Made in Ivory Coast
Au coeur des stratégies d’avenir du pays se trouvent les entrepreneurs, incubateurs de croissance.
Cap sur le privé ! L’entreprise et l’entrepreneuriat se retrouvent au coeur des stratégies d’avenir de la Côte d’Ivoire. Depuis la réélection du président Alassane Ouattara, en octobre 2020, cette thématique est essentielle à la nouvelle phase du plan d’émergence. Il faut aller plus vite, plus loin, et surtout de manière plus agile, plus souple, en libérant les énergies. Des benchmarks comparatifs ont été menés avec des pays leaders, en particulier en Asie, en regardant de près l’exemple du Viêt Nam ou de la Thaïlande. Le projet a été longuement préparé par feu Amadou Gon Coulibaly et Patrick Achi, alors secrétaire général de la présidence, aujourd’hui Premier ministre. Une stratégie à moyen terme sur dix ans a été validée par le président ADO. Depuis 2011, la Côte d’Ivoire est l’un des 10 pays les plus performants du monde en matière de croissance. Elle a su se montrer résiliente malgré la crise liée au Covid-19. Il s’agit maintenant de renouer avec une croissance élevée malgré les contraintes sanitaires, de voir à moyen, long terme, « de penser la Côte d’Ivoire de demain ». L’objectif quantitatif est de doubler, à nouveau, la richesse nationale du pays, de toucher les frontières d’un PIB aux alentours de 100 milliards de dollars en 2030, avec un revenu par habitant au-delà de 3 500 dollars (malgré l’accroissement démographique). Et de générer de manière « endogène » une bonne partie de cette croissance.
Au coeur de « cette stratégie du doublement » se trouve le secteur privé, véritable accélérateur de développement. Il s’agit de faire du « made in Ivory Coast » une mission nationale et prioritaire. De promouvoir production et transformation locale, de capter une meilleure partie de la valeur ajoutée, de faire émerger aux côtés des services et du commerce un secteur industriel de qualité, compétitif.
Les champs d’opportunité sont nombreux : l’agriculture évidemment, mais également d’autres secteurs portés par l’augmentation des « consommateurs solvables » (automobile, biens d’équipement, pharmacie, construction, électroménager, transports…). Cette ambition vise les PME (petites et moyennes entreprises), mais aussi « les champions nationaux », dont il faut soutenir la croissance.
Le cacao s’impose comme l’une des priorités, avec des objectifs de transformation sur place élevés. Il s’agit à court terme de broyer 50 % de la récolte du pays, 1er producteur mondial. Les usines de fabrication de pâte de cacao, de production de chocolat se multiplient. Pourtant, le changement climatique, la déforestation, la concurrence aussi d’autres pays, imposent de diversifier le modèle agro-industriel. Exemple, la noix de cajou, dont « le monde riche » est si friand. Premier producteur et exportateur mondial en 2020 avec près de 850 000 tonnes, la Côte d’Ivoire doit s’investir en aval de la production, dans le décorticage, l’emballage, le produit fini, et mieux capter la valeur ajoutée. Autres marchés prometteurs : l’huile de palme, le coton, l’horticulture ou encore le caoutchouc. En 2020, le pays en a produit près de 950 000 tonnes, pour devenir le 4e producteur mondial. À la suite de la baisse du cours des marchés européens, la Côte d’Ivoire s’est tournée vers l’Asie, et en particulier la Chine, qui absorbe désormais la quasi-totalité des exportations. Mais la transformation sur place est un formidable enjeu. La production de produits dérivés, comme les gants en latex, pourrait s’avérer une formidable opportunité (la Thaïlande en produit 20 milliards par an) en cette période d’exigence sanitaire.
Cette stratégie entrepreneuriale peut s’appuyer sur un marché intérieur soutenu par le développement progressif d’une classe moyenne stable. Et dopé par une croissance élevée (légèrement positive en 2020 malgré la pandémie, estimée à 6 % pour 2021). Selon les statistiques les plus récentes, le revenu par habitant est devenu l’un des plus élevés de l’Afrique subsaharienne : 2 286 dollars fin 2019, soit un niveau désormais supérieur à ceux du Ghana (2 202 dollars) et du Nigeria (2 230 dollars). Outre le marché intérieur, le développement du secteur privé doit s’appuyer sur une véritable ambition d’exportation. La Côte d’Ivoire bénéficie d’un vaste marché régional, la zone UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine). Abidjan s’impose comme une cité globale, un hub financier, de services, de transports, la porte d’entrée vers de nombreux pays de l’hinterland. Et la mise en place progressive de la Zlecaf (Zone de libre-échange continentale africaine) permettrait d’accéder progressivement aux grands marchés de consommation du continent (comme l’Afrique du Sud, le Kenya, l’Éthiopie, l’Angola…). Et d’inciter des investisseurs étrangers à s’installer dans le pays pour bénéficier de ces vastes zones ouvertes. L’objectif serait aussi de mieux intégrer les circuits de commercialisation internationaux, de faire du marketing, de promouvoir la brand Côte d’Ivoire, les circuits courts auxquels les consommateurs occidentaux sont attachés, d’être partenaire avec les end users.
