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Découverte / Côte d’Ivoire

Objectif inclusivité !

Par Zyad Limam - Publié en mars 2022
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Le président Alassane Ouattara et le Premier ministre Patrick Achi.NABIL ZORKOT
Le président Alassane Ouattara et le Premier ministre Patrick Achi. LUC GNAGO/REUTERS

Le pays bénéficie d’une croissance soutenue depuis dix ans. Mais l’émergence et la stabilité impliquent aussi un ambitieux volet social. Le gouvernement est à pied d’œuvre.

Malgré un environnement particulièrement adverse, avec une crise régionale au Mali et au Burkina Faso, les effets de l’épidémie de Covid-19 et les répercussions de la situation géopolitique internationale, la Côte d’Ivoire maintient un schéma de croissance ambitieux. Le pays peut s’appuyer sur les acquis de la dernière décennie. Depuis 2012, c’est l’une des premières économies du continent. L’un des dix pays les plus performants du monde en matière de croissance. La richesse par habitant a doublé sur une décennie. En dépit des contrecoups de la pandémie, le pays a su maintenir des taux positifs en 2020 et en 2021. L’année 2022 devrait permettre de renouer avec un rythme de croisière élevé, aux alentours de 7 %. Et de reprendre le cours de la stratégie à moyen terme, à l’horizon 2030. L’objectif est de doubler, à nouveau, à cette échéance, la richesse du pays, d’atteindre un PIB aux alentours de 100 milliards de dollars en 2030. Avec un revenu par habitant au-delà de 3 500 dollars. Pour le président Alassane Ouattara, pour l’équipe du Premier ministre Patrick Achi, il s’agit, au-delà de l’importance des chiffres, des performances « macro », de passer une étape, de passer un cap en matière d’émergence, de moderniser, de rendre plus « agile » le système, de s’inscrire plus amplement dans l’économie-monde. Témoignage de cette stratégie « vers le haut » : le plan national de développement (PND) 2021-2025, avec un montant prévisible d’investissement estimé à 59 000 milliards de francs CFA (plus de 100 milliards d’euros), dont 60 % dans le secteur privé. Ce projet, largement dessiné avant la pandémie de Covid19, devra certes s’adapter aux nouvelles réalités, mais il souligne cette ambition nationale.

Au cœur du projet, le développement du secteur privé, outil essentiel de la croissance, qui doit relayer dorénavant les efforts entrepris par l’État en matière d’infrastructures, de mise à niveau et de compétitivité. Mais surtout outil essentiel pour offrir des perspectives à la très nombreuse jeunesse ivoirienne. Et absorber la masse impressionnante de nouveaux entrants sur le marché du travail. Aujourd’hui, près de 40 % de la population a moins de 14 ans. Dans dix ans, les Ivoiriens seront près de 35 millions, dont une très grande majorité de jeunes de moins de 30 ans. Pour faire face à cette vague démographique, l’initiative privée, l’entreprise, le commerce, la transformation des matières premières, l’artisanat, l’industrialisation du pays deviennent des priorités stratégiques. Produire en Côte d’Ivoire, et faire du made in Ivory Coast, c’est la mission nationale pour créer des emplois, corollaire de la richesse globale.

Le pays se développe, le niveau de vie augmente, c’est le plus important d’Afrique subsaharienne (hors pays pétroliers et Afrique du Sud). Ce dynamisme économique assez unique implique de nouveau enjeux. Poussée par la croissance et les investissements, une classe urbaine « moyenne » est en train de naître, de s’installer, elle-même alimentant un nouveau marché de la consommation. Mais pour une grande partie de ces nouveaux Ivoiriens, pour ces enfants des années ADO, les exigences évoluent. Ce qui compte aujourd’hui, c’est l’école, l’éducation, la formation, la santé, les opportunités, l’accroissement de leurs revenus. Et donc un effort permanent de l’État dans les secteurs sociaux, ceux qui permettent justement de consolider l’ascenseur social, de solidifier les acquis de cette classe émergente mais encore fragile. Ce défi implique aussi une prise en charge plus large et l’accompagnement des Ivoiriens les plus précaires, ceux qui n’ont pas été atteints par le cercle vertueux de la croissance. Ni par les investissements publics. Ou privés.

Cette question sociale reste une exigence permanente. La Côte d’Ivoire a fait un progrès dans le classement de l’indice du capital humain (0,38) en 2020, mais on est encore loin d’une adéquation avec les taux de croissance. La pauvreté y est en net recul, passant de 46,3 % en 2015 à 39,4 % en 2020, mais l’avancée concerne avant tout les milieux urbains. L’indice de développement humain (IDH) évolue dans le bon sens, mais le classement de la Côte d’Ivoire (aux alentours de la 160e place) reste trop en décalage avec les performances du pays.

