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Editos

Palestine, année zéro

Par Zyad Limam - Publié en novembre 2024
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​​​​​​​Il y a un peu plus d’un an, commençait l’un des cycles les plus effroyables de violence et de guerre au Moyen-Orient. Le 7 octobre 2023, c’était l’attaque menée par le Hamas, stupéfiante et inimaginable, au-delà des murs de Gaza, dans le sud d’Israël. Avec plus de 1200 victimes, des jeunes, des couples, des soldats, des habitants de kibboutz. Et des otages. Un carnage. Quelques heures plus tard, Israël ouvre le feu et l’enfer sur l’enclave. Le blocus est total. Les bombardements massifs incessants depuis, d’une violence inouïe. À ce jour, fin octobre 2024, au moins 50000 morts, 100000 blessés, un nombre inconnu de disparus. Gaza City, la plus grande ville palestinienne du monde, rasée au sol. 80% de l’en- clave est détruite. Des gens qui meurent de tout. Des missiles, de la faim, de la maladie.

On peut comprendre le droit d’Israël à se défendre. Mais peut-on qualifier de «défense» une stratégie militaire qui tue sans état d’âme autant de civils  hommes, femmes, enfants, humanitaires, journalistes? Peut-on considérer tous les Palestiniens comme des terroristes? Ne pas avoir d’empathie pour ces morts, ces blessés, ces traumatisés, ces corps qui s’amoncellent tous les jours?

Peut-on continuer à ne pas prendre en compte la tragédie de ce peuple de Palestine, plus de sept décennies d’ordre colonial et de dépossession, à accepter le non-droit, le quasi apartheid, le vol des terres et des maisons, l’ordre militaire? L’idée n’est pas de relativiser la tragédie du 7 octobre, la douleur des juifs du monde et des Israéliens. L’idée, c’est d’entendre aussi l’interminable douleur du peuple palestinien. Aujourd’hui, Israël est une nation forte, riche, une puissance scientifique, techno- logique, militaire et nucléaire  un pays enviable à plus d’un titre. La Palestine est un tas de ruines, une terre de misère. C’est l’année zéro. Une nouvelle génération arrive, la troisième ou la quatrième depuis 1948, nourrie par le deuil, l’occupation, la violence.

Il faut imposer la paix. On pourra faire ce que l’on voudra, bombarder, éliminer, détruire, raser, tuer les terroristes et leurs chefs, lutter contre le Hamas, le Hezbollah, l’Iran, les nouveaux djihadistes, annexer et conquérir, se venger ou terroriser... Faire la guerre encore et toujours. Mais une question centrale, essentielle, demeure: rendre enfin justice au peuple de Palestine. Ils sont près de 14 millions : 2 millions à Gaza, 3,6 millions dans les territoires (Jérusalem-Est et Cisjordanie), 6 millions dans le monde arabe la plus grande partie bénéficiant du statut de réfugié , près de 2 millions en Israël avec le statut très relatif de citoyen. Ils ne disparaîtront pas. Reconnaître cette identité que l’on cherche à contraindre, qui a sur vécu à des décennies d’oppression, c’est la clé du futur.

Pour sauver sa démocratie, Israël doit se sauver de la guerre, de la tentation de la victoire absolue, d’imposer son «nouvel ordre». Les Palestiniens doivent se réengager encore dans le long chemin de la libération. Chacun devra ne plus invoquer ses morts. Il faudra sortir des schémas éculés, nationalistes, religieux. Les grandes puissances ne servent à rien. Elles manipulent. Les États-Unis portent une lourde responsabilité dans cette tragédie. La solution viendra du terrain, il faudra un acte de foi, un leap of faith, qui rassemblera d’abord les juifs et les Arabes de raison. Chaque partie devra faire des pas immenses. L’État juif doit accepter le fait palestinien et la nature multiethnique et multireligieuse d’un espace commun à définir. Les Palestiniens doivent accepter la présence d’Israël à majorité juive, avec des garanties de sécurité dans ce même espace.

C’est le seul vrai changement de paradigme possible pour l’Orient. Celui d’une vraie réconciliation des fils d’Abraham, basée sur la reconnaissance et le partage. Il n’y a pas d’autre route. Sauf à accepter celle de la guerre éternelle, de la fragmentation, d’une extension du conflit, de la possibilité, bien réelle, du chaos global.

Oui, le chaos global. La guerre est partout. À Gaza. Dans les territoires occupés de Cisjordanie, où les colons et les militaires sèment la terreur avec des campagnes violentes d’intimidation. Dans le nord d’Israël, où les habitants ont dû fuir. Dans les officines politiques de Jérusalem et de Tel-Aviv, où des ministres exaltés et racistes rêvent de la construction d’un grand Israël. Dans les officines djihadistes, où l’on concocte la revanche et la vengeance. Au Liban, où l’armée israélienne pour- suit les militants du Hezbollah et leurs chefs. Dans le ciel, où Israël et l’Iran s’échangent des tirs de missiles. Dans les prétoires, devant les juges de la Cour internationale de justice, où l’on dénonce le génocide. La guerre et la souffrance, face au silence du monde, et sans que l’ombre d’une solution politique se dessine. Il faut que cela cesse.