Maud Bailly
« L’Afrique est un continent d’avenir, extrêmement dynamique, notamment dans l’hôtellerie »
Maud Bailly est la directrice générale de Sofitel, Sofitel Legend, MGallery & Emblems depuis un an. Elle était au Bénin mi-décembre pour assister à l’inauguration du Sofitel Marina de Cotonou. Elle nous parle, entre autres, des projets du groupe sur le continent.
AM: Vous étiez à Cotonou mi-décembre pour fêter l'inauguration du Sofitel Marina. Pourquoi avoir choisi le Bénin pour installer ce dernier fleuron du groupe ?
Maud Bailly: C’est un immense honneur de donner vie à l’un de nos derniers fleurons à Cotonou, une destination stratégique pour Sofitel, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, pour sa localisation idéale en Afrique de l'Ouest. Ensuite, pour la qualité des investisseurs, à savoir le gouvernement du Bénin, avec qui nous avons tout de suite partagé une ambition commune, ce qui est très important pour nous. Cet hôtel est le premier Sofitel et le premier 5-étoiles du Bénin. Et enfin, c’est une opportunité formidable de proposer aux Béninois toute l’expertise de notre marque, en apportant le meilleur de l’hôtellerie de luxe à la française combiné à un fort ancrage local qui célèbre le patrimoine de ce pays. C'est une exigence supplémentaire de brasser ces deux cultures, avec un engagement RSE assez fort. Le Sofitel Cotonou Marina est un établissement qui sera bientôt écocertifié, comme 60 % de nos hôtels. Nous travaillons à la préservation des ressources, avec des circuits de production locaux. Nous nous employons, grâce à des logiciels d’intelligence artificielle, à réduire le gaspillage alimentaire. C’est un engagement global et, finalement, c’est aussi l'histoire d'un alignement sur l'ambition de la marque et sur la qualité du produit à travers une relation de long terme que l’on a bâtie avec notre partenaire investisseur. Je pense que le Bénin est un pays stable, rassurant, avec un gouvernement solide, engagé pour un tourisme de très grande qualité et durable. Cela nous a vraiment séduits.
Comment se passe le partenariat avec le propriétaire, la société ECHO MARINA-Sofitel Cotonou Marina Hotel & Spa, dont l’État est l’actionnaire majoritaire ? Elle a financé la construction, avec vos conseils, notamment sur l’architecture intérieure ?
Nous entretenons d’excellentes relations de respect et de confiance mutuels. Nous avons été sélectionnés par l’État à la suite d’un appel d’offres que nous avons remporté. Nous avons ensuite joué un rôle d’accompagnement dans la conception du bâtiment, l’architecture d’intérieur, le design, dans un souci de refléter la promesse de la marque. Cette exigence s’est traduite également dans le choix de la restauration, du spa, etc. En fait, c'est une aventure conjointe. Mais ce qui est très intéressant, c'est que nous avons pu nous appuyer sur un gouvernement très engagé, en soutien dans l'exigence de qualité du produit, et surtout en ce qui concerne la formation des collaborateurs. Pour moi, le luxe, c'est du produit, mais aussi du service. Nous avons recruté plus de 350 personnes béninoises et nous les avons formées. Enfin, la culture. Vous découvrirez beaucoup d'œuvres d'art ou de tapisseries béninoises dans le lobby ou dans les couloirs de l’hôtel. Je savais que le Bénin possédait un patrimoine incroyablement riche, mais là, je vous avoue que c'est encore plus impressionnant que ce que j'imaginais. J’aime l'idée que le Sofitel de Cotonou mette en avant l'histoire et la culture locale, jusque dans ses assiettes.
Quelle est la politique actuelle du groupe Sofitel en Afrique ? Avez-vous des projets ? De quel type ?
Nous disposons d’ores et déjà de 19 hôtels Sofitel, Sofitel Legend et MGallery en Afrique. C'est un début, mais nous recelons encore un important potentiel de développement. Nous avons des réseaux différents, certains très nouveaux, d’autres assez anciens. Parmi les réseaux historiques figure notamment le Maroc, avec plusieurs Sofitel et MGallery, tous remarquablement bien placés, dont certains ont déjà été rénovés, comme à Marrakech, et d’autres dont la rénovation est sur le point d'être terminée, comme le Sofitel Thalassa d'Agadir. Nos établissements de Casablanca ou de Rabat font partie des prochaines transformations prévues. Nous avons de sublimes Sofitel en Égypte, comme le Sofitel Legend Old Cataract à Aswan ou le Sofitel El Gezirah au Caire, qui va aussi être rénové. Et nous venons d’en signer deux autres : le Sofitel Cairo Downtown Nile et le Sofitel Legend Pyramids Giza, à proximité de Gizeh et du Grand Musée égyptien. Le Sofitel Impérial à l’île Maurice va lui aussi être rénové. En Afrique de l’Ouest, nous avons bien sûr le légendaire Sofitel Abidjan Hôtel Ivoire, qui sera rénové en totalité au cours des deux ans qui viennent. C'est un hôtel iconique, qui a aidé à construire la réputation de la marque pour le loisir, le voyage d'affaires, les congrès. C'est presque un Sofitel institutionnel ! Par ailleurs, nous aimerions nous développer au Nigeria et en Afrique du Sud, où nous ne sommes pas encore présents. J'aimerais aussi beaucoup revenir au Sénégal, un pays qui m'est cher et qui, je pense, correspond parfaitement à l'identité, aux vibrations, à la culture de Sofitel. Enfin, nous venons de signer un Sofitel aux Comores. Et j'ai la chance de rencontrer le gouvernement de Madagascar en janvier pour de très beaux projets, notamment à Nosy Be.
Quels sont les concurrents de votre groupe en Afrique ?
