Renaud Lapeyre
«Encourager les bonnes pratiques»
Responsable de Nitidæ Côte d’Ivoire
Nitidæ promeut l’agriculture durable en Côte d’Ivoire. Docteur en économie de l’environnement, son responsable a travaillé en Namibie, au Maroc et au Kenya, et a collaboré avec l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales) et WWF France, avant de rejoindre l’ONG en 2021. Aujourd’hui, il aide les producteurs à s’adapter aux nouvelles réglementations, tout en prenant en compte les réalités du terrain.
AM: Comment l’agriculture ivoirienne est-elle affectée, concrètement, par le changement climatique?
Renaud Lapeyre: Quand on pose la question aux paysans, ainsi qu’aux femmes et aux hommes qui sont dans les villages, autour de la réserve de Mabi-Yaya notamment, ils observent aujourd’hui qu’avec moins de forêts, il y a moins de pluie, et qu’avec moins de pluie, leur production de cacao marche moins bien, tout comme le manioc et la banane plantain. La déforestation impacte directement leur production. Pendant certaines saisons, lorsque les agriculteurs ont l’habitude de planter, il arrive que la pluie ne tombe pas du tout, ou au contraire qu’elle soit trop abondante, rendant les récoltes impossibles. La pluviométrie est devenue très instable et imprévisible. Cela combiné à des sols qui s’appauvrissent, notamment à cause de l’utilisation de produits phytosanitaires, les productions sont moins généreuses et cela crée un cercle vicieux de déforestation supplémentaire pour trouver une parcelle plus riche et productive…
Quels sont les projets phares de Nitidæ en Côte d’Ivoire, et comment ces initiatives contribuent-elles à soutenir l’agriculture durable et la protection de l’environnement?
Nos projets se concentrent principalement autour de la réserve naturelle de Mabi-Yaya et du parc national de la Comoé. Dans les deux zones, nous collaborons avec l’Office ivoirien des parcs et réserves, ainsi que les populations locales. À Mabi-Yaya, nos interventions portent sur le cacao et l’hévéa, tandis que dans la région du parc national de la Comoé, nous travaillons sur la culture de l’anacarde et, dans une moindre mesure, sur le karité. Nous soutenons également les cultures vivrières: au sud, cela inclut la banane et les tomates, et au nord, les maraîchers et le riz. En plus de cela, nous investissons dans le développement d’infrastructures sociales de base, avec la construction de salles de classe, de logements pour les infirmiers et les enseignants. Notre travail consiste aussi à encourager les bonnes pratiques agricoles, en accompagnant les producteurs dans l’entretien des parcelles, en remplaçant l’usage de produits phytosanitaires par des méthodes plus durables. Nous œuvrons également à la réhabilitation de vieux vergers de cacao, en revitalisant les plantations qui ont perdu en productivité, notamment par des techniques de régénération adaptées.
Quelle est l’approche de Nitidæ?
Nitidæ se concentre sur la combinaison entre conservation des ressources naturelles et développement économique local et durable. Nous n’avons pas de rôle régalien, nous ne faisons pas de surveillance. Nous travaillons avec toutes les populations riveraines des parcs. Notre approche se décline en trois dimensions, à savoir: le paysage, l’économie et la science. L’approche paysagère est plutôt horizontale et réside dans la conservation de la forêt et des ressources naturelles de façon globale. Nous travaillons alors avec des populations riveraines d’une aire protégée, qui peut être un parc national ou une réserve naturelle. Nos accompagnements portent à la fois sur l’agriculture, le vivrier, le développement local et les infrastructures de base, mais aussi sur des activités génératrices de revenus, comme l’apiculture ou des groupements d’épargne crédit. Ensuite, il est essentiel de comprendre que les revenus des agriculteurs, qu’ils cultivent du cacao, de l’anacarde, du karité ou d’autres produits, sont liés à une chaîne de valeur complexe. Beaucoup de décisions influençant cette chaîne ne sont pas prises sur le terrain, mais au niveau des marchés nationaux et mondiaux, ainsi qu’au regard des réglementations nationales. C’est pourquoi on se concentre sur ces aspects en adoptant une approche aussi verticale. Cette approche dite économique va se concentrer sur la totalité de la chaîne de valeur, notamment par la transformation. En valorisant leurs produits agricoles, les producteurs obtiennent de meilleurs prix. Enfin, notre approche est aussi scientifique. Nous réalisons des tests et entreprenons des recherches pour développer des alternatives aux produits phytosanitaires. Par exemple, notre chercheur mène des expériences sur des solutions comme le bokashi, un intrant biologique enrichi en neem, papayer et autres éléments naturels. Nous développons également des formations sur le terrain en travaillant avec les coopératives et les planteurs, dans le but de leur apprendre à utiliser ces alternatives, notamment des biopesticides et biofongicides. Même si ces solutions peuvent être plus coûteuses en temps et en ressources, il est essentiel d’accompagner et de soutenir l’ensemble des acteurs dans cette transition vers des pratiques agricoles plus durables, qui permettront à long terme d’avoir une utilisation des champs qui soit plus pérenne et une meilleure productivité.