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Quatre personnages au coeur de l’histoire

Par Alexandra Fisch - Publié en février 2017
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Mythes, légendes et réalités… Entre les XVIIe et XIXe siècles, ces souverains, une femme et trois hommes, ont profondément marqué la mémoire collective.

La terre ivoirienne avant l’ère de la colonisation est un ensemble de grands royaumes, souvent le résultat des migrations de peuples voisins. Malheureusement, la colonisation casse ces royautés, les colons les décrédibilisent après avoir passé des accords dits d’amitié avec eux. Chaque dynastie décline lentement au fil des décennies. À l’Indépendance, le président Félix Houphouët- Boigny entretient des relations distanciées avec ces souverains oubliés. Leur importance est peu à peu reconnue même si elle est récente. Ce sont eux que l’on va consulter pour régler les différends entre voisins.
 
Leur rôle social a évolué, ce ne sont plus des monarques absolus mais des relais entre le peuple et l’État. Qui les a d’ailleurs « réhabilités », avec la loi de 2014 qui leur donne un véritable statut et la Constitution de 2016, qui renforce leur rôle. Ils soignent les blessures passées, comme en témoigne la cérémonie de purification de la terre donnée par les chefs traditionnels et coutumiers baoulé à Bouaké en septembre dernier. Certains personnages émergent plus particulièrement du « roman national ». Ils sont au centre de l’aventure des royaumes et des empires qui naissent sur les terres de la future Côte d’Ivoire. Entre légendes et réalité, ils s’inscrivent dans les mythes fondateurs.
 
Abla Pokou, le sacrifice d'une reine
 
C’est un personnage de légende, qui incarne le mythe fondateur d’un peuple et par extension d’une nation. Abla Pokou naît à la fin du XVIIe siècle dans le royaume akan de Koumassi situé dans l’actuel Ghana. Lorsque le souverain Osei Toutou meurt au début du XVIIIe siècle, son fils Daaku (le frère aîné d’Abla) et son neveu Opokou Ware se disputent le trône. Opokou Ware prend le pouvoir et peu de temps après, Daaku est assassiné. Étant menacée, Abla Pokou décide de quitter clandestinement le royaume avec sa cour. Sa beauté est comme sa détermination, sans égal. Elle attache son fils sur son dos et se met en route suivie des siens. L’exil est épuisant car il faut aller vite, les guerriers d’Opokou Ware sont à leurs trousses.
 
Après plusieurs jours, le groupe arrive devant les eaux déchaînées de la Comoé. Le fleuve est infranchissable. Abla consulte alors son sorcier. Les dieux veulent ce que la reine a de plus précieux. Abla jette ses bijoux en or dans les tourbillons mais les vagues continuent… Elle lève les yeux vers le ciel et comprend. La reine détache son enfant et, le coeur lourd, le jette dans les flots. L’eau se calme, des hippopotames émergent. Leurs dos forment un pont et permettent aux migrants de traverser. Fermant la marche, la reine s’écroule sur l’autre rive, le coeur brisé. Elle crie sa douleur : « baoulé ! », « l’enfant est mort ». Elle se relève et guide son peuple jusqu’à Niamonou, où ils s’installent. L’histoire du peuple baoulé commence ici, avec le sacrifice ultime de sa reine.
 
Sékou Ouattara, l'empereur de Kong
 
Kong est une ville aux mille vies, un centre de commerce, une cité religieuse, qui a connu les fastes et les pillages au cours des siècles. La fondation du royaume de Kong date du IXe siècle. Sékou Ouattara y voit le jour en 1665 dans le village de Ténégéra. Dans sa petite enfance, il étudie le Coran et s’exerce au maniement des armes. Le jeune Sékou intègre l’armée du souverain Lasiri Gbombélé, où il est reconnu comme un valeureux guerrier. Mais c’est aussi une forte tête, défaut qui l’écarte du commandement des troupes. Il change alors de métier et excelle en tant que commerçant.
 
Les marchandises sont précieuses : esclaves, sels, cotonnades, noix de cola, or… Il profite de son savoir-faire militaire pour assurer la protection des routes caravanières, ce qui lui vaut la reconnaissance des autres marchands. Petit à petit, le jeune homme gagne en notoriété et s’intéresse au pouvoir. Il s’en empare en 1710 avec l’appui des riches commerçants et de ses anciens soldats. Sékou étend le royaume de Kong grâce à ses fils, auxquels il confie des armées. Ensemble, ils conquièrent de nombreuses régions. En 1720, il est à la tête d’un immense empire qui va de l’Anno et du Gyaman au Sud, jusqu’au pays lobi à l’est, et aux régions de Bobo-Dioulasso et du Kénédougou au nord.
 
