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RD Congo : fin de règne

Par zlimam George.OLA-DAVIES - Publié en avril 2018
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Miné par les conflits, la violence, la corruption, le pays devrait voter le 23 décembre... Un obstacle qui paraît infranchissable. Et alors que tout est à reconstruire.

Rien d’étrange à ce que les leaders religieux soient fortement impliqués dans la vie sociopolitique de la République démocratique du Congo. Il en est ainsi depuis la période précoloniale du pays. La puissante Église catholique et ses dirigeants ont souvent été impliqués dans l’étouffement de tout chaos qui couvait. Pas toujours avec succès, mais les politiciens avaient tendance à les écouter, au moins pendant un temps. Les chefs religieux ont joué un rôle important dans la Conférence nationale souveraine de 1990, qui visait à réintroduire la politique multipartite et à mettre fin à deux décennies de dictature de Mobutu. Ils ont également suivi de près, entre 2001 et 2003, le dialogue intercongolais de Sun City, en Afrique du Sud, qui installait, pour la première fois dans l’histoire de la politique en Afrique, quatre vice-présidents, visant à surmonter les divisions traditionnelles du pays et à inaugurer un véritable fonctionnement démocratique. Ce nouveau système tendait à apaiser les divisions dogmatiques qui ont entaché le tissu de la société et ainsi éloigné les chefs religieux. Mais cela n’a duré qu’un temps, car ces derniers devaient resurgir au centre de la vie politique de leur cher pays pour éviter qu’il ne sombre dans les abysses d’une crise politico- humanitaire. Leur dernière implication a fait naître un Rien d’étrange à ce que les leaders religieux soient fortement impliqués dans la vie sociopolitique de la République démocratique du Congo. Il en est ainsi depuis la période précoloniale du pays. La puissante Église catholique et ses dirigeants ont souvent été impliqués dans l’étouffement de tout chaos qui couvait. Pas toujours avec succès, mais les politiciens avaient tendance à les écouter, au moins pendant un temps. Les chefs religieux ont joué un rôle important dans la Conférence nationale souveraine de 1990, qui visait à réintroduire la politique multipartite et à mettre fin à deux décennies de dictature de Mobutu. Ils ont également suivi de près, entre 2001 et 2003, le dialogue intercongolais de Sun City, en Afrique du Sud, qui installait, pour la première fois dans l’histoire de la politique en Afrique, quatre vice-présidents, visant à surmonter les divisions traditionnelles du pays et à inaugurer un véritable fonctionnement démocratique. Ce nouveau système tendait à apaiser les divisions dogmatiques qui ont entaché le tissu de la société et ainsi éloigné les chefs religieux. Mais cela n’a duré qu’un temps,  car ces derniers devaient resurgir au centre de la vie politique de leur cher pays pour éviter qu’il ne sombre dans les abysses d’une crise politico- humanitaire. Leur dernière implication a fait naître un nouveau chapitre de l’intervention sécuritaire défiant toute raison.

Car malheureusement, cette démocratie issue du dialogue intercongolais, dans une nation de près de 79 millions d’habitants, surnommée par euxmêmes « scandale géologique » à cause de son immense richesse minérale, n’a été qu’une succession de rêves brisés. La RDC est le deuxième plus vaste pays du continent (2 344 858 km2) après l’Algérie, et se targue d’offrir le cinquième plus grand gisement de diamants au monde. Il dispose également de larges réserves d’or, de cobalt, de cuivre, de nickel et d’un métal rare, la cassitérite, utilisée dans la fabrication des téléphones portables. Marie-Ange Mulumba, une femme d’affaires diamantaire à Mbuji Mayi, a dit de la richesse minérale du pays : « Si seulement nous avions utilisé sagement nos minerais, nous aurions vécu dans un paradis sur terre, mais ici au Congo, nous sommes dans un enfer perpétuel. » Le barrage