Mbembo Bemba
«Avec le secteur minier, un bel avenir se profile»
Directeur régional de la FirstBank RDC
Abuja a accueilli mi-octobre 2023 la première édition de la Nigeria Mining Week, un forum auquel assistait Mbembo Bemba, directeur régional de la FirstBank à Lubumbashi en RDC. Il nous livre son expérience et ses réflexions.
AM: Pourquoi êtes-vous venu à Abuja?
Mbembo Bemba : Pour participer à la première édition de la Nigeria Mining Week, sponsorisée par la FirstBank pour laquelle je travaille à Lubumbashi, en République démocratique du Congo, en tant que directeur régional pour le Grand Katanga. C’est une zone principalement minière, avec de grandes ressources en cuivre et en cobalt. Notre expérience en matière de financements miniers est connue. Je suis ici pour apporter mon expertise au Nigeria, qui reprend peu à peu ses exploitations.
Parlez-nous du secteur minier au Nigeria. Florissant par le passé, il a ensuite été longtemps délaissé. Pourquoi?
Le Nigeria regorge de ressources minières, dont des minerais stratégiques comme le lithium, très utilisé depuis la transition énergétique et la fabrication des batteries. Il renferme aussi de l’étain, du tantale, du bitume, du charbon, etc. Avant l’indépendance, jusqu’aux années 1940, le pays était très axé sur ce marché. Il faisait partie des plus gros producteurs d’étain de la planète. Dans les années 1950, avec la découverte des ressources pétrolières, le secteur minier a été mis de côté et l’économie a tourné autour de l’or noir seul. Mais ces cinq dernières années, on constate une forte envie de diversifier l’économie et de développer d’autres secteurs d’activité, comme l’agriculture également. On a pu assister à des développements assez importants dans le secteur aurifère, sur le lithium. De nombreuses prospections ont été menées et certaines exportations ont commencé. C’est important pour nous, en tant qu’institution financière, de faire partie d’un forum comme celui-là pour pouvoir aborder certaines thématiques et difficultés, échanger avec les acteurs du marché pour voir de quelle manière se positionner sur une activité en plein essor. La FirstBank a une forte ambition dans le domaine des mines.
Comment se passe le financement d’un projet minier?
Il existe plusieurs étapes. La première est la prospection et l’exploration. C’est un peu un pari, car on n’est pas sûrs à 100% des ressources sur lesquelles on va tomber. Pour une institution financière, participer, à ce stade, est compliqué. Cette première étape est menée sur la base de capitaux propres. Une fois que les explorations certifient la présence de réserves, il est possible de chercher des financements et lever des fonds. Notamment pour l’étape de la construction, qui nécessite le plus de financements, sur du moyen, voire du long terme, parce que la construction d’une usine minière prend du temps.
Combien de temps?
Cela dépend du minerai, de la taille, de la capacité. La période peut varier de 12 à 24 mois. Pendant ce temps, seules des dépenses sont réalisées, avec zéro revenu. Les financements viennent généralement des capitaux de l’entité qui exploite, du secteur financer, c’est-à-dire des banques prêtes à prendre le risque en fonction des garanties mises en place par l’entité exploitante, l’historique de l’entreprise et son expérience prouvée ou non, etc. Ces dernières années, de plus en plus d’institutions et de banques de développement, comme Africa Finance Corporation (AFC), International Finance Corporation (IFC), AfreximBank ou la Banque mondiale, participent également.
Quels types d’investisseurs se lancent dans le secteur des mines, aujourd’hui, au Nigeria? Des locaux? Des étrangers? Et quelles sortes de minerais ont le vent en poupe?
On perçoit l’intérêt d’entités locales, mais il y a aussi beaucoup de prospections d’acteurs internationaux. Tesla, par exemple, s’intéresse au lithium nigérian. En effet, l’entreprise cherche des alternatives au cobalt, dont le cours a fortement augmenté et dont les réserves mondiales sont limitées. L’or attire aussi, même si la plupart des gisements aurifères sont situés au nord du pays, dans des zones à risque. Mais certaines exploitations ont été lancées.
Le président Bola Tinubu et son gouvernement semblent motivés à diversifier l’économie et à promouvoir les mines. Mais y a-t-il encore des freins au développement, et lesquels?
Le débat concerne le cadre réglementaire et la différence entre les gouvernements fédéral et locaux. Les ressources minières sont la propriété du gouvernement fédéral, mais les sites miniers dépendent des autorités locales. Cela pose parfois des soucis politiques, ou autres. Une cartographie très attendue devrait être mise en place. Enfin, je pense qu’il faudrait mettre l’accent sur des recherches plus approfondies des ressources, afin de savoir où elles se situent, quelles sont les réserves approximatives et leur teneur. Cela pourrait faciliter l’implication de certains investisseurs nationaux et internationaux.
Quel est votre avis sur l’avenir du secteur, à court et moyen termes?
Il y a un réel engouement et une forte ambition. Cette première édition de la Nigeria Mining Week s’est tenue à Abuja, cette année, et le Nigeria est de plus en plus présent au forum Mining Indaba, en Afrique du Sud. Je suis assez optimiste. Il y a de grandes réserves, de belles teneurs. Quand on voit comment le pays s’est développé, uniquement avec l’exploitation de l’or noir, on peut supposer qu’en ajoutant le secteur minier, un bel avenir se profile.
Segilola Gold, première mine à l’échelle industrielle La production, entrée en exploitation fin 2021, illustre le regain d’intérêt des investisseurs étrangers pour les richesses aurifères. En 2016, l’entreprise canadienne Thor Exploitations acquiert le projet aurifère Segilola, à Osun, à 120 kilomètres de Lagos. Après les phases de forage, préfaisabilité, faisabilité, financement, approvisionnement et construction, qui ont nécessité cinq ans, la mine entre en exploitation fin 2021. C’est la première à l’échelle industrielle du Nigeria. Au cours de sa première année complète d’exploitation, en 2022, Segilola a produit 98000 onces d’or. Elle emploie 1600 personnes, dont 90% de Nigérians. Parmi eux, 26% sont issus des communautés locales. Érigé en exemple dans la volonté de diversifier les ressources du pays notamment en valorisant le secteur minier, laissé à l’abandon depuis la découverte de l’or noir , le projet Segilola est en passe de s’agrandir. La durée initiale de la mine étant assez courte (cinq ans et demi), la société a déjà identifié plusieurs systèmes de veines minéralisées à haute teneur dans un rayon de 50 kilomètres. Selon James Philip, chef des opérations chez Thor Exploitations, le Nigeria dispose d’une main-d’œuvre solide et bien formée, désireuse de progresser, et d’un paysage politique stable. Le seul bémol reste l’absence ou la vétusté des infrastructures: «La surcharge des ports, le mauvais état des routes et l’absence d’alimentation électrique fiable sont autant de freins.» Or, il se réjouit du nouvel élan que le gouvernement de Tinubu a décidé de donner au secteur. «La loi sur l’exploitation minière est progressiste et vise clairement à établir un environnement favorable à son développement. Le ministère travaille actuellement à son amélioration concernant quelques ambiguïtés pour améliorer l’interface entre les législations financière et fiscale.» |