Nicole Sulu
« L’Afrique a tout pour réussir, si elle crée des ponts entre ses talents, ses ressources et les investisseurs »
Nicole Sulu est la fondatrice de l’International Business Forum Makutano, dont la dixième édition s’est tenue mi-novembre à Kinshasa.
AM: Du 13 au 15 novembre dernier, Makutano a fêté sa dixième édition à Kinshasa. Comment pourriez-vous définir la nature et les objectifs de ce forum ?
Nicole Sulu: Makutano est avant tout un réseau d'affaires conçu pour connecter les Africains. Né de l’observation des blocages économiques régionaux, il a donné naissance à une plate-forme unique, le forum. Lors de son lancement en 2014 à Kinshasa, l’objectif était clair : offrir un espace où entrepreneurs, décideurs publics et privés peuvent se rencontrer, dialoguer et agir ensemble pour libérer le potentiel économique de la région.
Dix ans plus tard, c’est devenu un véritable catalyseur d’opportunités : c’est un facilitateur de deals qui accélère des projets ambitieux. On y trouve des discussions stratégiques, mais aussi des partenariats qui se concrétisent. Par exemple, grâce à Makutano, des projets dans l’agriculture, les infrastructures ou encore l’énergie ont vu le jour, avec des impacts réels sur les communautés.
Au-delà des affaires, Makutano, c’est aussi la conviction que l’Afrique a tout pour réussir si elle crée des ponts entre ses talents, ses ressources et les investisseurs. Et je crois que nous sommes de plus en plus nombreux à y croire. J’en veux pour preuve l’affluence : il y a dix ans, nous étions vingt au lancement du réseau, et à l’occasion de cette dixième édition, nous avons réuni plus de 1 000 décideurs africains et internationaux. C’est ce rôle de facilitateur que le forum joue aujourd’hui – en RDC, mais aussi dans toute l’Afrique.
Dix ans, c’est une belle longévité. Sur quels principes s’appuie le forum pour s’imposer et « durer » ?
Le Forum Makutano ne se contente pas d’être un lieu de rencontres, il est conçu pour transformer ces échanges en opportunités concrètes. Avant chaque édition, nous identifions les priorités et les blocages pour proposer des solutions adaptées.
Notre longévité repose aussi sur la qualité de nos intervenants et notre rôle fédérateur. Makutano réunit les bonnes personnes : les autorités publiques, qui créent un cadre favorable, et les opérateurs privés, moteurs de richesse. Ce dialogue stratégique permet de bâtir des partenariats fructueux, qui contribuent au développement économique durable du continent.
Par ailleurs, Makutano est bien plus qu’un événement annuel : c’est un écosystème actif, où les membres collaborent tout au long de l’année pour faire avancer leurs idées. Avec l’implication de personnalités politiques et d’investisseurs, nous garantissons un environnement propice pour que les projets puissent réellement décoller.
Et puis il y a notre réseau. On ne parle pas juste de grandes personnalités économiques ou politiques : Makutano, c’est plus de 600 membres actifs en Afrique et dans le monde qui travaillent ensemble, tout au long de l’année, sur des solutions adaptées aux réalités locales. Ce maillage, on l’entretient. Makutano n’est pas seulement un forum : c’est une marque de confiance, un label pour les investisseurs et un moteur de changement pour l’Afrique. Et c’est ce qui nous rend aujourd’hui indispensables dans l’écosystème.
Le forum agit comme un spectaculaire point de rencontres. Comment s’assurer que cette « place publique » agisse en réel incubateur d’affaires pour les entreprises, et avec des résultats tangibles ?
Ce qui fait la force et la singularité de Makutano, c’est d’être un facilitateur de deals. Le forum ne se limite pas à des discussions théoriques : il crée un cadre pragmatique et propice aux résultats tangibles, où les échanges aboutissent à des partenariats stratégiques et des projets concrets.
Chaque édition débouche sur de vrais engagements. Par exemple, lors de la dernière édition, le ministre des Hydrocarbures, S.E.M. Aimé Molendo Sakombi, a annoncé un nouvel appel d’offres dans le secteur pétrolier prévu pour le premier trimestre 2025, accompagné d’un régime fiscal attractif et sécurisé pour attirer les investisseurs.
À la suite du Makutano 9, qui s’est tenu à Abidjan, nous avons également constaté une augmentation des échanges commerciaux de plus 7 milliards de francs CFA entre la Côte d’Ivoire et la RDC.
Mais ce n’est pas tout. Au cours des quatre dernières années, plus de 350 contrats ont été signés entre les membres du réseau Makutano. Par exemple, sur les problématiques de financement, nous avons été à l’origine de deux conventions entre Proparco et les banques congolaises Equity BCDC et Advans Banque Congo, d’une valeur totale de 15 millions d’USD. Ces accords sont déjà en train de donner naissance à des projets concrets.
Ces résultats tangibles illustrent parfaitement le rôle du Makutano en tant que facilitateur de deals : un espace où les participants reviennent chaque année, convaincus qu’ils y concrétisent des partenariats et signent des accords significatifs.
Certains décrivent Makutano comme un instrument majeur de soft power pour la RDC. Avez-vous le sentiment d’avoir une mission dans ce domaine, celle de projeter une image plus attractive et positive du pays ?
