Olawale Edun
«Nos réformes sont courageuses »
Ministre des Finances et ministre coordinateur de l’Économie du Nigeria
Avec le PIB le plus important de tout le continent, le pays fait figure de réussite, mais reste fragilisé face à l’inflation et confronté aux retombées de la suppression des subventions sur le carburant. Le nouveau gouvernement est bien décidé à porter haut la croissance de la nation.
AM: Comment se porte l’économie du Nigeria?
Olawale Edun: Cela fait tout juste cinq mois que le président Bola Ahmed Tinubu est au pouvoir, et il a déjà changé le pays sur le plan économique. Nous savons, sur le plan mondial, que les économies ralentissent, qu’elles ne se sont pas complètement remises du Covid. La seule qui a vraiment retrouvé son niveau d’avant la pandémie, c’est celle des États-Unis. Tous les autres pays tournent au ralenti et luttent en priorité contre un taux d’inflation très haut, en maintenant des taux d’intérêt élevés. Il est donc évidemment difficile pour les pays en voie de développement d’emprunter à des conditions avantageuses, sauf peut-être auprès des banques multilatérales de développement, comme la Banque mondiale, ou autres.
L’économie du Nigeria, comme partout ailleurs, croît lentement, à un taux d’environ 3% par an. Trop lentement par rapport à la croissance de la population. Et même si cette dernière augmente dans les mêmes proportions, il faudra une croissance de notre économie d’au moins 6% par an si l’on veut avoir un impact sur la pauvreté. L’engagement du président Bola Tinubu est d’essayer de faire croître l’économie rapidement, d’une manière soutenue et inclusive, en accordant une place importante aux femmes et aux jeunes.
Comme les emprunts sont coûteux, voire inabordables, le pays est actuellement très endetté, et plus de 90% de ses recettes sont consacrées au service de la dette. Nous devons donc mettre l’accent sur ce que nous appelons «l’équité», c’est-à-dire les investissements. Le chef de l’État a posé un acte fort pour le pays en supprimant dès son arrivée les subventions sur le carburant, qui coûtaient au gouvernement 2% du PIB. Il a réformé le taux de change pour le rendre plus transparent et plus efficace. Ces mesures ont entraîné une augmentation du coût de la vie. La population ressent aujourd’hui le contrecoup douloureux de l’ajustement nécessaire pour parvenir à une meilleure situation économique. Bola Tinubu avait promis, lors de sa campagne, qu’il mènerait des réformes difficiles, mais qu’il n’abandonnerait pas les plus pauvres et les plus vulnérables. Ainsi, il a pris un ensemble de mesures importantes, afin d’améliorer l’approvisionnement en denrées alimentaires, de remplacer l’essence coûteuse par des transports publics au gaz et de les rendre moins chers et plus abordables pour la population.
Les changements opérés par le président étaient nécessaires. Le pays souffrait, on pourrait dire qu’il faisait faillite sous le poids de subventions abyssales. L’essence était tellement bon marché qu’elle était utilisée à tort et à travers. Elle passait même en contrebande à travers les frontières pour être revendue plus cher dans des pays frontaliers où son prix était beaucoup plus élevé. Ainsi, si l’on considère les gains initiaux résultant de la suppression des subventions sur le carburant, la contrebande a été plus ou moins éradiquée. La consommation, qui était de 60 millions de litres par jour, est tombée à 40 millions, et ce parce que les 20 millions de litres qui ont disparu faisaient l’objet de contrebande. C’est l’un des premiers effets positifs. Mais bien sûr, le principal avantage est que les finances du pays reposent désormais sur des bases saines, qui permettent au gouvernement de disposer de recettes suffisantes pour remplir ses obligations et investir dans les infrastructures, etc. Le pays est sur la bonne voie, celle de la relance financière, grâce à la suppression de la subvention sur le carburant qui drainait l’économie.
Où pensez-vous trouver l’argent pour financer ces réformes?
Lorsque vous ne pouvez pas emprunter, vous devez trouver de l’argent auprès des investisseurs. Il faut donc réformer l’économie de sorte qu’elle soit attrayante pour la population et les entreprises nationales, mais aussi pour les entreprises étrangères opérant chez nous. La plus grande source de financement n’est pas l’emprunt ou le multilatéral. C’est le secteur privé. Il s’agit donc de préparer le pays à attirer les investissements massifs du secteur privé dans l’industrie manufacturière, les services, l’agriculture, l’ensemble des infrastructures et toute la gamme des activités génératrices de revenus.
Parlons du naira… Pourquoi avoir choisi la dévaluation de la monnaie, et qu’en attendez-vous à court et moyen termes?
La rareté des devises donnait lieu à une corruption massive. Les réformes visent à instaurer un modèle de marché où acheteurs et vendeurs s’entendent, et où le prix est déterminé par la demande et le stock. À court terme, nous prévoyons des mesures visant à accroître l’offre immédiate de devises sur le marché. À plus long terme, nous anticipons l’augmentation des investissements étrangers directs et des investissements de portefeuille étrangers parmi les divers flux vers l’économie nigériane.
Quelles sont les solutions pour lutter contre l’inflation, qui s’élève aujourd’hui à plus ou moins 25%?
