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Interview

Ronak Gopaldas
«Tout dépendra de laquelle des intentions contradictoires finira par dominer»

Par Cédric Gouverneur - Publié en décembre 2024
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L’AGOA pourrait servir d’arme dans la guerre commerciale avec Pékin, tandis que Tesla société dirigée par le milliardaire Elon Musk s’intéresse, elle, aux minerais africains. Analyse des intérêts divergents américains, avec l’économiste politique sud-africain Ronak Gopaldas.

AM: Quels impacts sur l’AGOA (African Growth and Opportunity Act) avait eu le premier mandat de Donald Trump (janvier 2017- janvier 2021)?

NINA EPELLÉ/ DIGITAL GOLD HQ
NINA EPELLÉ/ DIGITAL GOLD HQ

​​​​​​​Ronak Gopaldas: Son administration avait maintenu l’AGOA, qui accorde un accès en franchise de droits au marché américain aux pays éligibles d’Afrique subsaharienne, mais elle n’avait fait que peu d’efforts pour l’étendre ou le renouveler. L’approche de Trump à l’égard de l’Afrique était transactionnelle, se concentrant sur les intérêts américains plutôt que sur des partenariats à long terme. Tandis qu’il critiquait l’influence de la Chine en Afrique, accusant Pékin de pratiques de prêt prédatrices, son administration n’avait pas de stratégie cohérente pour contrecarrer cette influence chinoise, laissant les nations africaines équilibrer leurs relations avec les deux puissances.

Le commerce entre les USA et l’Afrique subsaharienne est en baisse, en volume comme en valeur. Quelles sont les principales raisons de cette diminution?

Elle est due à l’évolution des modèles commerciaux mondiaux et à l’essor de puissances économiques émergentes, telles que la Chine, l’Inde et la Russie, qui ont approfondi leurs liens avec l’Afrique, et donc réduit la dépendance du continent à l’égard des États-Unis. Alors que la Chine est devenue le plus grand partenaire commercial de l’Afrique, investissant massivement dans les infrastructures et les ressources naturelles, les États-Unis ont eu du mal à rivaliser. Pendant ce temps, l’administration Trump s’est davantage concentrée sur les priorités nationales, réduisant ainsi son engagement avec l’Afrique. La création de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) en 2021 a également encouragé le commerce intraafricain, diminuant encore davantage la dépendance à l’égard de marchés extérieurs tels que les États-Unis.

Elon Musk est promis à de hautes responsabilités (Trump entend le nommer «ministre de l’Efficacité gouvernementale»): est-ce une bonne nouvelle pour les producteurs africains de lithium (Zambie et République démocratique du Congo, par exemple), indispensables à Tesla?

Les entreprises d’Elon Musk, notamment Tesla, SolarCity et SpaceX, ont des intérêts importants dans les minéraux africains, tels que le cobalt, le lithium et le nickel, qui sont cruciaux pour les véhicules électriques et les solutions d’énergies renouvelables. Cela crée des opportunités pour les producteurs de pays comme la Zambie et la République démocratique du Congo.

Le service Internet par satellite Starlink pourrait également améliorer la connectivité numérique en Afrique, en comblant les lacunes en matière d’infrastructures et en favorisant le développement économique. Cependant, les tensions géopolitiques et les inquiétudes concernant l’approvisionnement durable pourraient façonner l’implication future d’Elon Musk dans la région…Le résultat dépendra de laquelle de ses intentions contradictoires finira par dominer: en cas de guerre commerciale avec la Chine, Trump utilisera l’AGOA comme une arme de soft power afin de faire avancer les intérêts américains. Les minéraux critiques revêtent donc une importance stratégique pour promouvoir l’influence des États- Unis et freiner l’influence de la Chine.

Trump pourrait être tenté d’utiliser l’AGOA comme arme diplomatique: l’Afrique du Sud pourrait-elle subir des représailles en raison de la politique de Pretoria au Moyen-Orient depuis octobre 2023?

Trump pourrait utiliser l’AGOA stratégiquement pour influencer les politiques africaines. La position de l’Afrique du Sud sur le Moyen-Orient pourrait susciter un examen minutieux, en particulier si la politique étrangère américaine devient plus belliciste. Or, les efforts diplomatiques de l’Afrique du Sud sous la direction de l’ambassadeur Ebrahim Rasool et du ministre du Commerce et de l’Industrie Parks Tau pourraient contribuer à atténuer les tensions. L’Afrique du Sud présidera le G20 en 2025, ce qui pourrait aussi créer des opportunités de dialogue constructif entre les deux pays.

Joe Biden avait suspendu l’Éthiopie de l’AGOA, accusant le pays de violations des droits de l’Homme. Trump, peu sensible à ces problématiques, pourrait-il se concentrer sur les relations diplomatiques?

Sous le premier mandat de Trump, les intérêts stratégiques et économiques ont en effet souvent pris le pas sur les droits humains. Et contrairement à Biden, qui a suspendu les avantages accordés à l’Éthiopie au titre de l’AGOA en raison de violations des droits de l’Homme pendant le conflit au Tigré (2020-2022), l’administration Trump avait donné la priorité aux avantages commerciaux et aux alliances stratégiques, s’engageant même avec des dirigeants que l’on peut qualifier d’autoritaires lorsque cela s’accordait avec les intérêts américains.

Quelle sera la politique de Trump en matière de dollar?

La préférence de Trump va à un dollar plus faible, afin de stimuler les exportations américaines en les rendant plus compétitives. Ce qui pourrait, indirectement, réduire le fardeau de la dette africaine, car elle est libellée en dollars. Cependant, les critiques de Trump à l’égard des politiques de la Réserve fédérale (la Fed) et ses confrontations avec son président Jerome Powell [en poste jusqu’en 2026  Trump l’a qualifié d’«ennemi des États-Unis», ndlr] suggèrent que de futurs débats autour de la politique monétaire américaine pourraient avoir des implications imprévisibles sur le commerce et les investissements mondiaux.

Quelles pourraient être les impacts sur la ZLECAf de la guerre commerciale de Trump contre la Chine?

​​​​​​​Les politiques commerciales de Trump pourraient avoir des effets à la fois positifs et négatifs sur la ZLECAf. Des États-Unis plus isolationnistes pourraient encourager les pays africains à se concentrer sur le commerce intraafricain, et ainsi à réduire leur dépendance à l’égard des partenaires extérieurs. Cependant, une augmentation des droits de douane sur les exportations africaines ou des accords bilatéraux avec des pays individuels pourraient compromettre les objectifs communs de la ZLECAf. En réponse aux tensions commerciales, les pays africains pourraient approfondir leurs partenariats avec d’autres acteurs mondiaux, comme la Chine et l’Union européenne, tout en poursuivant leur industrialisation et leur intégration régionale afin d’atténuer les chocs extérieurs. ronakgopaldas.com