Scholastique Mukasonga
À corps perdu
L’autrice revient avec la narration d’une vie poignante. L’histoire vraie de Julienne, née en exil au Rwanda, son propre pays, venue au monde pour vivre à la vie à la mort.
«PUIS, UN JOUR, derrière sa barrière, il lui avait lancé : “Mademoiselle, voulez vous prendre un verre de Martini?”» Il suffit parfois de quelques mots, de piquer la curiosité, et la rencontre se fait inévitable. Il en est ainsi pour Julienne et «l’homme au Martini». Un personnage addictif, réincarné sous la plume de l’une des grandes voix de la littérature rwandaise. Dans ce douzième ouvrage, celle qui écrit depuis près de vingt ans sur les pages les plus sombres de l’histoire du pays des mille collines délivre la trajectoire enfouie d’une femme troublante, dont le portrait en noir et blanc irradie sur le bandeau du livre. Une histoire vraie, longtemps contenue, en gestation, enfin révélée. La narration d’une destinée à l’exil, aux passions et blessures. Telle une promesse que Scholastique Mukasonga se serait faite à elle-même et à l’héroïne de ce récit romancé, où s’entremêlent naïveté et trahison, système colonial et patriarcat, contamination et sororité. En exergue, quelques mots, «pour toi, Julienne», saisissent d’emblée. Dès lors, comme Julienne dans la vie, le lecteur se jette à corps perdu dans une histoire à la fois tragique et lumineuse. Ses illusions, ses désillusions, sa foi en quelque chose qui la dépasse, la fatalité.
Un écheveau traversé par un fil rouge déterminant : dénoncer l’injustice. Et mettre en lumière la beauté de la sincérité. Distinguée par le prix Renaudot 2012 pour Notre Dame du Nil, le Grand Prix SGDL de la nouvelle 2015 pour Ce que murmurent les collines et le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes 2021 pour Un si beau diplôme!, celle qui a témoigné avec ferveur de la persécution vécue par ses proches jusqu’à leur extermination, lors du génocide des Tutsi, met ici en scène les anfractuosités de l’humanité, ses fragilités et l’émotion qui la parcourt. À travers une sublime solitude. Funeste : «La mort a pour tous un regard. La mort viendra et elle aura tes yeux.»