Oui, absolument. Makutano est un important levier stratégique pour changer l’image de la RDC. Trop souvent perçue sous le prisme de ses défis, le pays a un potentiel immense à offrir : des ressources naturelles, des talents, des idées et des opportunités économiques. Et Makutano est là pour le montrer : on peut faire des affaires en RDC, mais aussi y produire, innover et créer. Dans cet élan, à l’occasion de cette dixième édition du forum, nous avons voulu accorder une attention toute particulière à d’autres leviers de notre économie qui sont de véritables instruments de soft power, à l’instar de la House Industries culturelles et créatives. La culture est un levier d’influence majeur et nous avons exploré des pistes concrètes, comme la production de séries et films locaux. Ces initiatives ne sont pas seulement des instruments de rayonnement culturel, mais aussi des opportunités économiques et diplomatiques qui projettent une image positive et moderne de notre pays.
En proposant un nouveau récit autour de la RDC – un pays qui surmonte ses défis pour devenir un moteur de transformation africaine –, Makutano s’impose comme un instrument légitime de soft power. Nous voulons montrer une RDC innovante, résiliente et prête à inspirer le monde entier, tout en construisant des partenariats internationaux solides.
Makutano voyage, mais le forum est chez lui à Kinshasa. Vous dites que « la RDC doit être le cœur battant de l’émergence africaine ». Comment voyez-vous l’évolution du pays ? Comment concrétiser au jour le jour ce formidable potentiel ?
Pour moi, l’évolution de la RDC repose sur deux axes : continuer à créer un cadre favorable aux affaires pour attirer les investisseurs, et renforcer les liens avec les autres pays d’Afrique pour bâtir un continent fort et prospère que nous appelons de nos vœux. Ces efforts doivent être intensifiés, et c’est précisément là que Makutano, en tant que catalyseur de synergies et de collaborations, joue un rôle stratégique.
La RDC a un potentiel immense, mais pour que cela se traduise en réalité, il faut agir sur des leviers très concrets. D’abord, il est urgent d’améliorer le climat des affaires : simplifier les procédures administratives, garantir la stabilité juridique et offrir des incitations fiscales aux investisseurs. Ensuite, il faut diversifier notre économie – par exemple, en développant l’agriculture, le secteur technologique et le tourisme, afin de ne pas dépendre uniquement des mines.
Makutano joue un rôle clé dans cette transformation. Le forum facilite des rencontres concrètes entre investisseurs, entrepreneurs et décideurs, pour créer des partenariats solides. Il pousse aussi à la mise en place de réformes pour attirer des financements.
Mais Makutano ne se limite pas à Kinshasa : notre ambition d’être le cœur battant de l’émergence africaine s’étend bien au-delà. L’édition 9, par exemple, a eu lieu à Abidjan, et nous avons organisé des rencontres à Brazzaville. Cela reflète notre stratégie : bâtir des ponts avec les autres pays d’Afrique, car une Afrique forte ne se construira pas dans l’isolement. Avec ses 54 États, le continent doit miser sur la coopération et les synergies.
Nous avons également voyagé à l’intérieur de la RDC. Organiser des forums dans les régions permet de connecter les acteurs locaux aux opportunités nationales et internationales. Cette volonté de décentralisation renforce l’impact du forum sur le terrain et montre que la RDC peut être à la fois un hub et un moteur régional.
Vous évoquez un horizon 2050 pour une Afrique nouvelle. Sur quels secteurs clés devons-nous concentrer nos efforts collectifs ?
Pour 2050, il est essentiel que l'Afrique se concentre sur des secteurs stratégiques capables de transformer le continent et de concrétiser son immense potentiel. L'énergie et les mines, avec des ressources clés comme le cobalt et le lithium, doivent être exploitées, non seulement pour répondre à la demande mondiale croissante, mais surtout pour créer de la valeur ajoutée sur place. Nous devons bâtir des industries locales capables de transformer ces ressources, comme les batteries et autres composants technologiques, pour établir une souveraineté industrielle.
La production et l'accès à l'électricité sont cruciaux, non seulement pour le développement de l'économie et de l'industrie, mais aussi pour améliorer le confort des ménages. L'initiative Inga, mise en avant lors du Makutano 10, incarne cette ambition, avec un potentiel énorme pour soutenir la RDC et ses voisins.
Les infrastructures représentent un autre levier essentiel. Imaginez un continent où le transport et la connectivité numérique sont intégrés, permettant aux marchandises, aux idées et aux personnes de circuler librement. Lors du Makutano 10, nous avons rêvé d’un train reliant Kinshasa à Lagos ou d'un métro entre Brazzaville et Kinshasa. Ces projets ne sont pas utopiques, ce sont des instruments indispensables pour un marché continental pleinement fonctionnel.
Le rôle de l'agriculture ne peut être sous-estimé. Faire de l'Afrique le grenier du monde n'est pas qu'un rêve, c'est une réalité accessible si nous investissons dans des technologies agricoles innovantes et développons des chaînes de valeur locales pour que nos produits agricoles bénéficient aux Africains avant tout.
Cette vision, ancrée dans la collaboration entre les secteurs public et privé, est le pilier du New Deal Africain que nous avons promu. C'est un appel à tous les Africains : ensemble, nous pouvons faire de notre continent une puissance respectée et prospère d'ici 2050.
Et enfin, en parlant d'avenir, l’un des axes dans lequel Makutano souhaite s'investir est le développement des programmes de formation adaptés, pour préparer les futurs top managers et CEO du continent. Former les leaders de demain n’est pas seulement une ambition, c’est une nécessité pour garantir que l’Afrique puisse relever les défis du futur et saisir pleinement son destin.