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Plus qu’une fête, un symbole

Par Jimi Weston - Publié en juillet 2017
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VALERY HACHE/AFP

Trente-trois ans après la Coupe d’Afrique des nations, en 1984, le pays accueille à nouveau un événement d’envergure internationale. Signe d’un vrai retour sur le L devant de la scène.
 
Les voici donc de retour en Afrique. Enfin ! serait-on tenté de dire. Douze ans après Niamey et avant de repartir pour le Canada en 2021 (à Ottawa), les Jeux de la Francophonie vont à nouveau poser leurs instruments et leurs crampons sur le continent, du 21 au 30 juillet prochain. Après Casablanca (1989), Antananarivo (1997), et Niamey (2005), s’avance donc « Abidjan 2017 » pour ce qui s’annonce comme l’édition la plus suivie depuis sa création. « Nous attendons une mobilisation record, promet Robert Beugré Mambé, ministre chargé de l’Organisation des Jeux. Avec près de 4 000 jeunes talents, sportifs et artistes, issus des 55 pays participants, 500 000 spectateurs par jour sur les dix journées de compétition et 500 millions de téléspectateurs cumulés. » En comparaison, la dernière édition, en 2013 à Nice, avait été suivie par près de 250 millions de téléspectateurs.
 
Sur place, en tout cas, l’événement est attendu, tout particulièrement par la jeunesse, coeur battant des Jeux voulus par l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). À l’Université Félix-Houphouët- Boigny, sur la commune de Cocody, où nous nous sommes rendus avant l’ouverture de l’événement (voir reportage p. 84), les étudiants commençaient déjà à s’impatienter et étaient intarissables sur leur « fierté d’accueillir leurs frères francophones ».
 
Dans la ville d’Abidjan, qui vit un boom immobilier sans précédent, et dont les tentacules n’en finissent plus d’estourbir forêts et villages alentour, la promotion des festivités prochaines démarrait à peine. La place de la République, sur la presqu’île du Plateau, avait pris les devants et était déjà habillée de la tête aux pieds des couleurs d’« Abidjan 2017 ». Les habitués des bords de la lagune Ébrié ne pouvaient s’y tromper : du Village des Jeux au pied du pont Henri-Konan-Bédié au Musée national (commune du Plateau) en passant par le Canal au Bois (Treichville), les chantiers en cours de finalisation annonçaient bien un événement à venir. En écho, la Radio télévision ivoirienne (RTI), partenaire officielle de l’événement, communiquait à tout-va : décompte quotidien, émissions dédiées, spots publicitaires… Oui ! Il va bien se passer quelque chose d’exceptionnel cet été à Abidjan.
 
L’ÉTAT DEMEURE FRAGILE
 
Pour l’État, le symbole est majeur. La Côte d’Ivoire n’a plus accueilli un événement de cette ampleur depuis la Coupe d’Afrique des nations de 1984. Il intervient six ans après la fin de la crise politicomilitaire (2002-2011) qui avait éteint son leadership économique et politique régional, miné sa capacité d’attraction et entamé sa confiance en elle-même. En dépit de statistiques économiques très encourageantes (8 % de croissance en 2016, prévision de 7,2 % en 2017), la situation demeure fragile. Sur le plan économique, avec une croissance qui peine à profiter à l’ensemble de la population et en tout premier lieu à ceux qui en ont le plus besoin. Comme sur le plan ethnicogéographico- religieux, où les plaies ne sont pas encore refermées entre Nord et Sud, musulmans et chrétiens, Ivoiriens et étrangers, Sénoufos, Bétés, Dioulas… Quand, en 2012, le président Alassane Ouattara, élu l’année précédente, avait décidé de porter la candidature de son pays devant l’OIF, la « réconciliation nationale » était au centre de ses préoccupations. Elle l’est toujours.
 
« En 2011, nous sortions d’une dizaine d’années de troubles intérieurs graves, explique Zaki Zablei, responsable du dossier national des Jeux de la Francophonie. Le président Ouattara a tout de suite pensé que l’organisation d’un tel événement pourrait aider le pays à tourner la page, à réhabiliter son image au niveau régional et international et à refaire surface au niveau politique, en montrant que nous sommes un pays stable et que l’on peut compter sur la Côte d’Ivoire. » Ces Jeux sont d’abord là pour ça. Dix jours de communion autour du drapeau ivoirien et de partage avec des pays amis. Dix jours pour montrer le visage d’une Côte d’Ivoire unie qui regarde vers l’avenir. Dix jours pour montrer à l’Afrique et au monde que le pays est de retour sur le devant de la scène. Le pari est ambitieux.
 