J'aime à penser que notre promesse et notre positionnement sont différenciants en termes de produits et de services. Il y a de grands groupes et aussi des marques indépendantes ou des plus petites chaînes que je trouve intéressantes. Dans le monde de l’hôtellerie, je crois qu'il faut rester très humble et toujours en alerte dans un marché extrêmement compétitif. Je pense que nos clients veulent vivre des expériences dans des lieux qui incarnent une histoire. On peut posséder le plus bel hôtel au monde, si la culture n'est pas génératrice d'attention ou d'émotion, je ne pense pas que les gens reviennent. Il faut à la fois des lieux choisis avec du cœur, chacun différent, tout en ayant une promesse de service. Mais c’est vrai, notre concurrence ne cesse d'évoluer. Pour moi, c'est vraiment un continent d'avenir, extrêmement dynamique, notamment dans l'hôtellerie. On le voit bien avec le Bénin. La concurrence implique de savoir se remettre en cause, en insistant sur la culture de service et sur une identité, une promesse différente.
Sofitel est une marque française, très identifiée comme telle. Comme vous le savez, un sentiment anti-français se développe dans certains pays d’Afrique. Est-ce que vous le ressentez ?
C’est intéressant, car il y a deux ans, quand j'ai eu la chance de prendre mes fonctions en tant que directrice générale, nous nous sommes posé la question de savoir si le caractère français de notre marque devait faire partie de ses revendications identitaires. Alors nous avons réalisé un audit en interrogeant nos propriétaires et nos clients. À notre grande surprise, ces derniers nous ont dit : « Non, nous, on aime profondément le fait que vous soyez français, parce que cela vous rend différent. Et il y a tellement de marques, qu’il est important que l’on vous choisisse pour votre différence. » Les hôtels Sofitel proposent le meilleur de la France, une France humaniste qui bâtit des ponts entre les cultures, une France qui sait porter à des sommets l'art de bien vivre. Quoi qu'on dise, en France, on boit bien, on mange bien, on dort bien, on chante bien, on aime le beau. Il y a quelque chose d'extrêmement intéressant dans l'art de vivre à la française. Au fond, ce qu'on essaie de transmettre chez Sofitel, c'est un savant goût pour l'excellence et en même temps pour la vie de manière générale. Dans un hôtel Sofitel, nous souhaitons que nos clients apprécient la vie de manière hédoniste et dans toutes ses dimensions. Et enfin, l'esprit français est une forme d'esprit libre, avec une touche d'impertinence, mais jamais d'arrogance. Je suis fière de diriger les marques de luxe les plus françaises du groupe Accor, en prônant les valeurs humanistes de brassage culturel qui nous sont chères.
Vous êtes entrée dans le groupe en 2017. Vous avez été nommée CEO de l’Europe du Sud, puis DG de Sofitel, Sofitel Legend, MGallery et Emblems de l’entité luxe en 2023. Une femme à ce type de poste, ce n'est pas banal. Comment le vivez-vous ? Quel est votre sentiment sur l'évolution des mentalités dans ce milieu ?
La bonne nouvelle, c'est que les choses bougent. Quand je suis arrivée il y a huit ans, il y avait juste la directrice des ressources humaines et moi. J’avais la charge de la transformation digitale. Aujourd'hui, nous sommes huit. C'est Sébastien Bazin, notre chairman et CEO, qui a impulsé des quotas bien avant les lois en France pour encourager la diversité. On est convaincus, chez Accor, de l'intérêt de la diversité de genre, d'âge et d'origine culturelle comme levée de performance collective. Moi, j'ai la chance d'avoir, dans mon quotidien, 43 % de femmes et huit nationalités différentes. Et quand des Allemands parlent à des Australiens, qui répondent à des Hongrois et à des Polonais, ou qui parlent à des Français ou des Italiens, je peux vous dire que ça déménage, et c'est d'une richesse incroyable. Cela dit, l'hôtellerie a longtemps été un monde exclusivement masculin, en tout cas dans les fonctions de pouvoir. Quand j’étais directrice de l'Europe du Sud, toutes marques confondues, j’avais 43 % de femmes directrices d'hôtel. En arrivant chez Sofitel et MGallery dans le segment du luxe, je ne me suis plus retrouvée à l'échelle mondiale qu’avec 24 % de femmes directrices d'hôtel. Nous continuons avec Sébastien Bazin à promouvoir, encore une fois non pas l'idée d'être entourés uniquement de femmes, mais d’en voir davantage accéder à des postes de responsabilité opérationnelle. Elles occupent des fonctions support, achat, juridique, com, RH… Là, on en a toujours. Le but, c'est plutôt de réconcilier femmes et business. Et cela implique de secouer les mentalités à tous les niveaux. La France n'est pas beaucoup plus en avance que d'autres pays sur le sujet. Le Sofitel de Cotonou est l’un de nos plus beaux flagships, et c'est une femme qui le dirige, Juliette Peron. Elle est remarquable. Avoir des modèles comme elle, ça donne confiance à beaucoup d’autres femmes qui lèvent davantage la main, qui osent demander. Et puis, bien sûr, cela se travaille au niveau du groupe. On a énormément de programmes de formation, de mentoring, de coaching. Nous avons récemment organisé une conférence, que nous avons intitulée « Yes, you can ». Nous avons fait intervenir des femmes directrices d'hôtel qui ont expliqué à d’autres que « oui, c’était possible ». Il faut faire taire les musiques toxiques selon lesquelles ce ne serait pas possible, et puis aussi lever nos propres barrières internes, parce que parfois, nous sommes nos pires censeurs. Donc oui, nous venons de loin, mais les choses bougent. Et aujourd'hui, si j’ai la chance d'être là, je veux m'en servir pour montrer que si j'y arrive, tout le monde peut y arriver.