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Interview

Mamane, l’humour sans frontières

Par Astrid Krivian - Publié en juin 2020
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Producteur du spectacle Sans visa, réalisateur de la comédie Bienvenue au Gondwana (2016) diffusée sur Netflix, fondateur du premier comedy club à Abidjan, l’humoriste nigérien s’engage pour l’éducation et l’insertion professionnelle des jeunes.

AM : Comment vivez-vous la situation actuelle ? 
Mamane : Je suis au Niger auprès des miens. D’habitude, j’y passe 15 jours [il vit en Côte d’Ivoire, ndlr]. Ce temps long me permet de développer mes projets, comme la construction d’une école d’arts du spectacle et de l’écran à Niamey, qui accueillera des élèves de toute l’Afrique, avec des cours dispensés en français, haoussa, mandingue, wolof, lingala… Il faut donner un espoir et un horizon professionnel à la jeunesse, pour qu’elle ne cède ni aux sirènes de l’émigration, ni aux djihadistes ou aux pasteurs évangélistes. Un système de bourses permettra aux plus démunis d’étudier. Elle fonctionnera grâce à l’énergie solaire. En tant qu’ambassadeur climat pour le Sahel, je m’engage beaucoup sur ce sujet. 
 
Vous avez créé une fondation pour l’insertion des jeunes dans les métiers de l’agriculture. 
Je vais commencer par la région d’Agadez, au nord, aux confluents des enjeux géopolitiques mondiaux. Les jeunes sont au chômage, le tourisme n’existe plus à cause du terrorisme, c’est une plaque tournante pour le trafic de drogue, le passage obligé pour les migrants… La crise sanitaire du Covid-19 a montré les failles de la mondialisation. Chaque pays doit pouvoir compter sur ses propres forces et ressources, disposer d’une autosuffisance alimentaire. 
 
Vos sketchs ont une fibre pédagogique… 
Très écoutés, les humoristes ont une grande responsabilité. C’est dommage, mais nous avons plus d’influence sur les jeunes qu’un professeur ! Il faut donc profiter de cette audience pour élever le public. Je veux lui apporter des notions d’histoire, de géographie, de politique, pour qu’il approfondisse par lui-même. Et pendant la crise du Covid-19, comme beaucoup de mes confrères africains, j’ai sensibilisé les citoyens sur les gestes barrière, contre la stigmatisation des malades, à travers des vidéos et des audios. 
 
Quels styles d’humour distinguez-vous selon les pays ? 
Les humoristes ivoiriens pratiquent plutôt le stand-up, avec le rythme « une phrase = un rire ». En Afrique centrale, en RD Congo, au Cameroun, ils racontent une histoire, et pour aborder la politique, ils ont recours au troisième degré, aux fines allusions, car l’expression y est moins libre. En Afrique de l’Ouest au contraire, les attaques envers les hommes politiques sont souvent frontales, le niveau de démocratie étant plus avancé. Imités, raillés, les chefs d’État s’en prennent plein la face et s’en amusent. Ils ont compris que s’attaquer à un humoriste, ou le censurer, est contre-productif. 
 
Comment se porte votre Gondwana Club, ouvert à Abidjan il y a un an ? 
C’est la maison des humoristes africains. Premier comedy club d’Afrique francophone subsaharienne, il propose un spectacle chaque vendredi soir [comme les autres salles du pays, il est actuellement fermé à cause de la pandémie, ndlr]. La salle est toujours pleine, avec des spectateurs locaux de tout âge, et des Européens, des Canadiens. Les artistes sortent ainsi de leur zone de confort. Et le public non africain fait l’effort de découvrir les références culturelles. L’humour est un moyen d’intégration, de partage. Quand je suis arrivé en France, il m’a beaucoup servi à comprendre la société. 
 
Votre film Bienvenue au Gondwana raconte les élections truquées d’un président-fondateur… 
La politique des dirigeants africains est la source majeure de nos problèmes sociaux et économiques. Ils sont souvent « élus » par effraction, en bourrant les urnes. Sous un vernis de démocrates, une fois au pouvoir, ils ne font rien pour le peuple. Ce film a été un grand succès en Afrique car on y retrouve souvent ce schéma. J’adore réaliser, et je m’oriente vers des projets de séries, un genre dans lequel on peut vraiment développer des personnages, les faire évoluer, et approfondir plusieurs intrigues imbriquées. ■ Propos recueillis par Astrid krivain