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Découverte / Côte d’Ivoire

Mamadou Touré
«Il faut investir massivement sur la formation»

Ministre de la Promotion de la jeunesse, de l’Insertion professionnelle et du Service civique

Par Emmanuelle Pontié - Publié en juillet 2024
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Pour mobiliser, les autorités ont mis en place un PJ-Gouv 2023-2025. Vingt-cinq ministères sont impliqués sur trois axes : insertion, engagement civique et bien-être. Point d’étape avec le principal acteur du dossier.

​​​​​​​AM: Combien de jeunes compte la Côte d’Ivoire aujourd’hui et quelle est la tranche d’âge prise en compte?

NABIL ZORKOT
NABIL ZORKOT

Mamadou Touré: Selon le dernier recensement de la population, qui date de 2021, nous comptons près de 30 millions d’habitants. Sur ces 30 millions, 75,6% sont des jeunes, soit près de 22 millions de citoyens. Est considérée comme jeune toute personne qui a entre 15 et 35 ans. Selon le précédent recensement, ils représentaient 67% de la population. Leur nombre augmente, évidemment. La moyenne d’âge dans notre pays est de 21 ans. Et notre taux de croissance tourne autour de 2,5 points.

La Côte d’Ivoire a mis en place un PJ-Gouv (Programme de la jeunesse du gouvernement) 2023-2025, et 2023 a été l’«année de la jeunesse». Quels sont les premiers résultats de votre politique?

Le souhait du président Alassane Ouattara, en déclarant que 2023 serait l’année de la jeunesse, était d’amplifier les initiatives gouvernementales en faveur de cette frange de la population, en mettant en synergie les actions sectorielles dans le domaine du sport, de la culture, de l’entrepreneuriat, etc. Vingt-cinq ministères ont travaillé à l’élaboration du PJ-Gouv, avec un objectif de 1,7 million de jeunes à impacter à l’horizon 2025, pour un peu plus de 1,7 milliard d’euros (1118 milliards de FCFA). Pour la seule année 2023, l’objectif était de 700000 jeunes pour 361 milliards de FCFA, soit environ 500 millions d’euros. Le bilan au 31 décembre 2023 souligne que nous avons largement dépassé cet objectif. Nous avons pu toucher 1,105 million d’entre eux, pour 534 milliards de FCFA mobilisés.

Quand vous dites «toucher» ces jeunes, sur quels plans sont-ils impactés exactement?

Le PJ-Gouv comporte trois axes. Le premier concerne la formation, l’insertion professionnelle et l’entrepreneuriat; le second porte sur l’engagement civique et citoyen; enfin, le troisième axe consiste en l’amélioration du bien-être. En ce qui concerne le premier axe, 74000 jeunes ont été impactés par le programme de formation ou de reconversion. Nous comptons un peu plus de 86000 autres qui ont bénéficié de nos différents programmes d’aide à l’entrepreneuriat, en matière de financement. Et encore 209000 autres ont pu trouver un emploi salarié. Par ailleurs, quatorze établissements de formation professionnelle ont été réhabilités ou sont en cours de réhabilitation. Et si l’on considère l’axe 2 du programme, 30000 volontaires bénévoles ont été mobilisés par le gouvernement pour participer au succès de la CAN 2023! Un peu plus de 2000 autres sont passés dans des centres de service civique. Par ailleurs, sept agoras, des centres multisectoriels où les jeunes peuvent faire du sport ou des activités culturelles, sont en cours de construction sur l’ensemble du territoire national. C’est également le cas de cinq institutions de formation destinées aux femmes, qui sont actuellement réhabilitées ou en cours de construction. Pour résumer, près de 300 milliards de FCFA ont été dédiés aux infrastructures, et près de 200 milliards de FCFA ont été directement injectés dans les projets de formation, d’insertion ou d’entrepreneuriat. Et je ne parle pas des 42 collèges de proximité qui ont été construits sur la période, ni des dix lycées d’excellence de jeunes filles.

Existe-t-il une problématique propre aux jeunes Ivoiriens?

