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Kenza Fortas et Youssouf Abi-Ayad interprètent deux jeunes gens vivant en concubinage forcé.DR
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Cinéma

Noces de papier

Par Jean-Marie Chazeau - Publié en octobre 2023
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​​​​​​​Un casting impeccable pour raconter un mariage arrangé d'aujourd'hui, unissant pour la façade un couple maghrébin aux désirs contrariés…

​​​​​​​«Les mariages d'amour, ça n’existe que depuis cent ans!» C’est ce que fait remarquer à Hadjira, voilée, une voisine au décolleté bien dessiné (incarnée par l’épatante Zahia Dehar, mannequin et comédienne longtemps réduite au statut d’ex-escort girl connue pour ses relations avec des footballeurs). La femme arrive du sud de la France pour épouser Saïd, le fils du boucher algérien d’un quartier de Rennes, célibataire un peu trop endurci aux yeux de ses parents. Les mères sont ainsi à la manœuvre: celle d’Hadjira, fantasque (Lubna Azabal, dans la droite ligne des personnages hauts en couleur de Viva Laldjérie ou Lola Pater, précédents films de Nadir Moknèche), veut sortir sa fille des griffes d’un dealer marseillais. Celle de Saïd, sérieuse et déterminée, ne veut pas voir que son fils est gay et le pousse à épouser cette célibataire inespérée pour sauver la réputation de la famille. Le film commence par une séquence rythmée et assez drôle qui permet de bien camper la situation, façon comédie italienne, sur un air de jazz américain… Avant de se concentrer sur la cohabitation de ces deux êtres que tout oppose, dans le contexte d’une piété musulmane à géométrie variable, héritage de parents immigrés bien intégrés à la société française. L’interprétation subtile des deux comédiens nous fait partager ce concubinage contraint, même si le suspense sur le rapprochement possible ou pas des faux amoureux est un peu forcé. L’empathie du spectateur est parfois refroidie par l’attitude de l’un ou de l’autre, et par un scénario qui hésite à bousculer les marqueurs supposés de la virilité. Mais certaines scènes montrent aussi très justement comment un jeune maghrébin en France peut être valorisé en tant que fantasme sexuel, pour peu qu’il corresponde aux clichés de la «racaille» encapuchée qu’on attend de lui… et qu’il en joue. Au moment où des débats souvent vifs, voire haineux, autour des homosexuels agitent plusieurs pays du monde arabe (et bien des pays africains), cette illustration de la difficulté à vivre pleinement sa vie amoureuse est bienvenue.