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À MI-CHEMIN

Par zlimam - Publié en octobre 2015
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Lurnes. Pour la première fois peut-être de son histoire, le pays phare de l’Afrique de l’Ouest pourrait vivre une élection présidentielle « normale », sans la présence écrasante d’un père de la nation omniprésent. Avec un scrutin sans cadre « négocié », sans « circonstances exceptionnelles » et sans boycott d’un candidat majeur, et des opposants qui jouent leurs rôles… Une consultation des citoyens prévue par le calendrier dans le respect des institutions : « 2015 » a une valeur symbolique forte. En ce qui concerne Alassane Ouattara, l’enjeu dépasse la question de son avenir politique. Pour lui aussi, il s’agit de sortir des « circonstances exceptionnelles » qui ont marqué son accession au pouvoir, de s’émanciper de la trop longue dynamique des crises et de s’imposer comme un candidat classique au profil « rassembleur », qui n’est plus issu des « événements ». Un « candidat normal » qui parle, autant que possible, à toute la Côte d’Ivoire. Sondage, intentions de votes, vox populi vont tous dans le même sens : fort de son bilan et de l’alliance entre son parti, le Rassemblement des républicains (RDR), et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié, le président sortant devrait être réélu sans trop de difficultés, et probablement au premier tour. Mais comme l’opinion vous le dira aussi, une élection présidentielle est toujours difficile. Particulièrement en Afrique. Les États sont fragiles, les arguments électoraux souvent violents ou au ras du sol. La déstabilisation est toujours possible. L’épreuve est donc là. La question, pour la Côte d’ivoire et sa classe politique, est de passer un cap pour entrer dans le club des « démocraties émergentes ». Le pari n’est pas impossible, loin de là.

Quel que soit le regard que l’on porte sur sa personne ou sa politique, Alassane Ouattara aura mis fin à un long cycle de stagnation, voire de reculs. De la fin de l’ère Houphouët (1989) à la chute de Laurent Gbagbo (2010), la Côte d’Ivoire s’est comme lentement arrêtée, prise dans les tourments d’une succession manquée. Empoisonnée aussi par cette idée perverse de « l’ivoirité », notion destructrice d’après laquelle certains seraient Ivoiriens et d’autres pas, dans un pays pourtant devenu, par les forces de l’histoire, une terre de métissage. Vingt ans et quelque de coup d’États, d’élections tronquées, de partitions, d’interventions étrangères, de mauvaise gestion, d’arrêt des investissements, de dislocation de l’appareil d’État, de corruption endémique… Vingt ans, et presque un miracle en soi que le pire absolu ait pu être évité, en particulier après les élections présidentielles de 2010 et le coup de force suicidaire de Laurent Gbagbo.

Depuis, la machine est repartie. On construit des autoroutes, des écoles, des universités. Les taux de croissance à presque deux chiffres s’alignent année après année. Dans certains domaines, comme l’eau, on a fait plus en cinq ans qu’en un demi-siècle d’indépendance. Les « diaspos » sont de retour, créent des entreprises ou s’investissent dans la fonction publique. Abidjan a repris progressivement sa place de capitale régionale et de métropole africaine. Les hommes d’affaires se bousculent. Bref, même si certains parlent de simple rattrapage et d’autres de second miracle (voir p. 62), l’économie a repris sa marche en avant. Plus important encore, le pays a retrouvé la paix, fragile mais tellement essentielle. La Côte d’Ivoire est de nouveau « une ». L’autorité publique s’exerce aux quatre coins de la nation. Une forme, même imparfaite, de rationalité s’est installée dans la machine de l’État.

Enfin, il y a un projet et une ambition. Alassane Ouattara a les idées claires et de l’autorité. Il préside et commande au sens propre comme au figuré. Le « reste » suit avec plus ou moins d’enthousiasme, mais ça suit…
Les Ivoiriens ne s’en rendent peut-être pas compte eux-mêmes, mais le chemin qu’ils ont parcouru pour sortir des crises en si peu de temps est tout à fait unique. Il y a cinq ans, nous étions au bord d’un désastre. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire est l’un des très rares pays de la zone franc qui inspire confiance à moyen terme.

Évidemment, dire que tout est réglé serait pour le moins présomptueux. La paix et la stabilité demeurent encore des enjeux cruciaux. On revient de loin, de très loin. La polarisation, le débat ethnique couvent encore. La réconciliation reste un processus complexe qui échappe largement aux textes, aux lois, aux institutions, aux procès médiatisés : elle se joue dans les cœurs et dans la naissance d’une nouvelle identité ivoirienne, inclusive, qui rassemble toutes les différences. Quant à la croissance, elle est bien là. L’émergence économique va bien au-delà du simple slogan mobilisateur. Mais cette thématique parle essentiellement aux élites et à la communauté internationale des affaires ou des bailleurs. Pour le plus grand nombre, confronté à une réalité quotidienne encore très difficile, le « bitume ne se mange pas ». La pauvreté reste une réalité tangible. Les citoyens veulent moins de chômage, plus de travail. L’émergence doit donc descendre vers le plus grand nombre, ouvrir les portes de la création d’entreprise, stimuler l’artisanat, l’innovation, les nouveaux secteurs – technologie, tourisme, services…

Comme le souligne un investisseur international familier de la région, « la Côte d’Ivoire a longtemps vécu repliée sur elle-même, d’abord assise sur sa position de leader régional, puis paralysée par les crises, à l’écart du souffle de la mondialisation, du brassage des idées. L’une des clés du futur, c’est aussi de déverrouiller ce provincialisme, de s’inscrire dans une ambition plus vaste. Il n’y a pas de raison qu’Abidjan ne se positionne pas comme Nairobi avec sa vigoureuse culture high-tech ».

Cette ambition « plus vaste » doit aussi et enfin permettre de répondre à l’immense défi que pose la jeunesse. Plus de 40 % de la population a moins de 15 ans, 70 % moins de 30 ans. C’est l’avenir de la Côte d’Ivoire. Les jeunes ont besoin d’avenir, d’éducation, d’espaces à conquérir, et de moins de « grand-frérisme ». Ils veulent faire partie du projet national.

Ce hors-série tente de faire le portrait d’un pays en pleine mutation. Cette évolution a besoin d’un capitaine, un homme d’expérience et de projets, capable d’allier les concepts de développement et de stabilité, et d’ouvrir le chemin aux nouvelles générations. C’est le défi d’ADO.