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Découverte / Djibouti

Ports et logistiques
le défi de la compétitivité

Par Zyad Limam Romain Thomas - Publié en juin 2023
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e terminal pétrolier de Doraleh est un prolongement du port international de Djibouti.PATRICK ROBERT
Le terminal pétrolier de Doraleh est un prolongement du port international de Djibouti.PATRICK ROBERT

 

En vingt ans, le pays a considérablement optimisé sa situation géographique en développant une offre de classe mondiale. Un effort ambitieux et payant qu’il faut soutenir sur le long terme. Et face aux nouvelles concurrences.

Depuis deux décennies, Djibouti n’a eu de cesse de multiplier les investissements dans son économie logistique et portuaire. La terre est dure, exigeante, mais le pays est stratégiquement placé sur le détroit de Bab el-Mandeb, face à la péninsule Arabique, gardien de l’entrée de la mer Rouge. Étape incontournable, aussi, sur le chemin du canal de Suez. Nous nous trouvons ici à la croisée des routes du commerce mondial, entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe.

C’est au tournant des années 2000 que le président Guelleh et ses équipes affichent leur objectif. Il consiste alors à investir dans cette situation privilégiée et à s’appuyer sur l’histoire (le vieux port de la ville fut le 3e de France à la fin de l’époque coloniale, après Le Havre et Marseille), pour développer une offre à l’échelle mondiale. Et à installer Djibouti sur la carte des acteurs majeurs du secteur. Ainsi qu’à ouvrir les portes de l’Éthiopie, pays voisin peuplé de plus de 100 millions d’habitants, en pleine libéralisation économique, mais dépourvu d’accès maritime depuis la sécession de l’Érythrée.

Le nouveau port à conteneurs de Doraleh, inauguré en 2003, a permis tout à la fois de désengorger celui de la ville et de répondre aux grandes ambitions du pays. Lancée en partenariat avec le géant émirati DP World, sur une base concessionnelle, l’opération a finalement donné lieu à un contentieux majeur. Devant le refus de DP World de rediscuter les termes d’un contrat, de toute évidence pour le moins déséquilibré (il incluait en particulier une exclusivité sur l’ensemble du territoire et une gestion unilatérale), l’État djiboutien a mis fin de manière unilatérale à l’accord en décembre 2018.

Mais le port de Doraleh, devenu SGTD, a continué à développer son activité et sa productivité, élargissant notamment son offre au transbordement grâce à sa position idéale pour les navires, sur une ligne directe entre l’Asie et l’entrée de la mer Rouge. Désormais, Doraleh dispose non seulement d’un des plus performants terminaux à conteneurs de la région, avec une capacité de traitement de 1,2 million EVP (équivalent vingt pieds), mais aussi d’un nouveau terminal, le Doraleh Multipurpose Port (DMP), structure mixte permettant de traiter aussi le vrac (dry bulk).

Cette nouvelle infrastructure peut accueillir des navires disposant d’un tirant d’eau de 20 mètres, et l’ambition est payante. Dans une récente étude, la Banque mondiale et le S&P Global Market Intelligence ont classé Djibouti au rang de 3e port à conteneurs le plus performant du continent, derrière Tanger Med et Port-Saïd. Par ailleurs, après trois années marquées par un contexte défavorable – l’épidémie de Covid, les fortes perturbations post-pandémie dans les chaînes logistiques, ou encore les conséquences du conflit en Ukraine –, l’activité reprend progressivement.

DES PROJETS AMBITIEUX

L’écosystème Doraleh s’appuie aussi sur la ligne de chemin de fer construite entre Djibouti et Addis-Abeba, entre 2010 et 2016, notamment grâce à un soutien financier chinois. Cette aventure humaine devrait permettre progressivement d’augmenter le flux et la sécurisation du fret entre les deux pays (autant que le nombre de voyageurs). Les troubles en Éthiopie, en particulier l’insécurité autour des voies, ralentissent le développement de cette infrastructure réellement révolutionnaire, mise en service en 2018. Mais l’ambition demeure. Et afin de mieux répondre à la demande des nations voisines, notamment l’Éthiopie, Djibouti a également développé un autre port en eau profonde, à Tadjourah, deuxième ville du pays localisée sur la côte nord-est. Inaugurée en 2017, l’infrastructure est prolongée par le corridor routier de Tadjourah-Balho.

Toutes ces interconnexions, qu’elles soient routières ou ferroviaires, permettent à plusieurs millions de tonnes de marchandises de rejoindre chaque année l’Éthiopie, et consolident dans le même temps la position géostratégique de Djibouti. Autre chantier majeur, la transformation du «vieux port» de la capitale, dans la zone historique. L’objectif ? Transformer l’activité selon un concept de « port-park-city », qui fait référence à l’intégration des ports, des parcs industriels et des services. Le projet, prévu sur une décennie, monté en partenariat stratégique avec China Merchants Group, a été signé début 2021 et implique un investissement à long terme de 3 milliards de dollars. Le but premier est de créer un nouveau quartier d’affaires, en profitant de la proximité des principales infrastructures de transport – le vieux port est proche de l’aéroport international et de la gare ferroviaire. L’autre objectif est d’investir dans des activités connexes au secteur portuaire, en s’intégrant dans les chaînes de valeur et en créant de l’emploi, comme la construction d’un chantier naval par le spécialiste néerlandais Damen Shipyards Group, une infrastructure destinée à offrir de multiples services de réparation et d’entretien aux navires, en particulier une cale sèche pour gros-porteurs. Une telle infrastructure est quasi unique dans la région et en Afrique, et l’opportunité économique bien réelle: près de 3000 navires gros-porteurs transitent au large des côtes djiboutiennes chaque année.

