Madina Yankalbé Alliali
« Le dynamisme et les atouts de ce pays sont indéniables »
Depuis 2020, elle s’investit dans l’ambitieux projet du groupe Bolloré : le second terminal à conteneurs du port autonome d’Abidjan, futur pivot du transport ouest-africain.
AM : Vous êtes tchado-malienne, vous avez 39 ans, et vous êtes directrice financière de CIT, après dix ans au sein du groupe Bolloré. Quel est votre parcours ?
Madina Yankalbé Alliali : Mon père était tchadien, ma mère est malienne, et je suis née à Nantes. Lui médecin, elle pharmacienne, mais je n’ai pas choisi la voie scientifique. J’ai fait des études de finance internationale en Belgique, et j’ai ensuite travaillé chez Siemens, à Bruxelles, de 2008 à 2010. Puis, ma carrière s’est orientée selon un choix bien personnel : j’avais très envie de rentrer en Afrique, motivée par l’envie d’apporter quelque chose au continent. Le groupe Bolloré m’a fait une proposition. J’ai hésité, n’étant pas spécialement attirée par la logistique. Mais j’ai vite compris que le transport et l’approvisionnement en général représentent un secteur central chez nous. Surtout pour moi, originaire de deux pays enclavés. J’ai d’abord travaillé au Ghana, où j’étais contrôleuse financière pour le groupe, puis au Gabon, en tant que directrice financière adjointe. En 2014, je suis arrivée en Côte d’Ivoire, l’un des pays les plus importants pour le groupe Bolloré en matière de transport en Afrique. Je m’occupais du contrôle financier des activités logistiques. Puis, en février 2020, on m’a promue au poste de directrice financière de CIT.
Dans cette compagnie porteuse d’un projet tel que le futur second terminal à conteneurs du port autonome, en quoi consiste votre travail précisément ?
J’ai des prérogatives classiques, comme la gestion de trésorerie, etc. Mais CIT, c’est en effet un projet. En conséquence, j’assure également un éventail de tâches particulières, comme le suivi des investissements. J’ai aussi un rôle transversal en tant que bras droit du groupe Bolloré – l’autre actionnaire étant APM Terminals. Un poste passionnant, car je m’occupe des relations avec les institutions, des aspects fiscaux, des RH, de la coordination entre les différents actionnaires…
Parlez-nous de ce futur terminal. Quel rôle jouera-t-il ?
CIT est né à la suite de l’appel d’offres du port autonome d’Abidjan en 2013, que nous avons remporté. Cette demande répond à un grand plan d’amélioration des structures portuaires. Le second terminal à conteneurs contribuera à faire d’Abidjan un véritable hub sur la côte ouest-africaine. En dehors des capacités habituelles de la Côte d’Ivoire, ce terminal accueillera des navires de 14 000 EVP (équivalent vingt pieds). Nous leur offrirons un tirant d’eau de 16 mètres, sur un terminal construit sur 375 hectares, avec 1 100 mètres de quai. Sur ce dernier, nous disposerons de 6 grues de quai et de 13 grues de parc électriques. Le projet va générer 450 emplois directs et environ un millier d’emplois indirects. Total de l’investissement : 260 milliards de francs CFA. Les travaux ont commencé en décembre 2020, et l’ouvrage sera livré dans le courant de 2022. La particularité de ce terminal, outre sa modernité, est qu’il intègre tous les enjeux environnementaux du label « Green Terminal », créé par Bolloré Ports et validé par Bureau Veritas. Nous avons d’ailleurs commandé 36 tracteurs électriques qui seront mis en service au démarrage des opérations.
Après avoir travaillé au Ghana et au Gabon, quel regard portez-vous sur la Côte d’Ivoire, où vous résidez depuis près de deux ans ?
Le dynamisme et les atouts de la Côte d’Ivoire, avec son économie très diversifiée, sont indéniables. Son marché intérieur est très attractif, il représente un corridor de choix pour le Mali ou le Burkina, c’est le premier producteur de cacao au monde, il bénéficie de services très développés. La Côte d’Ivoire bénéficie aussi d’institutions fortes, et, jusque-là, la sécurité est assurée. Les autorités poussent pour attirer les investisseurs. Et bien sûr, c’est un pays magnifique, qui regorge de richesses touristiques, pas assez exploitées d’ailleurs à mon goût. Le tourisme devrait générer une manne financière ici.
Que pensez-vous du développement du secteur privé local ?
Il y a les grandes entreprises, du type Bolloré, Total, etc. Et les PME. La concurrence est rude pour les grandes. Les PME ont plutôt bien résisté à la crise liée au Covid-19. Contrairement aux très petites entreprises, qui ont du mal à garder la tête hors de l’eau. On est sur des maturités différentes selon la taille des entreprises. Et il faut développer l’entrepreneuriat des jeunes. Ça, ce n’est pas encore gagné.
Quels sont les inconvénients et les avantages d’être une jeune femme à la tête d’un poste à responsabilités ?
Personnellement, j’essaie d’éviter toute victimisation ! C’est vrai, nous sommes peu nombreuses dans la finance et dans la logistique. Mais c’est un plus ! Ainsi, on capte mieux l’attention, et on arrive souvent à faire passer nos idées. Et puis, la logistique, c’est quelque chose que les femmes maîtrisent. On est surentraînées dans notre vie de famille. Je dis souvent à mon mari en plaisantant que je suis une meilleure logisticienne que lui ! Par ailleurs, être une femme africaine qui évolue en Afrique, c’est vraiment un plus. On connaît les codes par coeur, comme le respect, le droit d’aînesse, etc. Et c’est un atout majeur dans les négociations.