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Focus

Polluants éternels en Afrique :
une recherche sud-africaine au défi

Par Iris Vertanessian - Publié le 3 février 2025 à 16h00
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Légende : schéma, “Poly- and per-fluoroalkyl substances (PFAS) in the African environments: progress, challenges, and future perspectives”, Decembre 2024, Environmental Science and Pollution Research. DR
Schéma, “Poly- and per-fluoroalkyl substances (PFAS) in the African environments: progress, challenges, and future perspectives”, Decembre 2024, Environmental Science and Pollution Research. DR

« C’est l’un des défis environnementaux et de santé publique les plus urgents de notre époque. La persistance des PFAS et leur présence généralisée nécessitent des actions rapides et concertées. »

— Tlou Chokwe, docteur en chimie analytique environnementale, chercheur associé à l'Université d'Afrique du Sud (UNISA).

Les substances per- et polyfluoroalkylées, peu étudiées et quasi inconnues du public avant les années 2000, ces substances de synthèse utilisées pour rendre notamment les produits antiadhésifs et imperméabilisants, posent aujourd'hui un grave problème environnemental et sanitaire.

On les retrouve couramment dans des articles du quotidien : ustensiles de cuisine antiadhésifs, vêtements imperméables, maquillages, mousses anti-incendie… Mais ces substances sont aussi des polluants environnementaux persistants, associés à des risques sanitaires graves et à une perte de biodiversité.

Si les données européennes sur les PFAS sont documentées depuis une quinzaine d'années, c'est la recherche sud-africaine qui se présente comme le moteur de cette avancée dans les relevés de données sur le continent. Pourtant, les informations restent parcellaires, et le manque de moyens compromet ces avancées encourageantes.

Tlou Chokwe, docteur en chimie analytique environnementale et chercheur associé à l'Université d'Afrique du Sud (UNISA), est aussi responsable des opérations scientifiques au sein du Capricorn District Municipality à Polokwane. Avec une équipe de chercheurs, il a récemment publié, en décembre 2024, une étude éclairante recensant les recherches portant sur la présence et l'impact des PFAS en Afrique. Ces travaux constituent une première cartographie de la contamination, « Des avancées significatives ont été réalisées dans l'étude des PFAS en Afrique, avec une prédominance des recherches en Afrique du Sud », explique le chercheur. 

 « En Afrique australe, nous avons recensé 32 études, contre 15 en Afrique de l’Ouest, 12 en Afrique de l’Est, 2 en Afrique du Nord et seulement 1 en Afrique centrale. »​​​​​​​ 

Poly- and per-fluoroalkyl substances (PFAS) in the African environments: progress, challenges, and future perspectives”, December 2024, Environmental Science and Pollution Research. DR
Poly- and per-fluoroalkyl substances (PFAS) in the African environments: progress, challenges, and future perspectives”, December 2024, Environmental Science and Pollution Research. DR

Parmi les études africaines recensées, la majorité ont donc été menées en Afrique du Sud, où les bases de données sont les plus complètes. Les institutions à la pointe de cette recherche sont l'Université de KwaZulu-Natal (UKZN), l'Université d'Afrique du Sud (UNISA), l'Université du Cap occidental (UWC), l'Université de Venda et l'Université de technologie de Tshwane (TUT). Par ailleurs, les recherches existantes se concentrent principalement sur l'eau, qui représente 55 % des études.  

Son analyse de la situation met aussi en évidence des lacunes inquiétantes. En effet, une disparité régionale nette se dessine, regrettable pour le chercheur : « Si l'Afrique du Sud et le Nigeria figurent parmi les pays les plus avancés sur cette question, de nombreuses zones restent sous-étudiées ». Cette inégalité dans l'accès à l'information inquiète les chercheurs. Tlou Chokwe tire la sonnette d'alarme et interpelle les décideurs : « La recherche sur les PFAS a un avenir prometteur, mais elle n'est pas encore suffisamment prise au sérieux en Afrique, notamment en raison du manque de ressources et de sensibilisation ». Il regrette un manque d'accompagnement politique et financier, car « par rapport à des régions comme l'Europe ou l'Amérique du Nord, la base de connaissances et l'infrastructure de recherche sur les PFAS en Afrique en sont encore à leurs débuts, mais le potentiel de croissance est pourtant considérable».

Pour pallier ces disparités et le manque d'informations, il attend une réponse urgente : une amélioration des équipements analytiques et un soutien accru à la recherche. Il en est convaincu :  « La tendance générale montre un intérêt croissant et un nombre d'études en augmentation ». Reste à savoir si la volonté politique suivra.

Rejets d’effluents et agriculture commerciale

Une étude récente, publiée en novembre 2024 et menée par Patrick Ssebugere (Université de Makerere, Ouganda), Ashirafu Miiro et Oghenekaro Nelson Odume (Université de Rhodes, Afrique du Sud), révélait l'étendue de cette contamination plus largement. Leur analyse a identifié des foyers de pollution dans 11 pays africains, dont l'Afrique du Sud, le Kenya, le Nigeria, l'Ouganda, le Ghana et la Tunisie. Parmi les sites précis les plus touchés, ce qu'on appelle  les “hot spots”, on retrouve le fleuve Vaal en Afrique du Sud et la rivière Nairobi au Kenya.

Si les points chauds de pollution aux PFAS en Europe se situent principalement autour des usines de production et des centres d'entraînement pour les pompiers sur les aéroports,  « où l'on utilise des mousses anti-incendie en grande quantité » explique Eric D. van Hullebusch, chercheur spécialisé dans les perfluorés à l'Institut de Physique du Globe de Paris, en Afrique, les sources majeures de contamination diffèrent.

Selon l’étude de Ssebugere, Miiro et Odume, publiée en novembre 2024, les principales sources de contamination seraient les rejets d’effluents industriels et l’agriculture commerciale. Deux secteurs en pleine expansion sur le continent, mais aussi deux sources potentielles de contaminants, à étudier de plus près.

Sources : “Poly- and per-fluoroalkyl substances (PFAS) in the African environments: progress, challenges, and future perspectives”, Decembre 2024, Environmental Science and Pollution Research / “Per- and poly-fluoroalkyl substances in aquatic ecosystems and wastewater treatment works in Africa: Occurrence, ecological implications, and future perspectives”, Novembre 2024, Chemosphere.