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Parcours

Marc Johnson

Par Astrid Krivian - Publié en mai 2024
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Les tapisseries puissantes et oniriques  de l’artiste franco-béninois s’inspirent du poème de Derek Walcott, The Sea Is History. L’histoire, son récit et la cohabitation des règnes du vivant sont au cœur de sa pratique. 

Marc Johnson. JEROME SEVRETTE
Marc Johnson. JEROME SEVRETTE

La conçu des tapisseries inspirées du poème The Sea Is History, du Caribéen d’expression anglaise Derek Walcott, prix Nobel de littérature. «L’océan est ici une allégorie de la nature, mais aussi un organisme vivant qui conserve l’histoire de la circulation des corps et des marchandises, un trauma lié à l’esclavage», analyse l’artiste franco-béninois Marc Johnson. Ses puissants tableaux convoquent le mythe, le fantastique, le rêve, la fable, évoquant des créatures mi-humaines, mi-végétales, des figures de métamorphose, une exploration onirique des profondeurs marines, du cosmos aussi. Hommages mystiques aux âmes ancestrales disparues en mer, comme à celles qui périssent aujourd’hui sur le chemin de l’exil, ces œuvres textiles aux couleurs irisées incarnent la cohabitation et l’interconnexion entre les différents éléments du vivant. Ne sont-elles pas tissées avec du coton, de la laine et du polyester, issus des règnes végétal, animal et minéral ? «J’aime penser ces œuvres comme des êtres, dont émane une vibration.» Le plasticien a utilisé le métier à tisser Jacquard, mis au point au XIXe siècle, référence «à l’industrie textile, au labeur ouvrier», fils entrecroisant des «histoires d’exploitation et de résistance». La mémoire collective irrigue sa démarche: comment ces peuples aux traditions orales ont-ils transmis leur histoire? Quelles archives, écritures, peut-on retracer? Et pour quel héritage? Les médiums de prédilection de cet artiste visuel et cinéaste, né en France en 1986, sont l’image en mouvement, la photo, le dessin, le livre d’artiste. Diplômé des Beaux-Arts de Paris et de l’école nationale supérieure d’architecture Paris Malaquais, il expose aujourd’hui ses œuvres dans le monde entier. S’il se réclame de l’art conceptuel, il cultive un rapport de continuité avec l’histoire de l’art, au-delà du moderne. Un corpus d’inspirations mêlant la révolution surréaliste, la mythologie grecque, le fantastique, mais aussi la magie, le vaudou, l’animisme.

« The Sea Is History (After Derek Walcott) », Marc Johnson, Galerie Mitterrand, Paris (France), jusqu’au 16 mai 2024.DR
« The Sea Is History (After Derek Walcott) », Marc Johnson, Galerie Mitterrand, Paris (France), jusqu’au 16 mai 2024.DR

Curieux de comprendre le monde et son articulation, il effectue un important travail de recherche, à la découverte d’autres langages et géographies, croisant les disciplines, collaborant avec des experts. Il sonde notamment les traces omniprésentes du colonialisme. «On ne peut l’éviter; c’est le retour du refoulé. Mon père est né au Bénin, mon grand-père était du Congo, ma grand-mère du Togo; je m’y intéresse forcément, en me déplaçant dans d’autres contextes qui éclairent le mien.» Réalisés à la Biennale de Vancouver en 2019, sa série de photographies et ses entretiens filmés d’artistes, de commissaires d’expositions, retranscrits dans le livre Parley, s’intéressent aux dynamiques entre les Premières Nations et les musées canadiens. «Le Canada est l’un des rares pays où les œuvres des musées peuvent être reprises par les peuples autochtones pour être réactivées dans des rituels, des cérémonies. Les objets magiques de ces cosmologies restent ainsi accessibles, pour y réinscrire d’autres mythes, d’autres lectures, se les réapproprier.» Ces réflexions sur les récits historiques, sur «la poétique-politique de l’archive», nourrissent son travail de doctorat d’artiste, qu’il mène actuellement dans la très sélective Université des arts de Stockholm.

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