Namibie
Entre les hommes et les bêtes
Terre de tourisme et de préservation, le pays fait face à une sécheresse exceptionnelle. Et à une situation économique complexe, marquée par les inégalités persistantes. À quelques semaines d’une élection cruciale, le gouvernement a pris la décision d’autoriser l’abattage d’animaux sauvages. Polémique.
La Namibie est un pays où l’on peut véritablement ressentir l’immensité du monde. Avec ses vastes étendues désertiques bordées par les eaux de l’Atlantique, elle affiche l’une des plus faibles densités au niveau mondial : 2,5 millions d’habitants pour un territoire de 824292 km², soit presque 1,5 fois la superficie de la France. Ses déserts révèlent une diversité de paysages impressionnants, des dunes rouges aux sols argileux, où la nature règne en maître et la présence humaine apparaît comme une exception. Ces panoramas saisissants donnent l’impression de pénétrer dans un univers irréel. Mais au-delà de ses paysages grandioses, la Namibie affiche aussi un développement remarquable. Le pays est classé parmi les dix premières économies d’Afrique subsaharienne, avec un PIB de 12 milliards de dollars en 2022 (PIB par tête de 4800 dollars). Sa capitale Windhoek, ses collines verdoyantes et son architecture moderne sont le reflet de ce développement. Aujourd’hui, le pays est particulièrement connu pour le tourisme, qui occupe une place de choix dans l’économie nationale. Il attire les voyageurs avides de découvrir sa faune, l’une des plus impressionnantes au monde dans une région sèche, et ses paysages hors du commun. En plus de cet atout touristique, la Namibie possède d’importantes ressources minières, notamment des diamants, de l’or, de l’argent et de l’uranium, dont l’exploitation représente environ 20%de son PIB. Ce secteur contribue de manière significative à la prospérité économique du pays.
L’État se démarque également par son engagement visionnaire en faveur de l’environnement: dès son indépendance, il inscrit la protection de la nature dans sa Constitution, devenant ainsi un modèle de conservation en Afrique. Aujourd’hui, 44% de son territoire est constitué d’espaces protégés, selon la WWF France, témoignant de sa riche biodiversité et de son engagement envers la protection de l’environnement. La Namibie a vu des populations d’espèces menacées, comme le rhinocéros noir, croître grâce à des initiatives communautaires et à une baisse significative du braconnage.
FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET AUX INÉGALITÉS
Le système d’autogestion des aires protégées a confié un rôle clé aux communautés locales, renforçant non seulement la surveillance et la préservation de la faune, mais offrant aussi des bénéfices économiques durables. En se voyant attribuer la responsabilité directe de ces terres, les habitants ont développé un lien profond avec leur environnement et un fort sentiment d’appartenance. Cette implication accrue favorise leur engagement dans la lutte contre le braconnage et encourage une utilisation respectueuse des ressources naturelles. Les résultats sont concrets: stabilisation de certaines espèces menacées, sensibilisation croissante aux enjeux environnementaux, et équilibre harmonieux entre préservation de la biodiversité et moyen de subsistance pour les populations locales. Cependant, cette prospérité économique et écologique contraste avec les blessures d’un passé colonial douloureux. La Namibie a d’abord été occupée par l’Allemagne, responsable du génocide des peuples Herero et Nama, les deux principales tribus du pays. Ces éleveurs de bétail furent exterminés dans le but d’anéantir toute résistance à la domination coloniale. Environ 65000 Hereros et 10000 Namas ont péri, représentant respectivement 75% et 50% de la population de chaque communauté.
En 1920, après la capitulation allemande, le territoire passe sous mandat sud-africain. Le régime d’apartheid y est alors imposé, laissant des séquelles profondes, qui perdurent encore aujourd’hui. Bien que le pays ait obtenu son indépendance en 1990 sous l’impulsion de la SWAPO (Organisation du peuple de l’Afrique du Sud-Ouest), il reste l’un des plus inégalitaires au monde: plus de la moitié de la population y vit avec moins de deux dollars par jour. Derrière une apparence moderne, la capitale est entourée de townships qui témoignent de la subsistance de fortes disparités. Par ailleurs, la Namibie demeure économiquement dépendante de l’Afrique du Sud, son principal partenaire commercial. En 2024, cette vulnérabilité économique et sociale est exacerbée par une baisse de la demande mondiale de diamants, ralentissant l’économie. Ce coup dur est aggravé par une sécheresse sans précédent, la plus grave depuis des décennies, qui menace l’autre pilier de son économie: l’agriculture, dominée par l’élevage. Ce secteur, essentiel pour l’emploi d’environ un quart de la population namibienne, selon la Banque mondiale, subit de plein fouet les effets du changement climatique, accentuant la précarité sociale dans un contexte déjà fragile. La sécheresse aggrave la compétition entre les populations humaines et la faune sauvage pour les ressources naturelles. Les éléphants, rhinocéros et autres grands herbivores se retrouvent en concurrence directe avec les agriculteurs pour l’accès à l’eau et aux pâturages. Les léopards, quant à eux, continuent d’attaquer les élevages, exacerbant les tensions dans les zones rurales.
Ce conflit homme-animal, autrefois maîtrisé, refait surface dans un contexte où le changement climatique fragilise l’équilibre naturel. Cette tension est une préoccupation mondiale, car elle a des répercussions sur les moyens de subsistance, la sécurité et le bien-être des communautés. Devant cette situation critique, le gouvernement namibien a pris une décision difficile et controversée: en septembre, le ministère de l’Environnement a autorisé l’abattage de plus de 700 animaux sauvages hippopotames, éléphants, buffles, gnous, zèbres et impalas dans les zones les plus touchées par la sécheresse.