Les opportunités sont donc nombreuses et l’évolution réellement stratégique pour l’émergence du pays. Reste à affronter à bras-le-corps les contraintes qui freinent le développement de l’entrepreneuriat. L’économie reste dominée par un très large secteur informel et un nombre assez élevé de grandes entreprises, destinées à se renforcer encore, à devenir des « champions nationaux ». Dans ce paysage bipolaire, le développement d’un tissu plus dense de PME « formelles » est une priorité. Ce sont elles qui pourront créer de l’emploi durable en nombre, qui participeront activement à la vie économique par la fiscalité et la protection sociale. Cette formalisation est un véritable défi, en raison de la rigidité des procédures de mise en conformité. Et aussi parce que de nombreux « informels » veulent rester à l’abri de l’impôt et des contraintes du droit du travail.
Autre point de blocage, l’accès aux financements. Comme souvent en Afrique, le crédit bancaire reste largement hors d’atteinte pour les PME, ou pour les structures du secteur informel qui souhaitent se formaliser. Ce déficit de financement a été estimé pour 2017 à plus de 2,5 milliards de dollars. Et sans financement, il est difficile d’investir, de planifier, de recruter…
Enfin, en amont de l’entreprise, la modernisation et la réforme du secteur de l’éducation et de la formation s’imposent pour préparer au marché du travail les jeunes, scolarisés ou déscolarisés. La formation professionnelle, largement sous-estimée, l’université, les compétences techniques et managériales restent un maillon faible de l’écosystème. Et les employeurs ne sont guère en confiance devant les cohortes de jeunes qui sortent de l’école ou de l’université et qui sont peu préparés aux besoins réels des entreprises. Cette prise en compte de la priorité formation ne concerne pas uniquement les emplois moyennement qualifiés. Si la Côte d’Ivoire veut s’inscrire dans l’économie du futur, celle des nouvelles technologies, du développement durable, de la digitalisation, il lui faudra des cadres, hommes et femmes, capables de relever ces défis.
En tout état de cause, le secteur privé représente l’outil indispensable pour absorber le nombre impressionnant des nouveaux entrants sur le marché du travail. Dans dix ans, les Ivoiriens seront près de 35 millions, dont une très grande majorité de moins de 30 ans. Ces jeunes auront besoin d’opportunités réelles, d’autant plus que l’État et le secteur public ne seront plus là pour alléger la pression sur l’emploi.
L’État lui-même va devoir évoluer. Dans cette période exigeante, le pays a besoin d’un « État manager » qui impulse, oriente, favorise l’action, et qui soutient ses sociétés, grandes ou plus petites, qui stimule l’entrepreneuriat. De mettre en place les mécanismes légaux, financiers qui favorisent la rapidité, l’efficacité. « L’administration » doit devenir avant tout un catalyseur d’énergie. S’obliger à des résultats. Une vraie révolution pour un « appareil » qui doit faire face à des enjeux de plus en plus complexes : changement climatique, démographie, développement durable, nouvelles technologies.
Pour le président Ouattara, pour le Premier ministre Patrick Achi et son gouvernement, les défis sont de taille. La mobilisation du secteur privé et la création d’emplois dépassent le simple cadre du business, de la croissance, du discours sur l’émergence. L’emploi est un paramètre clé de la stabilité sociale et politique du pays, où les inégalités, paradoxalement dopées par la croissance, restent fortes. Il favorise l’émergence des classes moyennes, la formalisation étant l’une des armes essentielles contre la précarité. La richesse des entreprises, petites et plus grandes, c’est aussi la richesse de l’État, capable alors d’investir plus facilement, y compris dans le social, dans l’éducation, dans la santé.
Cette triple ambition ivoirienne – modernisation, croissance, inclusivité – n’est pas hors de portée.