La cour est prestigieuse, le souverain s’entoure de conseillers, de savants, de religieux, et tient souvent des audiences. L’organisation du pouvoir est très structurée, trois conseils l’épaulent : celui du maire de la ville (le Dougoutigiya), des anciens (le Dyéma) et un conseil spécial, qui seconde celui du maire (le Barola). Sékou Ouattara fait rayonner Kong, la cité devient un centre religieux important et le principal carrefour commercial d’Afrique de l’Ouest. Le valeureux guerrier meurt de vieillesse à près de 80 ans, en 1745. Ses héritiers se partagent un vaste empire à la destinée chaotique.
 
Nanguin Soro, le valeureux guerrier sénoufo
 
La chefferie de Korhogo et l’empire de Kong sont intimement liés. Si les sources ne permettent d’affirmer l’origine sociale et les raisons du départ de Nanguin Soro de l’empire de Kong, elles s’accordent sur le fait qu’il est le fondateur de Korhogo. Tout commence à la mort de l’empereur Sékou Ouattara. Plusieurs militaires partent de Kong, notamment son aide de camp, Nanguin Soro. Ce dernier pressent le déclin de l’empire. Il part accompagné d’une partie de la population vers le sud. Suivant une route caravanière, ils remontent le cours de la rivière Léraba jusqu’au village de Kaouara. Ses habitants prennent peur en voyant arriver ces soldats et leur refusent l’hospitalité. Les migrants poursuivent leur chemin vers le sud et gagnent les localités de Lataha et Diédana. Nanguin est charmé par les lieux, par cette nature exubérante où tout pousse, où la forêt est giboyeuse.
 
Ces deux villages sont sous l’autorité des chefferies dioula de Kadioha et de Boron. Lorsqu’il demande à s’y installer, on lui répond qu’il faut la bénédiction des chefs. Nanguin n’hésite pas un seul instant, il s’en va la quérir. Les souverains la lui donnent, à la seule condition qu’il abandonne ses desseins guerriers. Nanguin accepte et s’installe à Diédana, qui va devenir par la suite Korhogo. Pour obtenir l’assentiment et la bienveillance de ses voisins, il leur dit que les dieux de la forêt ont porté ses pas jusqu’ici. Tous reconnaissent dans le guerrier apaisé un chef et ils lui donnent le nom de « Fanhanfolo » (chef militaire). La chefferie de Korhogo est née.
 
Amon N’Douffou II, le monarque du Sanwi
 
Rusé, fin stratège, diplomate : les qualificatifs élogieux ne manquent pas pour désigner Amon N’Douffou II. Il a, dit-on, tellement impressionné les Européens, que ces derniers l’ont comparé au roi français Louis XIV. Mais qui est-il exactement ? À l’origine, son nom est Kassi Amon. Ses ancêtres agnis viennent du royaume de l’Aowin (actuel Ghana), qu’ils ont fui à la fin du XVIIe siècle. Leur exode les mène à Krindjabo, où ils fondent avec leur chef, Amalaman Anoh, un nouveau royaume, celui du Sanwi. On ne sait pas avec certitude le nombre de rois qui se sont succédé avant Amon N’Douffou II, mais son nom est associé à la grandeur du Sanwi. Il règne de 1844 à 1886. C’est lui qui est en contact avec les Européens venus signer des traités d’amitié. C’est un monarque absolu, à la fois chef des armées, grand prêtre et juge suprême.
 
On l’imagine entouré de ses attributs royaux, le cimeterre symbole de sa force militaire, le tambour signifiant la communication, le dja (paquet contenant les poids à peser l’or), l’expression du trésor royal, assis sur le bia, le siège royal. Sa cour se tient autour de lui. Malan Alloua, la reine-mère, est un personnage de grande importance dans ce clan matrilinéaire. Amon N’Douffou II exerce son pouvoir de façon pyramidale, il a autorité sur ses sept lieutenants, qui dirigent chacun un canton. Sa dynastie perdure aujourd’hui et ses descendants ont repris son nom. Une autre façon de rendre hommage à cette figure historique.