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«En perpétuel débat, mes deux cultures me permettent de questionner, d’évoluer, d’être tolérante.» DR
«En perpétuel débat, mes deux cultures me permettent de questionner, d’évoluer, d’être tolérante.» DR
Parcours

Sarah Lélé

Par Astrid Krivian
Publié le 16 avril 2025 à 12h27
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L’humoriste belgo-camerounaise, à 22 ans, est un talent du stand-up prometteur. Avec sa verve, ses punchlines et son naturel, elle parle dans son premier spectacle de double culture, de football, de féminisme, de colonisation.

La Mauvaise Éducation, les mardis à 21 h, au Théâtre Le Contrescarpe, Paris Ve. ROMAIN GARCIN
La Mauvaise Éducation, les mardis à 21 h, au Théâtre Le Contrescarpe, Paris Ve. ROMAIN GARCIN

Clin d’oeil à l’album d’anthologie The Miseducation of Lauryn Hill de son idole du même nom, La Mauvaise Éducation est l’occasion pour l’humoriste belgo-camerounaise d’explorer les contradictions liées à sa double culture, avec un regard aiguisé, mordant et des punchlines décapantes. Sarah Lélé puise matière à rire dans ce décalage, cette opposition, parfois, entre les valeurs camerounaises inculquées par ses parents, celles transmises à l’école et son expérience en tant que femme de la diaspora dans une réalité européenne. De ce tiraillement, elle fait un atout. «Mon éducation européenne nuance mon éducation africaine, et vice versa. Elles me définissent, font ma force. Je les assume. J’accepte ce conflit intérieur: en perpétuel débat, mes deux cultures me permettent de questionner, d’évoluer, d’être tolérante», confie l’humoriste, qui a grandi à Bruxelles et s’est récemment installée à Paris.

Parmi les traits culturels hérités du Cameroun, elle reste attachée au respect des aînés, à la valeur travail et à cette confiance en soi, souvent perçue par les autres comme de l’arrogance. «Savoir ce que l’on vaut et le mettre en avant, c’est très camerounais.» On veut bien la croire, au vu du talent et de l’aisance scénique de cette artiste de 22 ans au naturel désarmant, à la verve pertinente, pleine de fraîcheur. Sur les planches, elle raconte ses vacances d’enfance passées dans le pays des origines familiales, où on l’appelle «la Blanche», quand en Belgique elle est «la Noire». Elle parle de football, sa passion: «Les compétitions internationales révèlent des réalités sociales et politiques comme le racisme, l’homophobie», dit-elle. De colonisation aussi: «L’histoire coloniale permet de comprendre les sociétés actuelles.»
Enfin de féminisme. Elle regrette que le rire soit encore un apanage masculin, surtout dans les relations amoureuses. «Être drôle n’est pas un atout féminin. Beaucoup d’hommes veulent que l’on rie à leurs blagues, mais n’acceptent pas qu’une femme ait de l’humour.» Sarah Lélé a le stand-up en elle depuis toujours. En classe, au collège, ses professeurs apprécient peu son sens de la repartie, sa tchatche, sa volubilité, et l’incitent plutôt à monter sur scène pour un one-woman-show en fin d’année.
À l’adolescence, elle parcourt les scènes ouvertes des comedy clubs. Ses parents ne s’y opposent pas, à condition qu’elle poursuive ses études en droit et en science politique après le bac, et qu’elle vise l’excellence. Aujourd’hui adoubée par Gad Elmaleh, elle s’inspire beaucoup de lui. «Modèle pour les autres générations, il représente le haut niveau. C’est mon but. Je veux servir l’art du stand-up, m’inscrire dans l’histoire de cette discipline, contribuer à ce cercle vertueux. Être une star ne m’intéresse pas.» Moment unique de partage, de connexion, le show est aussi un précieux temps d’écoute. «À travers les rires, j’entends quelles répliques touchent le public, le font réfléchir, lesquelles prennent du temps à être encaissées.» Elle compose son spectacle à l’oral, teste et développe ses idées sur scène, face aux réactions directes du public; ses vannes émergent spontanément dans l’échange. «Je n’ai pas l’esprit mathématique de la blague. Mon spectacle est un prolongement de moi-même.»