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Interview

Nabil Mohamed Ahmed :
«Djibouti a su intégrer la résilience climatique dans tous ses plans»

Par Zyad Limam Cédric Gouverneur
Publié le 25 avril 2025 à 12h11
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Crée en 2022, l’Observatoire régional de la recherche et du climat (ORREC) cherche à anticiper les sécheresses et à accompagner les populations. Du 14 au 16 avril s’est tenue la seconde édition de la conférence internationale de Djibouti sur le changement climatique, la recherche et la résilience (2CR2). Entretien avec le ministre djiboutien de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

AM : Quels sont les principaux enjeux mis en avant par la conférence ?

Nabil Mohamed Ahmed : 2024 a été la première année à dépasser les 1,5 °C. L’augmentation des gaz à effet de serre fait que le climat continue à s’emballer, avec des pics de chaleur sans précédent provoquant sécheresses, incendies et inondations. Et malgré cela, le scepticisme sur la question climatique gagne du terrain… Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en appui à l’initiative climat du président Ismaïl Omar Guelleh lancée en octobre 2022, a donc réuni dirigeants politiques, chercheurs, institutions nationales, régionales et internationales ainsi qu’acteurs de la société civile afin de faire le point sur la question climatique, d’évaluer les programmes tout en établissant un plaidoyer pour une transition juste et équitable. L’objectif est de renforcer la coopération régionale scientifique, de promouvoir la résilience par des projets innovants qui permettent de prévenir les conflits et d’assurer la gestion durable des ressources naturelles.

L’Observatoire régional de recherche pour l’environnement et le climat (ORREC) est un instrument unique dans la région. Quel est le bilan de ses deux premières années d’exercice ?

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Le président Ismaël Omar Guelleh lors de l’ouverture de la conférence 2CR2 à Djibouti le 14 avril dernier. DR

L’ORREC a déjà atteint des objectifs à fort impact. Citons l’accréditation de ses laboratoires par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ; le développement d’une méthodologie unique de suivi de la nutrition humaine et animale utilisant des technologies nucléaires ; la création d’un réseau de stations de contrôle hydroclimatique de la qualité de l’air, de l’eau et des sols ; la surveillance et le suivi de cyclones tropicaux ; le renforcement des capacités nationales, par la formation de 250 élèves et étudiants et l’encadrement de 8 thèses de doctorat ; le soutien aux agropastoralistes, en gestion des parcelles agricoles et du bétail, par l’utilisation des analyses et des savoirs nucléaires ; le lancement d’une alliance doctorale au niveau de la sous-région (Éthiopie, Kenya, Somalie, Tanzanie et Djibouti) et la création d’une base de données régionale, la ZAPIs ; l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) pour développer un modèle de prédiction de la qualité des eaux souterraines de la nappe transfrontalière ; la mise en place d’un programme de collaboration actif avec 12 institutions régionales et 5 institutions européennes. Et enfin, le développement d’un modèle dynamique local de prévision des phénomènes extrêmes, à une échelle de seulement 3 kilomètres, là où les modèles globaux ont une échelle de 200 kilomètres.

Comme l’a souligné le président Guelleh lors de la conférence, la question essentielle reste celle de la « justice climatique ». Quel a été votre constat au cours de la conférence 2CR2 ?

Un constat plutôt amer, car l’engagement de 100 milliards de dollars par an pris – dès 2009 à Copenhague – par les pays riches afin de soutenir les pays en développement n’a pas été respecté… La création du fonds “pertes et dommages” à la COP27 reste une promesse. Globalement, les pays du Sud peinent à accéder aux fonds climatiques mondiaux.

Avec l’arrivée d’une nouvelle administration climatosceptique aux États-Unis, comment maintenir un agenda international dynamique ?

Le changement climatique n’a pas de frontière. Ce qui peut rassurer, c’est que la grande majorité des dirigeants des pays dans le monde (Union européenne, pays africains et asiatiques…) n’adhèrent pas à cette position sceptique. Les pays du Sud et les ONG doivent s’unir autour d’un agenda de justice climatique – comme ils le font lors de différentes COP – en défendant une position commune et solidaire. L’Union africaine (UA) pourra ainsi devenir le porte-drapeau d’une justice climatique, au service du continent.

Le président Guelleh a souligné l’importance d’une « collaboration régionale ».

Devant l’urgence de la situation, l’appel du président Ismaïl Omar Guelleh est louable. Des actions conjointes rapprochant et mobilisant les institutions régionales, les ONG et la société civile, les scientifiques, etc., peuvent changer la donne, initier une prise de conscience quant à l’importance de travailler ensemble en intégrant pleinement la résilience climatique dans les stratégies de prévention des conflits et de consolidation de la paix. Il est indispensable, par exemple, de soutenir la coopération en matière de gestion des bassins hydriques transfrontaliers pour éviter que l’eau ne devienne un vecteur de division, pour qu’elle se mue au contraire en moteur de coopération.

Djibouti est sur la ligne de front du changement climatique. Comment décrire cette réalité ? Comment luttez-vous à l’échelle nationale ?

Notre pays connait une hausse des températures et des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes, causant des sécheresses récurrentes accentuant le stress hydrique dû à la faible pluviométrie. Tout ceci crée une véritable pression sur les écosystèmes et les populations. Dans ce contexte, Djibouti a su intégrer la résilience climatique dans tous ses plans de développement. Nous avons su anticiper les chocs climatiques en sécurisant des ressources en eau à l’échelle nationale (désalinisation de l’eau de mer, récupération des eaux pluviales, etc.), ou à l’échelle régionale en finançant un projet de partage d’eau douce avec l’Éthiopie. Le pays appuie la recherche afin de garantir la collecte de données scientifiques fiables. Pour assurer la sécurité alimentaire, un projet de développement de l’agriculture oasienne utilisant des technologies innovantes est en cours. C’est une avancée majeure vers une agriculture plus intelligente, plus durable et plus résiliente.

Djibouti a un objectif ambitieux pour 2035 : un bouquet énergétique 100 % renouvelable ainsi que l’accès universel à l’électricité.

C’est l’objectif stratégique. Djibouti a lancé plusieurs initiatives pour diversifier son bouquet énergétique. La mise en place d’un parc éolien de 60 MW dans le Goubet (baie du golfe de Tadjoura) illustre cette volonté. Par ailleurs, une nouvelle centrale solaire, d’une capacité de 30 MW, viendra d’ici peu renforcer le réseau électrique national en énergie renouvelable. Enfin, le pays a lancé plusieurs programmes d’exploration géothermique, qui représentent un potentiel important. De plus, la coopération régionale avec l’Éthiopie permet l’accès à l’hydroélectricité à raison de 70 % des besoins. Enfin, des études sont en cours pour utiliser l’énergie maréemotrice et l’hydrogène vert.