hydroélectrique d’Inga, construit sous le régime de l’ancien président Mobutu Sese Seko, au point mort depuis des décennies, est un autre scandale énergétique. Le jour où il sera entièrement opérationnel, il pourra fournir 4 500 mégawatts d’électricité qui non seulement alimenteront toute la RDC mais seront également exportés vers la Namibie, l’Angola, le Botswana et l’Afrique du Sud… La RD Congo, c’est aussi l’histoire d’une immense tragédie nationale, avec une succession de guerres, et surtout, un conflit majeur embrasant la région, entre 1998 et 2003, impliquant une dizaine de pays africains, provoquant un nombre de victimes estimées entre 1 et 5 millions de personnes. Le cataclysme le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale…

La RD Congo, c’est aussi la présence de la plus importante et la plus onéreuse force des Nations unies : 18 000 militaires, 4 000 civils. Dix provinces sur 26, selon le magazine britannique The Economist, sont en situation de crise armée intérieure, avec la présence de milices hors de contrôle. On estime que 2 millions de Congolais ont quitté leurs lieux de vie l’année dernière, portant le nombre de réfugiés à près de 4,5 millions. En dehors de Kinshasa (voir p. 38), de Lubumbashi – et encore, tout est relatif –, l’État se délite, laissant par ailleurs les pilleurs de tous acabits dévaster les immenses ressources naturelles congolaises. En marge des querelles de politiciens dans la capitale, on a assisté à une réapparition des combats interethniques qui ont duré près de deux décennies dans la région orientale de l’Ituri, entre les communautés hema et lendu. Des milliers de personnes ont fui vers l’Ouganda voisin, laissant derrière elles leurs maisons incendiées, leurs terres agricoles détruites et leur bétail volé. Le conflit entre les deux communautés qui vivent côte à côte a fait plus de 10 000 victimes depuis que la violence a éclaté en 1999. Sur un autre front, les milices armées ont poursuivi leurs activités dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu.

31 décembre 2017. À l’appel de l’Église, des manifestations pacifiques anti-Kabila ont eu lieu dans plusieurs villes, comme ici à Kinshasa JOHN WESSELS/AFP PHOTO

ÉPICENTRE DE LA CRISE
Le président Joseph Kabila a suivi les traces d’autres leaders africains sur le continent avant lui. Il s’est présenté en treillis militaire quand il a été imposé au peuple après l’assassinat de son père Laurent-Désiré, puis l’a troqué pour des costumes de grands couturiers. Il a été élu deux fois, en 2006 et 2011, à la suite de processus douteux. Son mandat légal après deux quinquennats a pris fin il y a près de deux ans et aucun signe ne montre qu’il soit prêt à renoncer au pouvoir bientôt. La dernière date annoncée pour l’élection présidentielle est le 23 décembre de cette année. Mais beaucoup n’y croient pas… À deux reprises, ces élections ont été reportées pour des raisons différentes et chaque fois, le pays a glissé dans une nouvelle et plus grande violence. L’Église est intervenue alors que les forces de sécurité de l’État employaient leurs tactiques brutales et sanglantes envers les Congolais qui comptaient leurs morts et leurs biens détruits. La différence cette fois, est que les partisans du parti au pouvoir conduisent ce qu’ils ont appelé des « contre-manifestations » dans les églises de l’ensemble du territoire pour parer aux marches de protestation initialement lancées par les chefs religieux.
L’incertitude sur la candidature de Kabila a suscité en particulier l’attention de la part du Comité laïc de coordination (CLC) qui a organisé la série de marches populaires en RDC les 31 décembre 2017 et 21 janvier 2018. Pour la première fois, les forces de sécurité sont alors entrées dans les églises et ont attaqué ceux qu’elles accusent de participer à un « soulève-ment populaire non autorisé ». Les Nations unies ont confirmé la mort de neuf personnes cette année suite à des violences policières.