La problématique qui touche tous les jeunes des pays africains, c’est le niveau de qualification. En Côte d’Ivoire, nous bénéficions d’une forte dynamique économique, avec un taux de croissance qui tourne autour de 7 à 8% depuis plus de dix ans, d’un secteur privé de plus en plus diversifié, avec beaucoup d’industries qui s’installent ou des services qui naissent. Le véritable problème auquel nous sommes confrontés, c’est le manque de main-d’œuvre qualifiée. Nous essayons de régler ce point en investissant massivement dans la formation, qualifiante et professionnelle.

Vous avez parlé de collèges pour les jeunes filles. Justement, leur insertion demeure t-elle un souci? Et pourquoi?

C’est un souci. Au niveau de mon ministère, nous avons fait en sorte qu’au moins 40% des bénéficiaires de tous les programmes d’insertion soient des jeunes filles. Dans certains d’entre eux, tels que les travaux à haute intensité de main-d’œuvre, elles représentent plus de 60% des impactés. Au-delà de mon secteur, le ministère de l’Éducation nationale, selon l’orientation gouvernementale, a mis l’accent sur leur scolarisation. Cette année, par exemple, pour le BEPC, nous avons plus de candidates que de candidats. Notre politique volontariste de promotion de la jeune fille, menée par le président Alassane Ouattara depuis plus de dix ans, porte ses fruits.

Vous avez déclaré mettre l’accent sur l’emploi salarié. Comment comptez-vous vous y prendre?

Nous avons déjà activé plusieurs leviers. Aujourd’hui, nous proposons des programmes en entrepreneuriat, mais tous les jeunes ne sont pas entrepreneurs. Pour répondre à la problématique de la main-d’œuvre qualifiée recherchée par les entreprises, de plus en plus nombreuses, nous avons estimé qu’il fallait prodiguer, en lien avec le ministère de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle, un enseignement qui permette aux jeunes de répondre aux besoins du secteur productif et de décrocher un emploi salarié.

Avec un système d’adéquation formation-emploi?

Absolument. D’ailleurs, la réforme de l’enseignement technique, mise en œuvre depuis plus de huit ans, place en priorité le partenariat avec le secteur privé. Il s’agit de définir des modules de formation en adéquation avec la demande. Notre économie est très structurée, nous connaissons les secteurs porteurs des prochaines années et ceux pour lesquels l’État mobilise des investisseurs. Que ce soit dans l’enseignement supérieur, technique ou professionnel, nous mettons en place des curricula pour que les jeunes formés trouvent facilement un travail.

Vous étiez à Paris pour le salon VivaTech. On parle d’une véritable révolution en matière de start-up et de nouvelles technologies en Côte d’Ivoire. Pourquoi?

Le pays fait un bond dans ce secteur. Nous avons même un ministère en charge de la Digitalisation et de la Transition numérique, géré par mon collègue Kalil Konaté, qui m’a accompagné sur le salon. Le taux de pénétration internet aujourd’hui en Côte d’Ivoire augmente. Le numérique entre dans les mœurs et peut offrir des opportunités: création de richesses, de croissance et surtout d’emplois. Ainsi, le gouvernement a décidé de mettre l’accent sur ces start-up porteuses de projets innovants. L’une des mesures phare de l’année de la jeunesse, en 2023, a été l’adoption par le Parlement de la loi sur les start-up numériques, mais aussi la création du Start-up Boost Capital, un fonds mobilisé par mon ministère de près de 1 milliard de FCFA, et qui passera à 2 milliards cette année. Il accompagne les start-up dans l’accélération de leur développement. Au 31 décembre 2023, près d’une trentaine d’entre elles a bénéficié de ces financements, et certaines ont pu venir à Paris pour nouer des partenariats.

On parle beaucoup de l’émigration clandestine, qui touche aussi votre pays. Que faites-vous contre cela?

