Pétrole :
Un tournant majeur
Si les premiers gisements d’or noir ont été découverts à la fin des années 1960, le Niger n’a commencé à les exploiter qu’en 2011. Aujourd’hui, tirer profit de cette richesse est la clé de voûte des ambitions du pays.
Depuis des années, le Niger est au centre des enjeux énergétiques mondiaux en raison de ses importantes ressources pétrolières. La découverte des premiers gisements d’or noir, par la société Texaco, remonte à la fin des années 1960. C’est non loin d’Agadem, dans la région de Diffa, située à l’est, qu’ils se situent. Or, l’exploitation pétrolière n’a commencé qu’en 2011 et a fait du pays un producteur marginal de pétrole. Mais récemment, l’exploitation a pris de l’ampleur, et elle est désormais considérée comme une future source majeure de revenus. Véritable vectrice de croissance économique, l’industrie doit permettre au Niger d’accélérer son développement, sans toutefois négliger les enjeux sociaux et environnementaux qui l’entourent. Les efforts des gouvernements et des parties prenantes pour une exploitation durable et équitable de ces ressources seront en effet scrutés.
Dans les années 1990, des sociétés comme Elf ou Exxon découvrent les potentiels pétroliers du bloc d’Agadem. Cependant, elles quittent ce pays enclavé dans un contexte politique complexe, et lors d’une période où les cours sont trop bas pour rentabiliser la construction d’un oléoduc de plus de 1 500 kilomètres, nécessaire pour rejoindre l’océan. En juin 2008, l’arrivée de la société étatique chinoise China National Petroleum Corporation (CNPC) change la donne. La signature du contrat de partage de production avec le Niger fait passer la rentabilité au second plan – pour un temps, en tout cas.
L’entreprise fore plusieurs puits et construit la Société de raffinage de Zinder (SORAZ) à une cinquantaine de kilomètres de la deuxième plus grande ville du pays. Cette raffinerie, située dans le sud, est raccordée aux champs pétroliers d’Agadem par un oléoduc à partir de 2011. L’intensification des explorations depuis plus d’une décennie a permis au Niger de revoir à la hausse ses réserves totales de pétrole : estimées à environ 325 millions de barils en 2008, elles pourraient aujourd’hui atteindre près de 3,7 milliards.
Le pays a ainsi augmenté sa production pour devenir un acteur non négligeable sur le marché africain. Il produit actuellement 20 000 barils par jour – principalement pour la consommation domestique –, ce qui le rapproche du « top 15 » des pays producteurs de pétrole sur le continent. Et les perspectives sont prometteuses, car il est notamment prévu de faire culminer la production à 110 000 barils par jour dès la fin de l’année prochaine. En avril 2022, le ministre du Pétrole et de l’Énergie Sani Mahamadou Issoufou déclarait que le pays envisage d’atteindre les 200 000 barils par jour d’ici 2025 ou 2026. Une ambition qui ferait de l’industrie le principal moteur de l’économie nigérienne : 25 % du PIB, 50 % des recettes publiques, et près de 80 % des exportations. Des estimations appuyées par les prévisions de la Banque africaine de développement (BAD) et le FMI, lesquelles annoncent une croissance de 7,3 % en 2023 – le plus haut taux du continent – et atteignant les deux chiffres d’ici à 2024-2025. Associés à ce contexte économique favorable, le développement de l’industrie pétrolière et le volontarisme gouvernemental ont convaincu les partenaires du Niger de financer son Plan de développement économique et social (PDES) 2022-2026. En effet, ce dernier, dont le financement en ressources propres (13,35 milliards d’euros) repose en grande partie sur l’extension des exportations pétrolières, a été présenté par le président Mohamed Bazoum en décembre dernier, lors de la Table ronde des investisseurs et partenaires au développement, organisée à Paris. Et le chef de l’État a obtenu un engagement à hauteur de 45 milliards d’euros de financement sur les 29,62 milliards espérés.
