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 «Les changements, qu’ils soient individuels ou collectifs, peuvent s’opérer dans la douceur,l’amour, la sérénité.».ADRIEN PAVILLARD
«Les changements, qu’ils soient individuels ou collectifs, peuvent s’opérer dans la douceur,l’amour, la sérénité.».ADRIEN PAVILLARD
Ce que j'ai appris

Oum

Par Astrid Krivian - Publié en juin 2024
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​​​​​​​La chanteuse marocaine célèbre ses dix ans de carrière internationale avec un album live, Dakchi, enregistré à Marrakech, sa ville de cœur. Elle revisite son répertoire éclectique,original, tissé de jazz,de soul,d’électro, de musiques sahraouies ou gnaouas.

Oum, Dakchi – Live in Marrakech, Ternaire/Modulor.ADRIEN PAVILLARD
Oum, Dakchi – Live in Marrakech, Ternaire/Modulor.ADRIEN PAVILLARD

J’ai grandi à Marrakech, capitale des traditions orales. La place Jemaa el Fna et le souk vibrent d’une musicalité du texte. Les ferronniers martèlent en rythme pour fabriquer leurs objets d’artisanat. Il y a une joie de vivre, le sel dans la parole des gens du Sud. La ville ocre éveille les sens, à travers ses odeurs, ses couleurs, sa puissante luminosité. Mes inspirations premières viennent de cette cité d’art et d’artisanat.

Mon père m’a transmis l’amour du verbe, de l’oralité, du rythme, notamment des polyrythmies caractéristiques du Maroc, et en particulier de Marrakech. Fonctionnaire, il était aussi peintre, auteur d’une œuvre artistique importante, et écrivait des poèmes. Comme dans de nombreuses familles marrakchies, il pratiquait la musique. On jouait et on chantait ensemble les répertoires traditionnels.

Il m’a aussi appris l’importance de se libérer, tout en restant intègre. Nul besoin de choquer, d’être arrogant ou provocant pour être libre. On peut exister avec notre différence, la creuser, la revêtir, vivre avec elle, et parvenir à exister dans les yeux des autres. Les changements, qu’ils soient individuels ou collectifs, peuvent s’opérer dans la douceur, l’amour, la sérénité. La musique est un grand atout. On insuffle de l’amour dans le texte et dans la mélodie. À travers l’émotion, la sensation, une chanson nous touche et nous amène vers un état plus serein.

J’ai appris la musique en autodidacte, de façon spontanée, instinctive, naturelle. En plus de ces soirées familiales, je chantais du jazz, de la soul, du R’n’B, du gospel, le répertoire classique arabe. J’ai commencé à écrire mes textes en anglais, mais je n’arrivais pas à exprimer mes émotions avec justesse. Au début des années 2000, au Maroc, une nouvelle scène alternative chantait et écrivait en darija [l’arabe dialectal marocain, ndlr] sur des musiques d’ailleurs reggae, rap, heavy metal. Je suis tombée amoureuse de cette langue, qui se transmet à l’oral, par la mémoire auditive et corporelle. J’ai suivi des études d’architecture pendant six ans, je ne me préparais pas à une carrière musicale. Je chantais pour mon bien être. Puis un jour est venu, et je suis montée dans le bateau!

En Afrique, la tradition appartient à la fois au passé et au présent. C’est une expression contemporaine des sociétés, présente dans les vêtements, les objets, les arts. La mondialisation n’a pas effacé les expressions originelles. Au Maroc, on écoute les musiques traditionnelles au quotidien, aux mariages, chez l’épicier. Ces musiciens transmettent à leurs descendants, et les airs sont protégés grâce à la volonté humaine.

La musique est un océan dans lequel on puise et on reverse notre propre expression. Quand une inspiration vient, je dois l’honorer et donner le meilleur de moi même. L’art musical est le témoin, le miroir de nos émotions, de nos expériences. Et on en apprend sur nous mêmes; connaître notre identité est le travail d’une vie. Précieuse, presque sacrée, elle vient de notre version immatérielle. Donc on ne peut pas mentir, ou charger la musique de choses qui ne nous appartiennent pas.