"Sa personne de Georges Adéagbo", rencontre avec l'artiste béninois

« Quand j’ai commencé, les gens me prenaient pour un fou. J’en ai douté moi-même, je me suis demandé : “suis-je fou” ? »

Solidement campé sur sa canne, l’artiste béninois Georges Adéagbo est aujourd’hui présent dans les plus grandes manifestations artistiques : La Documenta, la Triennale de Paris, la Biennale de Shanghai. Grand Prix du Jury de la Biennale de Venise en 1999, il est pourtant longtemps resté incompris. À ses débuts, sa démarche dérange, au point qu’il soit interné sur décision de ses proches. « Vingt-trois années de souffrance » et d’incompréhension pour celui qui, avec ses installations, est devenu l’une des figures de proue de la scène artistique contemporaine béninoise.
« Je ne m’attendais pas à entrer dans le monde de l’art, c’est le décès de mon père qui m’a amené dans ce monde-là », confie l’artiste.
Originaire de Cotonou, il se pense un temps entrepreneur. Après des études de droit à Abidjan, il s’envole pour la France en 1967 et travaille un temps chez Pechiney. Mais en 1971, son père décède brutalement. Le jeune aspirant doit rentrer au Bénin pour reprendre les affaires familiales. La famille lui confisque son passeport pour l’empêcher de repartir. Débutent vingt-trois années de souffrance, et cette pratique mystérieuse qui suscite l'incompréhension autour de lui.

« L’artiste, ce n’est qu’un missionnaire. En fait, l’art est déjà présent dans la nature. Tout est dans la nature. Dieu est dans la nature. »
Cigarette aux lèvres, il arpente les rues de Cotonou et ramasse vêtements, tissus, chaussures, disques, livres, journaux, notes écrites. Il ne choisit pas les objets, ce sont eux qui l’appellent. « Je marche, je pense, je vois, je passe, je reviens, je ramasse les objets qui m'attirent, je rentre, je les lis, j'écris des notes.» Assemblés dans un ordre précis, ces fragments de mémoire recomposent une histoire à la croisée du personnel et du collectif.
En 1973, sa mère meurt. Georges Adéagbo se retrouve seul avec ses tourments. Ses installations envahissent la cour de la maison. Personne n’y prête garde jusqu’en 1993, quand le commissaire d’exposition Jean-Michel Rousset le découvre, et le sauve. Un an plus tard, il est invité en France pour une première exposition. En 1999, c’est l’ascension, il devient le premier artiste africain à recevoir le prix du jury de la Biennale de Venise. Tchif, Aston, Zinkpè et, bien sûr, Romuald Hazoumé, «l’artiste-bidon», Georges Adéagbo demeure constant et fidèle dans son hommage.
Parfois qualifié de «postmoderne», lorsqu'on ne sait plus par quel bout attraper son travail et sa pensée, encyclopédiques tous deux.

« Je ne connaissais rien au monde de l’art, et je suis rentré dans ce monde, j’en suis moi-même surpris. Aujourd’hui on parle des artistes, mais comment on devient artiste ? »
Comment devient-on ce qu’on est ? À la galerie Mennour, rue du Pont de Lodi, son exposition « Ma personne de Georges Adéagbo» éclaire cette question. Lui, qui ne peut se désigner que par la troisième personne, comme s’il parlait d’un autre.
Dès la première salle, un ensemble de « constellations » emblématiques retrace ses œuvres marquantes. Sous la verrière, il propose une réflexion inédite sur le dialogue entre surréalisme et arts africains, revisitant l’influence des masques et sculptures traditionnels sur l’avant-garde occidentale du XXe siècle, de Picasso à Giacometti. L’histoire de l’art moderne s’écrit depuis l’Afrique.
Galerie Kamel Mennour (6 rue du pont de Lodi, Paris), jusqu’au 20 mars 2025.