Les mois précédents ont été marqués par la « crise des mutins », lors de laquelle quelques milliers de militaires à travers le pays ont eu recours au chantage et à la menace pour obtenir des primes non réglées. Les fonctionnaires, eux aussi, réclament des impayés, et les syndicats négocient depuis des mois avec le gouvernement. Premier ministre depuis à peine sept mois, Amadou Gon Coulibaly, n’a pas eu à chômer. Il a même semblé passé son temps à éteindre les débuts d’incendie, de la chute des cours du cacao à l’aggravation du déficit budgétaire (4,5 % annoncés pour 2017). En juin, il a cependant connu sa première véritable victoire médiatique en annonçant le « succès » du tour de table effectué auprès des différentes places financières internationales à Paris, Francfort, Munich, Londres, Boston et New York. L’État ivoirien a effectué deux emprunts respectivement de 1,25 milliard de dollars (890 millions d’euros) sur seize ans à 6,25 % et de 625 millions d’euros à 5,125 % sur huit ans.
 
« Votre pays est l’économie la plus dynamique de l’UEMOA, la deuxième en Afrique subsaharienne, dans le Top 10 des croissances les plus fortes dans le monde. Vous devez être fier ! », a-t-il harangué ses compatriotes à cette occasion. Tout en martelant : « Mais il faut qu’on travaille, qu’on travaille, qu’on travaille », promettant au bout du chemin « l’émergence de l’Ivoirien nouveau ». Bien sûr, les Jeux de la Francophonie ne vont pas faire basculer la Côte d’Ivoire dans l’émergence. Et ils n’ont pas le retentissement planétaire des Jeux olympiques ou d’une Coupe du monde de football. Mais ils constituent malgré tout un test grandeur nature de l’état du pays, un défi unique en termes d’infrastructures et d’organisation. La France, dont les Jeux de Nice ont connu quelques couacs (voir article Le choix de l’originalité, page 82), peut en témoigner.
 
Depuis bientôt trente ans, l’audience de cet événement quadriennal ne cesse de s’élargir. Les diffuseurs, de TV5 Monde à Africable en passant par Canal+, boudent de moins en moins les épreuves et promettent cette année des dizaines d’heures de direct. En Afrique, l’engouement promet aussi d’être tout autre que dans la ville de la Côte d’Azur, plus connu pour ses maisons de retraite que pour ses boîtes de nuit. Abidjan, sa jeunesse, sa vie et sa fougue, devrait offrir un cadre bien plus enjoué et dynamique que ne le fut la ville de Christian Estrosi.
 
Oui, les Jeux de la Francophonie creusent peu à peu leur sillon. D’abord en cultivant leur originalité. Une singularité qui peut d’ailleurs se résumer en un mot : la culture. Non pas seulement celle du corps, mais celle de l’esprit. Car les compétitions artistiques y tiennent une place prépondérante. Elles seront au nombre de dix avec, entre autres : la danse de création, les arts visuels, les arts de rue, la littérature, la chanson, la photographie… Auxquels il faut ajouter depuis 2013 des concours autour du développement, avec la création numérique et la création en développement durable. Le sport ne sera pas en reste avec toutes les compétitions olympiques d’athlétisme, mais aussi le judo, le tennis de table ou le football.
 
FERVEUR ET ENTHOUSIASME
 
Les plus impatients de tous, d’ailleurs, ce sont elles, les délégations participantes. À l’image de la première d’entre toutes, celle de la Côte d’Ivoire, aussi farouchement déterminée qu’un troupeau d’éléphants quand il défend ses petits ! De la judokate Zoulehia Dabonne (voir p. 86) à la troupe Ivoire Marionnettes (p. 78) en passant par le coureur de 4x100 m Aboubakar Diarrassouba (p. 80), tous affichent une ferveur et un enthousiasme qu’ils espèrent contagieux. Pour faire gagner leur discipline. Et leur pays.