
Maroc
Après le séisme, se relever
À la suite du tremblement de terre du 8 septembre, le royaume rassemble ses forces et ses énergies. Un défi complexe où il faudra aussi réimaginer le futur.
Dans la nuit du vendredi 8 septembre, un tremblement de terre frappe de plein fouet la région d’Al Haouz, dans le Haut-Atlas marocain. L’épicentre est à 70 km de Marrakech, la ville ocre devenue l’un des hauts lieux du tourisme mondial. La montagne s’est ouverte, s’est fracassée sous l’effet de secousses de magnitude 7 sur l’échelle de Richter. Des villages entiers ont été rasés de la carte en quelques secondes. Des vies englouties dans les effondrements et les éboulis. Les effets du «zelzal» ont été ressentis jusqu’à Casablanca, à Agadir (où la mémoire de ce type de tragédie est encore vive)… C’est l’un des tremblements de terre les plus forts que le Maroc ait connus. Le bilan, à ce jour, est de près de 3000 morts et 6000 blessés. La ville de Marrakech a été, miraculeusement, relativement épargnée, mais les blessures sont là, visibles. Dans la médina, des maisons se sont effondrées sur les habitants. Les belles villas ont tremblé sur leur base. La Koutoubia, mosquée emblématique construite au XII e siècle par le sultan Almohade Abdelmoumen, a tenu, comme un symbole de la résilience du royaume. Les fissures sont là, mais certaines datent d’avant le séisme, témoignage de la longévité et de la résistance de la structure… Mais dans les montagnes, dans ces paysages d’une beauté habituellement stupéfiante, c’est la désolation, la tragédie et la mort.

Le drame est collectif, il touche toute la nation. Il souligne, on le sait, les inégalités du pays, ce contraste saisissant entre les lumières de Marrakech, le Maroc du siècle en marche, et la pauvreté de ses zones rurales, qui sont restées en marge de la dynamique. Le drame est collectif, révélateur des dysfonctionnements d’une société encore en évolution, mais il a aussi montré la force et l’énergie de la solidarité nationale, l’implication de la société civile, et un appareil d’État fragile, mais réactif. Une stratégie de gestion des catastrophes naturelles avait été adoptée au milieu des années 2010. Des processus de décision avaient été mis en place (comme lors des dernières grandes inondations) pour régler les problèmes de communication dans la chaîne de commandement. Et tout cela a permis, d’une manière ou d’une autre, la mise en place d’une réponse relativement rapide et coordonnée. La tragédie a également démontré, une fois de plus, la centralité de la monarchie dans le fonctionnement complexe du royaume. Les décisions sont venues d’en haut, du roi Mohammed VI. Tout en respectant un protocole du pouvoir multiséculaire, et en tenant compte, comme le souligne le politologue Mohamed Tozy, des spécificités du terrain, ici, «l’État vient en appoint par rapport à des sociétés qui ont l’habitude d’abord de compter sur elles-mêmes». Le Maroc a voulu affronter quasiment seul l’épreuve, dans une volonté d’autonomie, d’indépendance, de souveraineté, que le monde extérieur n’a pas toujours comprise, en particulier la France.
VERS LA RECONSTRUCTION
Aujourd’hui, le Maroc mobilise ses ressources pour entamer le long chemin de l’après, de la reconstruction. La région touchée n’est pas périphérique à l’histoire du royaume. Elle est même au centre. C’est le berceau de la dynastie des Almohades, le point de passage caravanier entre Marrakech et Taroudant, la route vers le Grand Sud. De Marrakech à tous les villages de l’Atlas, c’est aussi un espace de vie religieuse très dense, avec ses médersas, ses sanctuaires, comme celui du village de Moulay Brahim, ses mosquées d’altitude. Cet héritage, ce patrimoine historique inestimable, est durement touché. Le côté est des remparts de Marrakech (la médina est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1985) est largement effondré. D’autres portes de la médina sont fissurées. Dans la montagne, la mosquée de Tinmel, magnifiquement représentative de l’architecture amazighe du XII e siècle, n’a pas résisté. La kasbah du caïd Goundafi, construite en 1905 parle célèbre chef berbère pour contrôler la route de Marrakech, est à terre. Des missions d’équipes spécialisées cherchent à établir un premier relevé des dommages. L’urgence, l’objectif premier, évidemment, reste le secours aux personnes touchées. Mais comme l’indique l’un des architectes impliqués, «notre histoire, notre culture est au centre de notre vie collective». Nécessaire pour se reconstruire au sens propre et au sens symbolique.

Le tremblement de terre touche un autre domaine essentiel de la vie collective. La région meurtrie est l’un des châteaux d’eau du Maroc, un espace agricole et de biodiversité rare, une zone de forêts, d’agriculture traditionnelle irriguée, d’élevage. Cette base de la vie est à l’arrêt. Les parcelles sont sous les gravats et les éboulis. Il faut reconstituer les cheptels perdus, rétablir les cultures vivrières, replanter les arbres fruitiers. Ce retour à la terre est essentiel aussi pour fixer les populations, pour que l’exode des jeunes ne s’accentue pas avec les effets du séisme. Cette reconstruction sera complexe. Avec le changement climatique, les neiges de l’Atlas disparaissent et, sans neige, il n’y a pas d’eau et, sans eau, il n’y a pas d’agriculture. Mais les paradoxes du séisme sont là également. Des sommets fracturés et des terres éventrées. Des sources que l’on croyait taries depuis des années sont réapparues. Et de nouvelles aussi. Le mouvement de la faille a changé le sol, les réserves aquifères sont remontées en surface. Ici, dans ces montagnes dévastées, nombreux sont ceux qui y voient un signe divin, un message d’espérance.
Le Maroc se relève. On sèche ses larmes, pour le moment. Les touristes vont revenir petit à petit. Le royaume restera focalisé sur sa stratégie d’émergence. Marrakech accueillera à la mi-octobre les assemblées générales du Fonds monétaire et de la Banque mondiale, ainsi qu’une multitude d’événements parallèles. Des milliers de participants seront là pour évoquer les défis du monde. Mais l’impact du séisme est là, tout autour, aujourd’hui et demain. Il faudra reconstruire. S’organiser pour aller vite, réformer ce qui devra l’être dans le fonctionnement institutionnel et la gouvernance du pays, pour être plus efficace, mieux répondre aux attentes. 50000 logements ont été détruits. Dans les régions d’Al Haouz et de Taroudant, près de 1 million de personnes sont concernées parles effets du séisme. Les financements seront là, comme le montre la mobilisation autour du compte spécial ouvert auprès de la Banque centrale. Mais il faudra surtout imaginer, voir différemment. Penser à une nouvelle architecture, à la fois respectueuse des traditions, mais avec des qualités antisismiques avérées. Trouver le moyen de reconstruire à 1500 mètres d’altitude. Se poserla question de l’éparpillement des populations sur un vaste territoire escarpé. Il faudra enfin imaginer une nouvelle économie des montagnes, au-delà des images d’Épinal et du tourisme sac à dos, une intégration de toutes ces régions « économiquement périphériques» dans l’émergence, «faire monter» les services publics, les infrastructures, les opportunités. Faire entrer ces régions dans le Maroc «utile». Pour éviterfinalement que la montagne se vide, que cette ruralité historique se désagrège. Les séismes sont porteurs de tragédie, de destruction et, paradoxalement, de changement, d’adaptation, d’évolution. Pour le Maroc, la tâche est titanesque. Mais pour le Maroc, peutêtre que rien n’est impossible.