducation contre le racisme lancée en 2008 l’amène d’école en école prêcher la bonne parole. Il sera aussi le commissaire général de l’exposition « Exhibitions, l’invention du sauvage » présentée au musée du Quai Branly, une des sensations de la saison parisienne 2011-2012. Celui qui a appelé les deux fils qu’il a eus avec son épouse Sandra, (avec qui il est séparée), Kephren, 13 ans (en hommage au pharaon) et Marcus, 16 ans (pour Marcus Garvey), celui qui considère Aimé Césaire « un peu comme un guide » avait un devoir de mémoire et un hommage à rendre aux héros de la conscience noire. Mes étoiles noires, de Lucy à Barack Obama paraîtra en 2010. Dans le prolongement de cet ouvrage, sort ce mois-ci une bande dessinée intitulée Notre histoire, un retour sur son passé en bulles qu’il nous commente.

AM : Quels ont été vos collaborateurs pour cet ouvrage ?

Le scénario a été écrit par Jean-Christophe Camus, les dessins sont de Sam Garcia et la couleur de Hugo Poupelin. Tout en évoquant mon histoire familiale, je raconte les vies de Louis Delgrès, de la mulâtresse Solitude et d’un scientifique haïtien, Joseph Anténor Firmin. Il n’était pas question d’aborder 43 personnages historiques comme dans Mes étoiles noires pour une raison évidente de format.

Précisément… quelle est, à vos yeux, l’étoile des étoiles noires ?

Tout simplement ma mère, Mariana ! Notre première étoile est souvent très proche de nous. Ce qui la caractérise, c’est son intelligence émotionnelle. Elle a su nous rendre la vie joyeuse. Il y avait beaucoup de rires à la maison. À travers son histoire, j’ai voulu inviter les parents à transmettre leur histoire, ce qu’ils rechignent à faire par pudeur.

La joie régnait dans la famille, malgré la pauvreté ?

Certains moments, il y avait très peu. En métropole, quand ma mère était bonne, elle récupérait parfois les restes de ses employeurs mais on n’en ressentait aucune honte.

Il y a un grand absent dans cet ouvrage, le football…

C’est l’histoire de ma maman, pas la mienne ! Mais il y a toujours eu le ballon dans ma vie, les matchs entre quartiers à Anse-Bertrand, la commune où j’ai grandi… J’ai toujours aimé ce sport comme jeu. Le foot t’apprend à faire plus que ce que tu penses pouvoir faire. Et puis, c’est le reflet de la vie, à savoir une terrible inégalité entre les grandes fortunes du ballon et les autres joueurs, des puissances financières, qataris, russes, qui achètent les clubs...

Second grand absent, le père...

Le Code noir qui régentait la vie des esclaves stipulait que c’était la mère qui octroyait son statut à l’enfant. Le père n’était qu’un géniteur. Ce qui fait que l’homme a, aujourd’hui encore, beaucoup de mal à trouver sa place dans la société antillaise. On était cinq enfants de cinq pères différents ! Et on s’en est pourtant très bien sorti sans papa, car pour qu’un gamin soit équilibré il lui faut avant tout de l’amour. Et il y en avait beaucoup dans notre famille !

Pourquoi avoir choisi un vieil homme peul, Neddo, pour conter la vie de ces héros noirs ?

Neddo, c’est l’homme dans la cosmogonie peule, celui qui détient la connaissance et qui est chargé de la transmission. Neddo, c’est tous ceux que l’on rencontre sur notre chemin. Nous sommes des êtres de lien. En Afrique, on dit que l’homme est un médicament pour l’homme. Tout le contraire de l’Occident où un philosophe comme Thomas Hobbes affirmait que l’homme est un loup pour l’homme ! Ça, c’est une façon de voir propre aux sphères du pouvoir. Lorsqu’on est en bas de l’échelle sociale, on sait que sans l’autre on ne peut pas vivre.

Neddo recommande au petit Lilian d’alors : « Ne juge jamais quelqu’un sur la couleur de sa peau, sa religion, son genre ou sa sexualité. » C’est on ne peut plus d’actualité, quelques mois après le vote du mariage pour tous…

Quand, dans les écoles, je demande aux enfants s’il est juste que des êtres humains aient plus de droits que d’autres, tout le monde me répond « non ». Mais dès que je pose la même question du point de vue de la couleur de peau, de la religion, du genre ou de la sexualité, il n’y a soudain plus d’unanimité ! Nous sommes conditionnés à voir l’autre par le biais de tous ces « filtres ». J’approuve, bien évidemment, la loi sur le mariage pour tous. Pourquoi les homosexuels n’auraient-ils pas les mêmes droits que moi ? Faire un distinguo sur ce plan, c’est déjà du racisme. Il faut apprendre aux enfants toutes les égalités.

Par Jean-Michel DENIS