Cette question nous préoccupe, bien sûr. Sur 22 millions de jeunes, environ 8000 partent. Selon l’OIM (Organisation internationale pour les migrations), 85% des jeunes candidats à l’émigration avaient un emploi en Côte d’Ivoire. Ils partent généralement parce qu’ils croient en un avenir meilleur, et non parce qu’ils n’ont pas de perspectives. Ainsi, nous mettons l’accent sur la sensibilisation. Et le gouvernement a pris des mesures contre les filières mafieuses clandestines qui organisent les départs. L’année dernière, à la suite de la crise en Tunisie, où beaucoup de ressortissants étrangers ont été victimes d’actions déplorables de racisme, la Côte d’Ivoire a vu le retour de nombreux migrants. Ces personnes ont été profilées à travers mon ministère, et nous avons mis en place des mécanismes d’appui à leur insertion. Nous faisons de la sensibilisation chez les jeunes et de la répression contre les filières. Car aujourd’hui, vu notre dynamisme économique, rien ne justifie ces départs. Pour les mêmes montants dépensés par certains candidats à l’émigration, qui vont de 1000 à 10000 euros, énormément de jeunes chez nous entreprennent et arrivent à joindre les deux bouts.

En matière de lutte contre les passeurs, obtenez-vous des résultats?

Le ministère responsable de la Sécurité agit en lien avec les pays qui accueillent les migrants. Je sais qu’une vraie stratégie est en cours d’élaboration entre certains pays européens et le nôtre pour accentuer cette lutte en tout cas, contre ceux qui se trouvent en Côte d’Ivoire.

Vous êtes aussi président du Conseil régional du Haut-Sassandra, où vous avez mené des actions locales. Y a-t-il des particularités qui touchent les jeunes de votre région?

Daloa, le chef-lieu du Haut-Sassandra, est la deuxième ville de départs (6%), après la capitale économique (60%). Viennent ensuite Bouaké, Man et Korhogo, qui tournent autour de 3 à 5%. Depuis quelques années, nous prêtons une attention particulière à la situation des jeunes dans le Haut-Sassandra. En deux ans, près de 20000 d’entre eux sont passés par nos différents programmes. Aujourd’hui, au niveau du Conseil régional, nous essayons d’amplifier l’action du gouvernement envers la jeunesse. Nous avons bénéficié de ressources considérables, dans le cadre du programme emploi-jeunes de la Banque mondiale et aussi de la part de l’Agence française de développement, qui permettent à la région d’avoir une vraie stratégie en vue de l’insertion des jeunes et de leur sédentarisation dans notre région.

Si vous aviez un souhait en lien avec votre activité, quel serait-il?

Deux choses. D’abord, le programme de service civique. En dépit de tous les mécanismes mis en œuvre avec des résultats probants, nous savons que travailler sur le changement de mentalité des jeunes est le chantier le plus important. Nous sommes en train de parfaire et de faire gagner en volume ce programme civique, qui permet de transformer radicalement les mentalités, notamment chez ceux qui étaient considérés comme perdus. Ensuite, nous avons mis en place des leviers d’insertion bien huilés. Aujourd’hui, le pays est pris en exemple pour l’efficacité des programmes que nous menons avec l’AFD ou la Banque mondiale, et mis en œuvre par le gouvernement depuis une dizaine d’années, comme ceux sur l’entrepreneuriat, sur les stages ou sur l’appui à l’insertion. Quant au Projet emploi jeunes et développement des compétences (PEJEDEC), que nous menons avec la Banque mondiale, nous avons obtenu 50 millions de dollars pour chacune des deux premières phases en 2012 et en 2016. Et pour le troisième volet, nous passons à 150 millions, soit le triple. Je serai fier de laisser derrière moi ce dispositif crédible et efficace, qui puisse de façon pérenne accompagner l’insertion des jeunes. Mais il faut continuer à mobiliser des ressources, au regard du nombre de jeunes que compte notre pays, car certains restent malheureusement en attente. Enfin, nous avons mis en place un ensemble d’actions avec les autres ministères sectoriels. Les questions relatives à la jeunesse étant transversales, il n’est pas toujours évident de ne pas se marcher dessus. Or, la Côte d’Ivoire a réussi une chose unique: favoriser cette synergie gouvernementale, qui est actée dans un arrêté signé par le Premier ministre, où plus d’une vingtaine de ministères se donnent la main pour agir dans un seul objectif: le bien-être des jeunes.