Elle est à 25,8%, ce qui est haut. C’est l’une des raisons pour lesquelles le coût de la vie a augmenté et les gens ressentent l’effet négatif des réformes. Mais il s’agit d’une situation à court terme, dans la mesure où l’économie devrait se stabiliser. Avec la reprise de la production et l’arrivée d’investisseurs, les finances publiques devraient s’améliorer. Si la production augmente, cela contribuera à égaliser l’offre et la demande, et donc à stabiliser l’inflation. Ce qui pousse les prix à la hausse, aujourd’hui, c’est l’excès de demande. Il n’y a pas assez de production agricole et manufacturière, parce que les devises étrangères sont relativement chères et rares. Le marché des changes ne fonctionne pas correctement, il n’est pas liquide, et les gens ne peuvent donc pas obtenir les devises nécessaires pour produire. Les améliorations apportées au marché des changes ne feront peut-être pas baisser les prix, sauf sur un marché parallèle, mais elles amélioreront le fonctionnement du marché. Les personnes qui voudront acheter des devises pourront les obtenir. Ceux qui voudront les vendre disposeront d’un marché et d’un mécanisme transparents pour le faire.
Pourriez-vous citer deux ou trois mesures déjà prises pour lutter contre la cherté de la vie?
De nombreuses mesures ont été prises. L’une d’entre elles est le transfert d’argent liquide. Avec 800 millions de dollars obtenus grâce à un prêt concessionnel assez bon marché de la Banque mondiale, nous pouvons fournir à 15 millions de ménages des paiements directs pour une période de trois mois. Lorsque je parle d’argent liquide, je veux dire que des virements seront effectués sur leurs comptes bancaires ou, pour les personnes qui n’ont pas de compte bancaire, sur leur portefeuille temporaire. Pour atténuer les effets immédiats, le gouvernement va donner de l’argent aux gens, comme cela a été fait partout dans le monde pendant le Covid.
Comment l’argent sera-t-il distribué?
Exactement de la même manière qu’aux États-Unis. L’argent est transféré sur les comptes bancaires après vérification. Le gouvernement dispose d’un registre des personnes pauvres et vulnérables, et leur versera l’argent directement. C’est l’une des principales mesures. Le gouvernement a distribué des engrais, des céréales et de la nourriture provenant des réserves, ainsi que des semences, afin d’augmenter la production agricole. De même, il a accordé des financements bon marché aux fabricants, en particulier aux petits fabricants.
Qu’en est-il du salaire minimum? Avez-vous l’intention de l’augmenter?
En effet. Nous avons immédiatement augmenté le salaire des travailleurs du secteur public par le biais de primes, et une procédure légale permettant d’ajuster le salaire minimum a été mise en place. Il s’agit d’une négociation qui s’étalera sur plusieurs mois. Chaque mois, une prime de 25000 nairas est versée, tout d’abord pour les paiements directs. Mais il y a aussi une prime pour les travailleurs qui sera remplacée par un nouveau salaire minimum, en cours de négociation également. Lorsque cette prime temporaire sera épuisée, un nouveau salaire minimum pour les travailleurs sera instauré. Autrement dit, les travailleurs du secteur public bénéficieront d’une nouvelle structure salariale.
Quels sont les partenaires financiers du Nigeria aujourd’hui? Qui vous soutient?
D’abord, les banques multilatérales de développement. Nous étions à Marrakech lors de la réunion annuelle de la Banque mondiale, mi-octobre dernier. Au vu des changements majeurs que nous avons opérés au Nigeria pour améliorer notre situation macroéconomique, la plupart des gens – commentateurs, économistes et leaders économiques – sont très admiratifs. Ils estiment que nos réformes sont courageuses et qu’il fallait les mener. Le pays a été mis sur la voie de la relance économique. Les partenaires au développement sont donc prêts à le soutenir jusqu’au bout et le secteur privé est très intéressé par le Nigeria en tant que vivier d’opportunités d’investissement.
De quels pays viennent ces investisseurs?
De l’Asie, de l’Europe, mais aussi du Moyen-Orient. Ceux qui ont de l’argent, des fonds souverains, s’intéressent au Nigeria. Certains dans le secteur du gaz, d’autres dans les infrastructures. Le sous-continent indien est intéressé aussi. Je dirais que, pour les investissements étrangers en général, le plus grand réservoir de financement disponible pour le développement, la production, les services ou l’activité économique est constitué par les fonds fiduciaires privés, les fonds de pension, les fonds de gestion d’actifs, le capital-risque. Et, dans le monde entier, on trouve que le Nigeria, grâce à une bonne gestion de l’économie, est devenu très attractif.
Vous venez d’être nommé président de l’African Governors’ Forum de la Banque mondiale. Que comptez-vous obtenir de cette position?
C’est un grand honneur et un privilège d’être nommé président et chef de file de l’African Caucus à la Banque mondiale et au FMI. J’espère que, sous ma direction et avec mes collègues, nous pourrons vraiment renforcer la voix de l’Afrique et améliorer les relations entre notre continent et le reste du monde, en particulier avec les institutions multilatérales de développement. Nous souhaitons renforcer la représentation et la voix de l’Afrique à la Banque mondiale et au FMI.