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Françé, Théâtre des Halles, Festival d’Avignon, juillet 2025. ÉRIC MASSUA
Françé, Théâtre des Halles, Festival d’Avignon, juillet 2025. ÉRIC MASSUA
Parcours

Raymond Dikoumé

Par Astrid Krivian
Publié le 20 mai 2025 à 08h55
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L’auteur, comédien et metteur en scène déploie ses talents en proposant un théâtre ouvert à tous. Créée avec Lamine Diagne, Françé explore leur héritage africain, questionne leur place dans la société française, convoque récit personnel et grande histoire, regards croisés sur leur expérience d’afrodescendants.

Enfant, il rêvait de devenir un super-héros pour sauver le monde. Ainsi, Raymond Dikoumé est attiré par l’art de la comédie. En région parisienne, où il grandit, il fait du théâtre et rejoint un collectif de rappeurs, au sein duquel il explore cette identité «métissée de jeune de banlieue». Cette approche multidisciplinaire forgera son parcours artistique. Il signe ses propres pièces et mises en scène, fonde sa compagnie de théâtre urbain DraMad. «Au théâtre, j’incarnais des personnages mythiques, séculaires de la culture française. Mais quel était mon héritage camerounais? Mes parents ramenaient du Cameroun des DVD de séries, de comédies. Je ne trouvais pas d’espace pour raconter ces histoires. Or je voulais faire du théâtre qui parle à ma famille, à mes potes du quartier, un art plein d’énergie positive, qui donne de la force aux afrodescendants», confie-t-il.
En 2011, il suit une formation d’acteur à Broadway, à New York. Le mouvement du Black Theater et les textes d’auteurs afro-américains l’inspirent. «Je m’identifiais à cette parole de diaspora vivant dans un pays occidental. Ce théâtre s’adressait à des gens dont l’expérience sociale m’était proche. J’ai ainsi appris à me raconter intimement, à partager mon africanité joyeuse et festive sur scène.»
En 2015, il obtient le prix SACD/France Télévisions Web-série pour son feuilleton Les Contes de la street des histoires fantastiques au sein d’une cité. En 2016, il coécrit avec le comédien Osman Elkharraz le roman Confessions d’un acteur déchu, puis monte Le Cabaret du Bouge. À Marseille, où il s’est établi, il met en scène la pièce The Colored Museum, de George C. Wolfe, satire de la société afro-américaine, qu’il a lui-même traduite. Croisant les disciplines (cinéma, performance…), expérimentant les formes (déambulation de rue…), son théâtre bouscule les codes, veut réinventer le rapport au spectacle pour le faire exister hors des circuits traditionnels.
Avec son complice, l’auteur, conteur, comédien et musicien Lamine Diagne, il écrit et interprète la pièce Françé, qui sera présentée au Festival d’Avignon cet été. Par un prisme ludique, profond et intime, ils explorent leur double appartenance, leur héritage africain, leur vécu et leur place au sein de la société française prônant l’assimilation, leur tiraillement mais aussi leur richesse «d’hommes-passerelles» entre deux continents. Ils exhument leur passé familial, articulé à l’histoire de la colonisation française en Afrique. «Me connecter à mon héritage camerounais – ses mythes, sa spiritualité , à mon ancestralité, m’a permis de me sentir fort et entier. J’ai écrit sur mon grand-père pour en faire un héros, combler ce manque de transmission sur l’histoire de la guerre d’indépendance du Cameroun.» Ses voyages réguliers dans ce pays depuis l’enfance l’ont nourri d’histoires, d’imaginaires et alerté sur la néocolonisation qui appauvrit le continent.
«J’ai grandi en me sentant parfois différent; pourtant, la dimension multiculturelle fait notre force et celle de la France. En effectuant mes recherches, j’ai compris que j’étais bien français. Mon histoire fait partie de l’histoire française, sauf qu’elle n’est pas racontée. C’est notre responsabilité de narrer ces récits.»