Retour aux sources
L’élite urbaine part à la conquête des titres nobiliaires, tandis que les manifestations communautaires se multiplient pour ressusciter les rites ancestraux.
André est un haut cadre des impôts, bardé de diplômes obtenus à l’étranger. Il réside à Yaoundé, où il mène une vie à l’occidentale. Difficile pourtant de le reconnaître, dans son accoutrement traditionnel à la cour royale de Bangou, pour les funérailles d’un notable. C’est avec fierté qu’il se pare d’une cape en peau de panthère, d’une coiffe de plumes d’oiseaux rares et d’une tunique en perle aux couleurs bariolées. Comme nombre de ses pairs, il ne pouvait pas déroger à l’instruction du chef de participer à cette parade. Ils sont ainsi nombreux, les hommes puissants en ville mais qui au village retrouvent, non sans fierté, un statut de sujet déférent, de notable adoubé à la cour par le roi et accomplissant avec plaisir les rituels. Du fait du poids des traditions, même les dignitaires de la République goûtent souvent volontiers au plaisir d’être anobli dans les cours royales.
Le président Paul Biya l’a été lui-même en janvier 2011 par un collège des chefs de son Sud natal, qui lui ont donné à l’occasion le nom de Nnom Ngii (« maître suprême de la science et de la sagesse millénaires »), tandis que son épouse Chantal héritait du titre de Nyia Meyong (« la mère des peuples »). Il n’y a d’ailleurs pas que dans sa région que le chef de l’État a ainsi été élevé : les chefs traditionnels de presque tout le pays lui ont accordé divers titres.
Cet amour de ces coutumes donne désormais lieu à des festivals qui perpétuent les valeurs ancestrales. Le Ngondo, le festival du peuple sawa, dont les us et coutumes ont été malmenés par les influences coloniales des Allemands, des Français et des Britanniques, est aujourd’hui très couru et fait partie de l’agenda culturel national (lire l’article sur Sawaland dans ce dossier, ainsi que l’agenda). Idem en pays bassa, où le festival Mbog Liaa draine l’essentiel de l’élite politique et des hommes d’affaires de la communauté. Une occasion pour eux d’essayer de glaner quelques titres nobiliaires dans les cours royales. Mais cette promotion dans la noblesse a un coût. En général, les postulants doivent avoir accompli au cours des années passées des réalisations remarquables pour le développement de leur contrée ; ils doivent aussi, et peut-être surtout, couvrir le chef de présents somptueux et acheter l’entregent de notables influents.
Le Cameroun a beau revendiquer un certain ancrage dans la modernité, nombre de coutumes ont gardé une force parfois supérieure à celle de la loi républicaine. À l’exemple des rites de veuvage, qui tournent parfois au supplice. Ces rituels, pratiqués un peu partout dans le pays, ont survécu au temps et à l’occidentalisation des mœurs, à tel point que des associations mènent des campagnes de sensibilisation non seulement sur le traitement dégradant inacceptable infligé aux veuves, mais aussi sur la dangerosité de la pratique. Il en va de même du mariage. Même célébré devant le maire, celui-ci n’aura qu’une valeur formelle aux yeux de la communauté, tant que des noces selon les rites ancestraux n’auront pas réuni les deux familles pendant une longue nuit harassante de palabres voire de marchandages qui se conclut en général, heureusement, par des chants de joie et des agapes généreusement arrosées.