À l’épicentre de la crise : la tenue ou non d’élections le 23 décembre prochain. Le gouvernement, par le biais de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), tente d’introduire un nouveau système de vote électronique controversé, que beaucoup soupçonnent de pouvoir fausser les résultats. Le 13 février, le chef de la CENI, Corneille Nangaa, a déclaré : « Sans machines à voter, il n’y aura pas d’élection le 23 décembre 2018. » D’autres responsables de la CENI ont affirmé qu’il ne s’agit pas d’une « machine à tricher » mais plutôt d’une technologie qui simplifie le processus et réduit les coûts. Les opinions de la communauté internationale vont à l’encontre de celles de la CENI. L’ambassadeur américain auprès des Nations unies, Nikki Haley, par exemple, a affirmé que le nouveau système de vote pourrait nuire à la crédibilité du scrutin. « Cette élection doit être soutenue par un vote papier dont le peuple congolais ne contestera pas le résultat », a-t-elle déclaré, ajoutant que « les États-Unis ne sont pas enclins à soutenir un système de vote électronique ». Pourtant, afin qu’un tel système fonctionne correctement, il a besoin d’une alimentation électrique constante, ce qui n’est pas seulement un luxe pour certains, mais pour la majorité de la population… 
SILENCIEUX SUR SON AVENIR
La RDC n’a pratiquement jamais cédé à la pression internationale. Cette dernière menace ne sera pas une exception. On a tendance à croire à Kinshasa que la communauté internationale est un chien de garde impuissant, incapable de fermeté dans l’exécution de ses sanctions, sauf pour retenir l’argent de l’aide, geler les biens étrangers des hauts fonctionnaires et militaires et les empêcher de voyager vers les pays où leurs fonds sont conservés. Kabila lui-même reste silencieux sur son avenir. L’un de ses collaborateurs, Lambert Mende, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, a même déclaré en janvier dernier : « Monsieur Kabila ne se représentera pas à la présidence. » Pour Roger Lumbala, leader du Rassemblement congolais pour la démocratie nationale (RCDN) et possible candidat au scrutin du 23 décembre : « Nous ne savons pas si Kabila va abandonner. Il est introverti et il est difficile de deviner ce qu’il pense. » Pendant ce temps, le président agit comme si de rien n’était ou presque. Et consolide son pouvoir. Il a récemment nommé Henri Mova Sakanyi comme nouveau ministre de l’Intérieur et vice-Premier ministre. Sakanyi était, jusqu’à cette nomination, le secrétaire général du parti PPRD (Peuple pour la reconstruction et la démocratie) de Kabila, un titre qui est en cours de suppression pour faire place au nouveau poste de président, que Kabila aurait l’intention d’assumer.
Avec une opposition en plein désarroi, la possibilité que le PPRD de Kabila continue à s’accrocher au pouvoir, avec lui-même dans le rôle d’une éminence grise qui tire les ficelles en coulisses, n’est pas à exclure. Pour Thierry Vircoulon, analyste reconnu de la région, le maintien au pouvoir de Joseph Kabila en RDC tient largement grâce à un pacte tacite passé entre les acteurs sécuritaires, politiques et économiques. Qui n’ont aucun intérêt à ce que cela change. Les « services de sécurité » ont toute latitude pour faire des affaires depuis l’arrivée au pouvoir de Kabila, en 2001. Les politiciens et les élus vivent de la perpétuation du système avec ses salaires et ses rentes. Les compagnies minières et pétrolières (souvent sous-estimées), chasse gardée des proches et des alliées du régime, s’enrichissent tranquillement et apparaissent régulièrement dans les enquêtes internationales, type Panama Papers. Et la plupart des grands pays voisins, à l’exception notable du Rwanda, ont trouvé un modus operandi avec le président Kabila et son gouvernement. Enfin, il faudrait parler de la Chine, devenue depuis le fameux deal de 2007 « minéraux contre cash » l’un des acteurs majeurs de la politique congolaise. Après dix-sept ans de Kabilisme (et plus de trente ans de Mobutisme), les citoyens aspirent à un véritable changement, à quelque chose de profond qui ira au-delà du simple renouvellement de la classe politique. Il s’agit de mettre un terme à un vrai système économico-politique d’intérêts croisés, mettre fin, pour reprendre Thierry Vircoulon, au « consensus de corruption », «horizon indépassable de l’histoire congolaise ». Face à cette force d’inertie, à l’immensité de la tâche, les fissures au sein de l’opposition continuent à s’accentuer. Moïse Katumbi, riche homme d’affaires et ancien gouverneur de la province du Katanga, qui dirige la plate-forme politique du G7, reste en exil sans aucune certitude