L’informel représente encore 80 % des emplois. Il absorbe une partie de la demande, mais ce sont des emplois largement précaires qui ne permettent pas de s’insérer dans une économie moderne, à long terme. La démographie viendra accroître la pression sur les emplois et l’accès aux « biens sociaux ». Paradoxe de l’enrichissement du pays, les inégalités sont plus visibles, alors que l’État s’investit sur ce dossier, plus que partout ailleurs sur le continent. La Côte d’Ivoire se structure, produit des richesses, mais certains pensent, à tort ou à raison, que cette richesse est insuffisamment partagée. Le pays « paie » encore les deux décennies perdues (1990-2010), mais le rythme de rattrapage social doit s’accélérer.

UNE ÉQUATION COMPLEXE

Cette priorité a pris tout son sens au cours des dernières années avec la mise en place des fameux PSGouv, plans sociaux du gouvernement, véritables pierres angulaires de cette lutte pour une meilleure répartition des fruits de ce second miracle ivoirien. En particulier vis-à-vis des populations les plus fragiles. Le PSGouv 1 avait permis sous l’autorité de feu le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly de mobiliser une enveloppe de 1 000 milliards de francs CFA sur la période 2019-2020. Le PSGouv 2, qui s’ouvre pour la période 2022-2024, triple cet effort avec un montant prévu de plus de 3 000 milliards de francs CFA. Placé sous l’autorité du Premier ministre Patrick Achi, ce PSGouv 2 se devra d’atteindre des « objectifs clairs et concrets ». Avec un accent particulier sur les jeunes, la formation et l’insertion professionnelle, la mise en place de l’école de la seconde chance, l’insertion sociale et économique dans les zones nord frontalières, l’autonomisation des femmes, le renforcement de la couverture sociale des populations les plus vulnérables.

L’échangeur de Marcory, sur le boulevard VGE, à Abidjan.NABIL ZORKOT
L’échangeur de Marcory, sur le boulevard VGE, à Abidjan.NABIL ZORKOT

Parallèlement à l’instauration des PSGouv, le gouvernement cherche à « localiser » son action avec la mise en place de 12 districts autonomes (qui s’ajoutent à ceux d’Abidjan et de Yamoussoukro). Ces districts, à forte vocation économique, sont dirigés par des personnalités publiques, des ministres-gouverneurs, chargés de la lourde responsabilité de rendre l’action de l’État opérationnelle, au plus loin d’Abidjan, de changer la vie sur le terrain. Cette « décentralisation » permet aussi de mettre un accent particulier sur les populations du Grand Nord, où la pauvreté est un terreau potentiel à la violence. Le septentrion du pays présente de formidables enjeux économiques et sécuritaires.

Le dossier social va donc bien au-delà des aspects techniques, de la gouvernance, ou d’une bonne volonté liée à la solidarité nationale. Le social est sociétal. Le social est finalement politique. La Côte d’Ivoire est un pays émergent, les chiffres le montrent, sa transformation physique le montre. Mais pour réussir, pour atteindre ses objectifs ambitieux, elle a besoin de stabilité, de perspectives à long terme. Cette stabilité se construit évidemment sur la rénovation du système politique. Mais la stabilité, c’est aussi et surtout l’inclusion, la sensation que les opportunités sont là, maintenant, et que la vie meilleure, pour le plus grand nombre, est possible. Que la croissance, le progrès, ce n’est pas uniquement Abidjan, ou San Pedro, Yamoussoukro, Bouaké, mais aussi les villes secondaires, la ruralité, les paysans… Que les Ivoiriens les plus pauvres doivent également entrer dans les cercles vertueux de l’émergence. Et que, pour les nouvelles générations, le système est ouvert, avec la perspective qu’ils peuvent accéder à mieux, qu’ils ne resteront pas sur le bord de la route indéfiniment. L’une des clés de cette équation complexe reste la rénovation d’un système éducatif à la mesure des ambitions du pays. L’éducation gomme les inégalités et permet d’accéder au travail, à l’émancipation, au développement. Pour reprendre la phrase du professeur Akindes dans nos colonnes [voir Afrique Magazine n° 425] : « La richesse d’un pays ne se redistribue pas aux abords des routes, mais par le travail. »

En réalité, croissance, éducation et inclusion seront indissolublement liées dans la pérennité du modèle ivoirien.