Pour maintenir son statut de hub régional incontournable de la Corne de l’Afrique, le pays parie aussi sur le secteur de la logistique et de la sous-traitance. Désormais affranchis de la tutelle de DP World, l’État, l’autorité portuaire et ses actionnaires, comme China Merchants Group, planifient des investissements sur la décennie à venir pour faire de Djibouti une porte d’entrée privilégiée vers le cœur du continent. C’est ce concept qui a donné naissance à la plus grande zone franche internationale d’Afrique, baptisée Djibouti International Free Trade Zone (DIFTZ), disposant d’une superficie de 4800ha pour un investissement global de 3,5 milliards de dollars. Depuis 2018, elle offre notamment des avantages fiscaux et douaniers aux entreprises étrangères, tout en apportant un soutien logistique de qualité. Elle vise aussi à développer des activités industrielles de transformation, afin de créer sur place de la valeur aux produits importés, mais aussi des emplois directs, sans se limiter à de simples activités d’import-export.

Dans le but de continuer à développer son économie logistique et portuaire, le pays a également décidé de poursuivre ses investissements dans la baie de Damerjog, située dans le sud de la capitale, un complexe industriel et portuaire d’avenir, estimé à plusieurs milliards de dollars, compte tenu notamment d’une extension de 20km2 réalisée sur la mer. Les travaux de construction s’étaleront sur une période de quinze ans, à savoir de 2020 à 2035. Damerjog se positionne sur des activités stratégiques et créatrices d’emplois, avec en particulier une jetée portuaire pour alimenter des dépôts pétroliers, vaste chantier entrepris par le groupe marocain Somagec, et un projet d’acheminement et de traitement du gaz naturel transporté via des gazoducs depuis les puits de l’est de l’Éthiopie, afin d’être liquéfié sur place, puis exporté par voie maritime. Un projet particulièrement ambitieux porté par le groupe chinois Poly-GCL.

L’Éthiopie est accessible depuis la gare de Nagad.PATRICK ROBERT
L’Éthiopie est accessible depuis la gare de Nagad.PATRICK ROBERT

UN AVENIR PROMETTEUR

Tous ces investissements, réalisés dans un large écosystème, entrent dans le cadre du plan de développement «Vision 2035». Depuis 2013, l’année de sa mise en œuvre, Djibouti s’est engagé à moderniser sa législation et son système financier, à mettre à niveau ses ressources humaines et à construire des infrastructures performantes et adaptées aux exigences du marché international. Mais, considérant l’avenir, le pays voit encore plus loin que l’aboutissement de Damerjog, la rénovation du centre-ville ou bien la montée en gamme de la zone franche, puisqu’il prévoit également, entre autres, de construire un nouvel aéroport international, de développer des routes, de créer des transits air-mer-terre.

Cette feuille de route sert à bâtir une base industrielle et commerciale compétitive, mais aussi et surtout à enrichir globalement le pays, tout en permettant une meilleure redistribution sociale, en particulier grâce à la création d’emplois. Malgré les investissements et la résilience de l’économie aux chocs externes, la pauvreté reste un défi d’envergure national. La croissance du PIB s’est accélérée, passant de 3,2% pour la décennie 2000 à 6,2% pour la décennie actuelle, mais elle se révèle insuffisamment inclusive. En effet, si Djibouti affiche en 2020 un PIB par habitant de 3074 dollars, la pauvreté extrême concerne encore 21,1% de la population, et le pays est classé 171e sur 188 pour l’indice de développement humain (IDH, 2019).

La création d’emplois, les investissements nationaux et étrangers, et les gains de compétitivité restent des exigences majeures. Interviewé dans Jeune Afrique en 2022, le patron de l’Autorité des ports et des zones franches de Djibouti (DPFZA), Aboubaker Omar Hadi, soulignait les efforts mis en place: «Nous misons sur les ressources humaines en formant nos personnels pour garantir la qualité de nos services. Nous nous appuyons également beaucoup sur les outils numériques aujourd’hui disponibles pour renforcer la fluidité des trafics en éliminant les points de blocage. Nos clients peuvent ainsi voir à tout moment, et en temps réel, où se trouvent leur navire ou leur marchandise.» Un autre axe majeur consiste en la réduction des coûts de passage sur les terminaux portuaires. Les autorités se sont fixées pour objectif d’augmenter l’activité de transbordement, moins rémunératrice que l’import-export direct, mais qui dope les volumes et fidélise les grands transporteurs des compagnies maritimes, devenues dominantes sur le marché.

Ces évolutions sont d’autant plus nécessaires que Djibouti sera confronté d’une manière ou d’une autre à la concurrence. Le pays a de l’avance, mais la vigilance et la réactivité doivent rester de mise. Car l’Éthiopie est un pays frère, mais c’est aussi un pays fragile. Et c’est surtout une nation enclavée, qui cherche des alternatives au port de Djibouti, ce qui est «légitime », comme le souligne un spécialiste du secteur. Quant au Somaliland, république autoproclamée à la frontière de l’Éthiopie et de Djibouti, il développe un projet de terminal à conteneurs dans le port de Berbera, sous la houlette de l’incontournable DP World, lequel, début mars dernier, a inauguré en présence du gouvernement du pays une nouvelle zone franche à Berbera pour faire de ce port un véritable hub dans la région.

Certes, les routes et les lignes de chemin de fer ne sont pas encore là, mais le signal est clair. Pour maintenir ses positions et réaliser ses ambitions, Djibouti doit innover, s’adapter, investir, proposer la meilleure solution. Et après tout, c’est le job du leader!