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MAGIC SYSTEM

Par jmdenis - Publié en mai 2013
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DEVANT UN IMMEUBLE enserré dans le quartier populaire Riviera Palmeraie, à Abidjan, une Jaguar s’arrête. En sort Asalfo. Quelques minutes plus tard, ce seront les trois autres compères du Magic System, Manadja, Tino et Goudé, qui débouleront tour à tour en voitures rutilantes.

« ON VA S’ADRESSER AU CHEF DE L’ÉTAT ALASSANE OUATTARA ET COMMENTER SES DEUX ANNÉES DE MANDAT. ON DIRA LE FOND DE NOTRE PENSÉE, À NOTRE MANIÈRE. »

On est début février. Tapi au fond d’une cour encombrée de marchandises et d’une balancelle qui a dû connaître l’ère glorieuse de l’houphouétisme, c’est le Studio 7, la « fabrique de sons » d’Olivier Blé, le producteur de zouglou le plus en vue de la place. Un petit local bien équipé mais dénué des conforts sophistiqués que peuvent offrir aux artistes les grands studios d’enregistrement européens. C’est là que le plus célèbre groupe ivoirien peaufine chaque nuit son prochain album, pour le moment sans nom, et qui devrait sortir en octobre.

Étonnant de voir les quatre Gaous dans ce lieu sans prétention… Magic System, c’est quand même dix galettes en quelque dix-huit années de carrière, quinze disques d’or et trois de platine (dont le dernier, Touté Kalé) en France. Dix à quinze millions d’albums officiels vendus dans le monde, LEUR tube, « Premier Gaou », écoulé, estime-t-on, à plus de dix millions d’exemplaires, piratages compris, sur le continent. Bref, le groupe africain numéro un sur le plan international. Pas question de se couper du terreau abidjanais, du zouglou qui les a fait naître. Asalfo et ses amis ont toujours choisi de consacrer la moitié de chacun de leurs CD à des chansons au feeling local et l’autre à des titres enregistrés en France et d’inspiration rap’n’zouglou (« Un gaou à Oran », « Même pas fatigué », « Chérie Coco »…). Écoute, en avant-première, d’une future (?) réserve à tubes.

En une semaine, sur les six titres qui doivent être enregistrés à Abidjan, le groupe, sérieux et décontracté à la fois, va en boucler entièrement trois. « C’est pas le coupédécalé qui va te faire peur ! C’est pas le ndombolo qui va te faire peur ! » chante en choeur le quatuor. Tonitruant exercice de zouglou pride appelé « Woyo Feeling ». Du pur woyo-woyo, ces chansons d’animation qui constituent le banc d’essai des groupes zouglou. Percussions hautement explosives et contretemps frappés sur une bouteille de bière par Goudé tel qu’on le pratique dans les maquis. Succès assuré dans les quartiers populaires d’Abidjan ! Le tout premier titre composé par le groupe, en 1997 ! « Ça me fait quelque chose de replonger dans ce morceau », lâche Manadja, la gorge serrée.

« C’était la période où on crevait de faim, poursuit Asalfo. C’est un chant de mendicité dans les rues. »

Pour le reste, mis à part « M’Ninda », au swing léger, chanté en moré par Asalfo, qui conte le désespoir d’un chômeur, ou « Travailler pour réussir », classiquement zouglou, il y a des surprises : « Maman » va être interprété avec « la Mama » Patience Dabany et est construit sur… des beats zouk enregistrés par les artistes antillais Thierry Cham et Jocelyne Labylle ! Et que dire de « Lettre au président » ? « On va s’adresser au chef de l’État, Alassane Ouattara, précise Asalfo, et commenter ses deux années de mandat. On dira le fond de notre pensée, à notre manière. » Magic System va donc faire dans la chanson politique ? Mais Asalfo n’en dira pas plus pour le moment, les paroles n’étant pas entièrement terminées. On n’est pas au bout de nos surprises…

Aubervilliers, en banlieue parisienne, quinze jours plus tard, dans la nuit. Dans un petit pavillon abritant des bureaux et un studio, on trinque et on blague. C’est le dernier jour d’enregistrement du disque, face européenne. Sept titres ont été mis en boîte, surprenants là encore. Témoin, entre autres, « Africa », qui récapitule l’état du continent depuis les débuts professionnels du Magic, il y a quinze ans. Constat pessimiste : les maux, les guerres, la famine, l’Afrique de Mandela invoquée, convoquée même ! Ou « Mamadou », chanson qui évoque le statut d’esclave sexuel de certains Africains qui veulent obtenir leurs papiers en Europe.

Mais où sont donc passés les joyeux et sympathiques garçons toujours prêts à faire la fête, les héros d’« Ambiance à l’africaine » ou de « Bouger bouger » ? « On est fatigués de faire danser les gens, de ne faire que cela », commente le leader de Magic System. Changement d’image périlleux ? Autre nouveauté : les Magiciens osent aborder franchement le thème de l’amour, et plus seulement sous l’angle satirique (style « Premier Gaou » ou « Petit Pompier »), avec « Diarabi », chanté… en bambara, autre nouveauté ! Et surtout avec « Plus haut », duo réunissant Asalfo et la chanteuse israélienne Tal, qui est en train de se bâtir une carrière en France.

Dernier bouleversement : un « gros » son, électro tropical qui évoque parfois le disque d’un DJ. « On est encore jeunes, non ? » se défend Tino. Le responsable : Akos, producteur français vivant en partie à New York, qui a travaillé pour Mary J. Blige et Puff Daddy. « Il a compris le son de Magic System, explique Asalfo. C’est la première fois qu’on travaillait les titres français d’un album avec une seule et même personne. Ça donne un disque moins dispersé que les précédents. » Mais le sens de la fête reprend parfois ses droits, comme dans « Chiranda », sorte de kuduro incandescent qui devrait interpeller les reins des night-clubbers. « C’est une chanson qu’on va présenter à la Fédération internationale de football. On aimerait qu’elle devienne l’hymne du prochain Mondial, au Brésil. » « On va jouer, on va gagner ! » chantent en choeur les quatre Ivoiriens. Ils jouent en effet gros avec ce nouvel opus. Gagneront-ils ?

Par Jean-Michel DENIS