Depuis cette annonce, près de 160 animaux ont déjà été tués. La décision vise à réduire la pression sur les ressources naturelles, tout en fournissant de la viande aux populations les plus affectées. Selon l’ONU, plus de la moitié de la population serait touchée par l’insécurité alimentaire, car le pays avait épuisé 84% de ses réserves en août. Cette mesure, bien que motivée par des impératifs humanitaires, soulève de vives protestations. L’organisation de défense des animaux PETA dénonce une atteinte irréversible à la biodiversité et rappelle que les animaux sauvages et les humains n’utilisent pas les mêmes sources d’eau, invalidant ainsi l’argument de la concurrence pour les ressources. Elle souligne également les risques sanitaires liés à la consommation de viande d’animaux sauvages, qui pourrait augmenter le risque de nouvelles pandémies. De nombreuses ONG locales indignées invitent à signer des pétitions, afin d’exhorter le gouvernement à renoncer à cette initiative, considérée comme une solution à court terme risquant de gravement perturber les écosystèmes et de compromettre des décennies d’efforts de conservation.
PRÉSERVER L’ÉCOSYSTÈME
D’autres opposants soulignent également l’impact potentiel de cette mesure sur l’image de la Namibie à l’international. Le pays, qui attire des milliers de visiteurs chaque année grâce à sa faune sauvage emblématique, pourrait voir sa réputation ternie par cette décision. Le tourisme est en effet directement lié à la protection de ses paysages uniques et de ses animaux. Si la faune est perçue comme menacée, l’afflux de visiteurs pourrait chuter, accentuant encore les difficultés économiques du pays. Cette annonce n’est pas le seul point de friction avec les objectifs de protection environnementale en Namibie. Récemment, la découverte d’un gisement de pétrole au large des côtes, estimé à 11 milliards de barils, a suscité l’espoir d’une croissance économique sans précédent. Cette capacité d’extraction pourrait faire du pays le cinquième producteur de pétrole en Afrique et, selon les autorités, pourrait même doubler le PIB du pays d’ici à 2040. Cependant, cette perspective divise l’opinion: d’un côté, les retombées financières envisagées sont significatives; de l’autre, la préservation d’un écosystème parmi les plus importants du continent est en jeu. Le projet pétrolier serait implanté dans le bassin de l’Orange, tout près du delta de l’Okavango, un site classé au patrimoine mondial de l’Unesco et l’un des plus vastes marais d’eau douce d’Afrique. Cette région, refuge pour une faune sauvage exceptionnellement riche, pourrait être gravement menacée par l’extraction pétrolière. Les associations de protection de l’environnement redoutent notamment les risques de fuite de polluants, qui pourraient contaminer les terres agricoles, les cours d’eau et les rares sources d’eau potable, un danger particulièrement préoccupant dans un pays déjà touché par la sécheresse. La faune locale et les paysages, véritables trésors naturels, risquent d’être altérés de manière irréversible.
ENTRE CONSERVATION ET SURVIE
Les communautés locales, de leur côté, expriment leurs préoccupations face à ce projet opaque, dont elles ne connaissent ni l’avancée ni les potentielles conséquences à long terme. La méfiance grandit, alimentée par l’incertitude quant aux impacts de cette exploitation sur leurs moyens de subsistance, leur accès à l’eau, et l’équilibre écologique de leur région. À l’approche des élections législatives et présidentielles de novembre 2024, ces événements récents pourraient avoir des répercussions politiques significatives. Un groupe de chercheurs et de défenseurs africains de l’environnement a souligné que la décision d’abattage d’animaux intervient juste avant les élections et pourrait servir à distribuer de la viande dans les zones où la SWAPO fait face à une forte opposition. En effet, ce parti au pouvoir depuis l’indépendance a vu sa popularité s’éroder en raison des inégalités persistantes, de la pauvreté et du chômage. Lors des dernières élections de 2019, la marge de victoire du président Hage Geingob avait chuté à 56%, contre 87% en 2014. La perte de contrôle de la capitale Windhoek et des villes portuaires de Walvis Bay et Swakopmund au profit de l’opposition témoigne de ce déclin. En outre, la dynamique politique change, avec une part croissante d’électeurs urbains et de jeunes nés après l’indépendance en 1990, dont la perspective sur les mérites de la SWAPO en matière de libération diffère de celle des générations plus anciennes.
La candidate de la SWAPO, Netumbo Nandi-Ndaitwah, première femme à représenter le parti, était favorite jusqu’à maintenant. Or, les controverses récentes pourraient affecter son succès. La négligence perçue des préoccupations des communautés locales face aux conséquences environnementales de l’extraction pétrolière, bien qu’encouragée par la promesse de retombées économiques, pourrait lui être défavorable. D’autant que l’opposition gagne du terrain: en 2019, Panduleni Itula, dirigeant du parti Independent Patriots for Change (Patriotes indépendants pour le changement) et principal rival de la SWAPO, a obtenu le meilleur score jamais atteint par un candidat d’opposition à la présidentielle en Namibie. De plus, les partis concurrents ont récemment renforcé leur organisation et leur capacité à mobiliser, intensifiant la compétition dans cette élection décisive.
Finalement, ce dilemme entre conservation et survie met en lumière les défis auxquels la nation doit faire face. Le choix du gouvernement soulève des questions cruciales pour l’avenir du pays en matière de gestion des ressources naturelles, de développement durable et de satisfaction des besoins immédiats de la population. La Namibie est ainsi confrontée à un tournant où les priorités politiques et économiques de longue date doivent être réévaluées pour répondre aux exigences d’un avenir incertain. Reste à savoir si le peuple choisira de continuer sur la voie de la SWAPO, ou d’opter pour une alternative qui pourrait redéfinir la trajectoire du pays.