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PAIX

QUAND L’UNITÉ FAIT LA FORCE

Par - Publié en avril 2016
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Face au groupe terroriste Boko Haram, qui sévit principalement dans la région de l’Extrême-Nord, classe politique, société civile et populations ont fait le choix de l’union sacrée.

Jeunes chefs d’entreprise, hauts cadres du privé ou de l’administration publique, tous sont réunis au sein du collectif « Unis pour le Cameroun ». En ce soir de février 2016, arborant des T-shirts aux couleurs nationales, ils arpentent les lieux les plus fréquentés pour distribuer des tracs mobilisant et mettant en garde les populations contre le terrorisme, les appelant à collaborer avec les forces de défense et de sécurité. Quelques semaines plus tôt, ils avaient opéré la même démarche à Bafoussam, à 300 kilomètres au nord-ouest de Yaoundé, et à Douala, la capitale économique. « Le peuple doit rester soudé dans cette dure épreuve que nous impose le groupe terroriste Boko Haram. Notre premier objectif est donc d’informer la population sur la réalité de cette guerre. L’union et la solidarité sont des éléments indispensables pour résister », justifie Guibaï Gatama, leader du groupe et directeur de publication du journal L’Œil du Sahel.

Au sein de ce collectif apolitique qui regroupe différents courants de pensée, l’ambiance est bon enfant. Il est en liaison constante avec des lanceurs d’alerte présents dans la zone de conflits, qui renseignent quasiment en temps réel sur les éventuels attentats comme sur les revers de l’ennemi. Des informations ensuite relayées sur les réseaux sociaux. « Même si, reconnaît Guibaï Gatama, certains ont tendance à minimiser le phénomène, dans la mesure où la guerre se déroule loin de leurs yeux. Pourtant, l’impact sur l’ensemble de la nation est évident. Notamment parce que la guerre absorbe des ressources que l’État aurait pu affecter au développement économique, mais aussi parce que les soldats qui prennent part aux combats sont originaires de tous les coins du pays. Néanmoins, passant outre les différences sociales et d’origine, la grande majorité de la population est unie face à la situation et collabore avec les forces de l’ordre. »

État composite, avec quelque 200 ethnies et une dizaine de religions dont les plus pratiquées sont le christianisme et l’islam, le Cameroun est aussi un pays bilingue partagé entre parties francophone et anglophone, héritage de l’influence coloniale française et britannique avant l’indépendance, en 1960, et la réunification un an plus tard. Il a toujours veillé à maintenir une cohabitation sans heurts entre ses différentes composantes et s’enorgueillit même d’être une mosaïque de cultures : « Sur sa diversité géographique, ethnique et culturelle, le Cameroun a construit son unité. C’est cette diversité-là qui fait la richesse et la personnalité, si plurielle, de mon pays. C’est aussi cette diversité qui fait la fierté, si caractéristique, de mes concitoyens », rappelait Paul Biya à François Hollande, en visite au Cameroun l’année dernière. Le chef de l’État n’est pas peu fier de diriger un pays si varié dont les humoristes se plaisent à railler les tares supposées de telle ou telle autre ethnie. Ici, la différence est comprise comme une richesse et la nouvelle génération fait désormais peu de cas des origines éthiques ou religieuses lors des unions civiles. « Les communautés religieuses vivent en harmonie dans le respect des croyances et de la foi des uns et des autres. La laïcité de l’État du Cameroun, c’est la garantie de la paix, c’est le respect de l’autre et de sa foi, c’est l’école de la tolérance. Cette tolérance qui garantit à chacun sa liberté de pensée, sa liberté de culte, donc la liberté personnelle qui lui permet de s’épanouir pleinement. Nous avons la chance de vivre dans un pays en paix épargné des fléaux de la guerre civile et des antagonismes religieux. Sachons maintenir la paix », recommandait le président Biya, lors d’une visite à la grande mosquée de Yaoundé.

SOLIDARITÉ NATIONALE

Cet attachement de la population à la paix, dans une partie du monde où la plupart des pays ont connu des crises politiques violentes, a jusqu’ici épargné le Cameroun de déchirements communautaires ou interreligieux. Comme si, conscient de la fragilité de l’édifice national vieux d’à peine soixante ans, chacun des acteurs politiques et sociaux savait jusqu’où ne pas aller trop loin, et quelles causes devaient indispensablement rassembler. À l’instar de Ni John Fru Ndi, leader de l’opposition qui encourage régulièrement les forces de défense et de sécurité et qui, le 19 mars 2015 à l’hôpital militaire de Yaoundé, a apporté vivres et réconfort aux soldats blessés, plusieurs personnalités s’impliquent dans la lutte contre Boko Haram, en se rendant sur les lieux des attaques pour témoigner de leur soutien aux populations et aux réfugiés, comme l’ont fait Edith Kahbang Walla, présidente du Cameroon People’s Party (CPP), et l’écrivain et homme politique Vincent-Sosthène Fouda.

Régulièrement célébré par ses partisans comme « l’artisan de l’unité nationale », Paul Biya veille particulièrement à ne pas rompre ce brassage pacifique des cultures ancestrales et d’héritages coloniaux. Francophone chrétien de la région du Sud, il a d’ailleurs choisi comme Premier ministre un Anglophone, Philémon Yang, originaire du Nord-Ouest. Majoritaire à l’Assemblée nationale et au Sénat, son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), y a investi comme président de la première Cavaye Yéguié Djibril, un musulman de l’Extrême-Nord, et du second, Marcel Niat Njifenji, un Bamiléké de l’Ouest. Veillant particulièrement à limiter autant que possible les frustrations, la promotion des cadres à de hautes fonctions obéit à un savant dosage. Une pratique parfois critiquée par la jeune génération, qui estime que cette logique d’équilibre régional, sorte de discrimination positive, ne laisse pas toujours la priorité aux plus méritants. Face à ces réserves, le gouvernement rappelle que la nation est encore jeune, soulignant l’engagement pris par le président peu après son investiture, alors qu’il effectuait le 26 mai 1983 une visite officielle à Bertoua, la capitale de la région de l’Est : « Si le développement du pays reste le but de notre action, l’unité nationale en constitue le fondement. Face à l’évidence et à l’étendue de tout ce qui nous reste à faire, il est de notre devoir à tous de dénoncer et de combattre tout ce qui tend à détruire ce que nous avons construit, ce que nous construirons et ce que nous voulons construire. Aussi, je le déclare nettement : le tribalisme, le favoritisme, le népotisme tout comme les intrigues, l’exploitation des mécontentements, les manœuvres de division, de démobilisation, de démoralisation et de provocation, n’ont pas leur place au Cameroun, qui est riche de tant de diversité […]. Il importe alors que toutes les Camerounaises et tous les Camerounais, tout en étant attachés à leur tribu et à leur province, comprennent que l’unité et la cohésion de la nation doivent être toujours la loi suprême. »