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Opinion

Poutine, l’anti-héros

Par Hussein Ba - Publié en avril 2022
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Vote de la résolution condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, à l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, le 2 mars dernier. EPA-EFE/JUSTIN LANE
Vote de la résolution condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, à l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, le 2 mars dernier. EPA-EFE/JUSTIN LANE

Le journal britannique The Guardian, sous la plume de Jason Burke, rapporte la consternation des pays occidentaux face à l’abstention de beaucoup de pays africains, au cours du vote de l’Assemblée générale des Nations unies sur la crise ukrainienne. Ces abstentions ont été abondamment commentées par la presse internationale. 

Cependant, s’il y a un facteur important qui structure le basculement d’une grande partie de l’Afrique dans la sphère d’influence russe, c’est bel et bien l’opinion publique. Ce fait est indéniable. Vladimir Poutine jouit d’un élan de sympathie auprès de cette opinion. Les raisons de cette popularité sont multiples, mais trois semblent déterminantes. En premier lieu, les conséquences négatives engendrées par les « guerres culturelles » en Occident. Tabou, marginal et rarement pris en compte comme élément d’analyse par les grands médias, « l’agenda LGBT » heurte cependant profondément les sociétés conservatrices africaines. Les Occidentaux mesurent mal encore le degré de rejet de ce que les opinions africaines perçoivent comme des ingérences culturelles intolérables.

Au fond, ce qu’elles considèrent chez les Occidentaux comme sociétés « dévirilisées » perd son attractivité au profit de la résistance masculine incarnée par des « hommes forts », dont Vladimir Poutine serait un spécimen. La propagande russe surjoue d’ailleurs sur ce registre, avec des images valorisant le tempérament physique du locataire du Kremlin.

L’autre sujet, insuffisamment examiné, est la conséquence quasi traumatique, sur l’opinion publique africaine, de la destruction de la Libye par les armées de l’OTAN, essentiellement amenées par la France et le Royaume-Uni. Le défunt guide de la Jamahiriya arabe libyenne avait conquis les coeurs des Africains par ses mises en scène radicalement symboliques, son activisme en faveur de la restructuration des instances dirigeantes du continent, et son discours « révolutionnaire » captivant. Sans oublier le soutien réel qu’il avait apporté aux mouvements de libération.

Et pourtant ! Le même Kadhafi avait préféré mettre à l’abri une grande partie de ses réserves de change en Occident, en plus de son rôle décisif dans l’essor des rébellions au Sahel, aujourd’hui largement documenté. Qu’importe ! L’opinion retient de lui l’image d’un héros, et une icône de la « renaissance africaine ». La destruction de son pays et sa mort tragique ont ainsi créé un choc tellurique dont les vagues continuent d’alimenter un ressentiment antioccidental persistant.

Enfin, ce processus de désamour est aussi la conséquence des stratégies de désinformation massives opérées par les rivaux de l’Occident sur le continent. L’Africain est aujourd’hui noyé dans un flot de propagande quotidienne, sophistiquée, d’origine obscure, et dont la finalité est de réduire à néant l’influence occidentale. Sur ce plan, les officines en oeuvre, qui ont compris très tôt le pouvoir de nuisance des réseaux sociaux, ont une longueur d’avance. « Il est vrai qu’une partie de l’opinion africaine est remontée contre l’Occident, il faut toutefois être lucide et savoir raison garder. C’est à Londres ou à Washington que les victimes de l’arbitraire peuvent trouver une oreille attentive, et non à Pékin ou à Moscou. Il ne faut jamais l’oublier ! » tempère un opposant africain.​​​​​​​