Aujourd’hui, l’économie est très dépendante du secteur agricole, qui occupe 70 % de la population et porte 40 % du PIB. La diversification passera donc par l’exploitation pétrolière. En février dernier, au micro de RFI, le ministre du Commerce Alkache Alhada expliquait que les perspectives nouvelles offertes par ce secteur permettent d’escompter « une transformation de l’économie » du pays. Mais il est important d’entreprendre une transition plus profonde encore, pour éviter de dépendre exclusivement de l’exploitation pétrolière. Cette diversification de l’économie doit également reposer sur d’autres secteurs – minier ou touristique, par exemple. En matière de développement, les revenus issus du sous-sol et les investissements étrangers qui en découlent devraient pouvoir permettre au pays de financer de grands projets, tels que ceux décrits dans le PDES.
LE PLUS GRAND OLÉODUC DU CONTINENT
Afin de concrétiser les ambitions de développement et de diversification de l’économie, la finalisation du pipeline Niger-Bénin est grandement attendue. Les autorités ont préféré cette entreprise à la construction d’un oléoduc reliant les champs pétroliers d’Agadem au pipeline Tchad-Cameroun. Les raisons ayant poussé le pays à s’écarter de ce projet sont liées à « l’insécurité grandissante » aux frontières du Tchad, et à la « menace permanente » que fait peser Boko Haram au niveau du lac Tchad.
C’est donc un gigantesque tuyau, long de 1 982 kilomètres – 1 298 au Niger et 684 au Bénin –, qui devrait bientôt relier le site d’Agadem au port de Sèmè-Kpodji, au sud-est du Bénin. Le coût du projet, notamment porté par la China National Petroleum Corporation, s’élève à 6 milliards de dollars. Démarrés en 2019, les travaux ont pris un certain retard du fait de la crise liée à la pandémie de Covid-19. Selon le ministre du Commerce, la fin du chantier est prévue pour juillet, et l’écoulement du brut « au plus tôt fin 2023, au plus tard début 2024 ». Il précise également que celui-ci est très avancé et « sans difficulté ». En mars dernier, le ministre du Pétrole et de l’Énergie a assuré que les travaux étaient terminés à « plus de 75 % ». Le pipeline Niger-Bénin devrait multiplier par sept la capacité d’exportation de pétrole du pays, grâce à une croissance de la production estimée à 86,2 % en 2023, selon le FMI. Il sera à même de transporter 4,5 millions de tonnes chaque année, soit l’équivalent de 35 millions de barils. Pour concrétiser ce mégaprojet dans les temps, le Niger et la CNPC devront dépasser certains de leurs malentendus relatifs à sa gouvernance. Il s’agira également d’être attentif aux dispositions prises par les deux pays quant à la sécurisation de l’oléoduc, notamment dans les localités situées entre le sud du Niger et le nord du Bénin, où les incidents liés aux groupes armés ne faiblissent pas.
Quoi qu’il en soit, cette collaboration ne semble pas près de finir, puisque la possible construction d’un second pipeline reliant les deux pays est d’ores et déjà évoquée, de même qu’est attendue une rencontre entre Mohamed Bazoum et le président béninois Patrice Talon à ce sujet. L’exploitation pétrolière s’inscrit pleinement dans l’avenir du Niger, tant elle est importante pour son développement. Pour le ministre des Finances Ahmat Jidoud, il n’est « pas possible » de négliger cette industrie face au manque d’aide des pays riches dans la transition climatique de l’Afrique. Cependant, son déploiement fait émerger certaines inquiétudes d’ordre socio-environnemental. D’une part, rien ne peut assurer que la hausse de la production pétrolière permettra aux Nigériens ordinaires de voir leurs conditions de vie s’améliorer. Et d’autre part, les populations locales, notamment les agriculteurs et les éleveurs, risquent d’être davantage confrontées à la pollution de l’eau et des sols, ainsi qu’à la dégradation des terres arables. Le ministre du Commerce, quant à lui, considère que son pays est particulier, car « engagé dans un processus de bonne gouvernance, de stabilité politique et de lutte contre la corruption ». Selon lui, le pétrole ne sera pas une malédiction au Niger.