qu’il sera de retour pour mener une campagne digne de ce nom. Katumbi bénéficie de soutien non seulement dans sa région du Katanga, mais dans tout le pays. Avant de déclarer son intention de devenir président, il avait largement supporté et parrainé Joseph Kabila. Il a démissionné du parti du PPRD en 2015 après des différends avec celui-ci, dénonçant la dérive de l’exécutif et l’absence d’État de droit. Son départ du pays a suscité des incertitudes, ce qui a conduit à l’effritement progressif du G7. La faction Tshisekedi, née après la mort de l’emblématique figure de l’opposition, Étienne Tshisekedi wa Mulumba, en février 2017, aurait pu être un bloc d’opposition majeur, mais elle est plus divisée que jamais. La formation avait à peine décollé quand elle a été frappée par une sécession. Il y a maintenant deux camps constitués du « Rassemblement de Limete » avec Félix Tshisekedi à sa tête et Olivier Kamitatu, Pierre Lumbi, et Christophe Lutundula comme principaux acteurs. Et « l’aile Kasa-Vubu » composée du Premier ministre, Bruno Tshibala, Joseph Olenghankoy et Roger Lumbala 
Ses partisans l’attendent. Mais rien ne dit que l’ancien gouverneur de la province du Katanga, Moïse Katumbi, exilé, sera de retour pour mener campagne.VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/REA - KENNY KATOMBE/REUTERS
CRISE DE LEGITIMITÉ
Olivier Kamitatu était membre fondateur du Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba. Ce dernier étant en prison et suite à une série de désaccords, il avait quitté le MLC pour s’aligner sur la majorité présidentielle en devenant ministre puis député, avant de créer son propre parti, l’ARC (Alliance pour le renouveau au Congo). Il est désormais le porte-parole du G7 qui soutient Moïse Katumbi pour la présidence.
Leur crise interne au sein du G7 est double. L’une des principales sources de discorde qui est apparue au public en décembre dernier concerne le soutien ou non d’une marche pour contrer celle proposée par le CLC. Cette différence de point de vue semble profonde et si l’on en croit Roger  Lumbala, cela semble irréconciliable. Une autre réside dans les désaccords profonds entre les groupements régionaux et tribaux, désaccords endémiques qui ont tourmenté la vie politique du pays bien avant l’avènement de l’indépendance. Roger Lumbala quant à lui pense que le pays n’est pas en crise politique. « Nous avons surtout une crise de légitimité parce que  ceux qui sont au pouvoir le sont en dehors de tout mandat politique. Sur la base de cette illégitimité, comment pouvons-nous espérer trouver une solution si nous n’avons pas d’élections ? » Lumbala soutient également l’idée que l’appareil étatique réprime ceux qui ont supporté l’appel à la manifestation du CLC. « Dans quel pays au monde les autorités resteraient les bras croisés alors qu’il y a un soulèvement ? » D’un côté, dit-il,
« on devrait critiquer de manière constructive et d’un autre côté, vous devriez essayer de réfléchir aux raisons de ce qui a poussé les autorités à prendre une telle position ». Face à une division si importante au sein du camp de Tshisekedi, il est difficile d’envisager une réconciliation avant le scrutin de décembre. La faction Tshisekedi n’est pas la seule opposition au régime de Kabila. Il y a eu une valse politique permanente, avec des personnalités influentes qui changent de camp à leur convenance. Il y a ceux qui choisissent celui du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, Mbusa Nyamwisi, un ancien chef de guerre et ex-ministre, et l’Union pour la nation congolaise (UNC) de Vital Kamerhe, l’un des architectes de l’accord de Sun City et ancien président de l’Assemblée nationale. L’absence de Jean-Pierre Bemba a peut-être affaibli la structure de son parti, mais les loyalistes 
du parti du MLC sont toujours là. Ces personnalités politiques viennent de régions farouchement opposées au régime de Kabila. La base politique du MLC se trouve dans la région de l’Équateur, celles de Mbusa Nyamwisi et Vital Kamerhe dans la région du Kivu. Ils ne sont peut-être pas en mesure de mettre en place une force suffisante pour mener une bataille politique d’envergure, mais face à l’adversité du régime actuel, une recomposition des groupements d’opposition n’est pas impossible. Au moins ont-ils encore le temps de conduire et livrer un vrai combat. Les populations congolaises l’attendent avec impatience. Elles l’ont réclamé dans les rues, dans les bars, dans les lieux de prière… Et la dernière chose que les Congolais souhaitent, c’est un désordre à grande échelle dans un pays qui a déjà connu l’une des plus importantes instabilités politiques du continent.