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Stanislas Zézé : « Il faut donner de la visibilité au-delà de 2020… »

Par DOUNIA BEN MOHAMED - Publié en mars 2017
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Le patron de Bloomfield, l’une des quatre agences de notation financière africaines, porte un regard optimiste sur la situation du pays et sur ses perspectives. Et souligne l’importance d’un bon équilibre entre macroéconomie et réformes politiques de fond.

BASÉE À ABIDJAN, Bloomfield est l’une des quatre agences de notation financière africaines. Une activité stratégique alors que les États et les entreprises recourent de plus en plus aux marchés financiers. Son patron, Stanislas Zézé, a décidé d’organiser, le 6 avril, la première édition des Conférences risque-pays Bloomfield, dont l’objectif est d’inviter à réfléchir aux défis qui s’imposent aux pays de la zone. Cette première édition est consacrée à la Côte d’Ivoire.
 
AM : Le pays a connu un début d’année agité. Même si la situation se stabilise, les mouvements de grève ont révélé les attentes de la société en matière d’amélioration du niveau de vie. Signe de la fragilité du modèle ivoirien ?
 
Stanislas Zézé : Absolument pas. Ces problèmes étaient prévisibles. Ce sont des situations ponctuelles qui n’ont pas vocation à déstabiliser la nation, à condition qu’on en tire des leçons. Dans un pays solide, les grèves sont habituelles et ne menacent pas l’État. Avec les militaires, en revanche, il semble qu’il existe un vrai malaise. Cela étant dit, le problème n’est pas insurmontable et pourra être circonscrit à travers des réformes et des décisions politiques fortes et décisives. De nos discussions avec les autorités dans le cadre du suivi de notre notation financière, nous avons le sentiment qu’il y a une véritable prise de conscience et une volonté de trouver des solutions à moyen et long terme. C’est une situation certainement inconfortable mais pas alarmante.
 
 
Le gouvernement, au cours du premier mandat d’Alassane Ouattara, notamment, a mis l’accent sur la macroéconomie, négligeant peut-être les chantiers sociaux.
 
Les politiques ont effectivement mis l’accent sur la macroéconomie car cette stratégie doit en principe permettre au pays de régler son déficit en infrastructures économiques. Les effets de ce type de politique ne se ressentent que sur la durée, or, le peuple, généralement impatient, veut voir des répercussions immédiates. De nombreuses réformes ont déjà été réalisées. Mais il reste encore d’importants chantiers à mettre en oeuvre afin de répondre aux préoccupations sociales, politiques et économiques.
 
Aujourd’hui, il faut se pencher sérieusement non seulement sur la réforme de l’armée, mais aussi sur la question de la réconciliation. Il est important d’en parler ouvertement et sans complexes. L’environnement politique est en train d’évoluer également. Les électeurs ont pris conscience de leur pouvoir. Les élections législatives de décembre dernier l’ont bien montré : sur 250 députés, 75 indépendants ont été élus, souvent en rupture des partis traditionnels, y compris dans les fiefs des ténors habituels. Les autorités ont compris cette nouvelle dynamique politique.
 
Par quoi faudrait-il commencer pour améliorer l’inclusivité sociale ?
 
Idéalement, il faut de tout ! Plus de temps, de moyens, d’investissements directs étrangers (IDE), de privé… C’est d’ailleurs la tendance. Dans le nouveau Plan national de développement (PND), les investissements sont portés à 62 % par le secteur privé. C’est une très bonne approche. Mais il ne faut rien négliger. Il faut continuer à travailler sur la macro, mais les paramètres comme le social, l’armée, la réconciliation sont essentiels. Une économie forte doit être accompagnée d’une armée très forte et républicaine. Pour cela, elle doit être unie, structurée, disciplinée… Ce que nous allons suivre attentivement, c’est la manière dont les autorités vont gérer la situation à court terme, et surtout comment elles vont adapter la stratégie à moyen et long terme. De manière claire, il faut donner de la visibilité au-delà de 2020.
 
 
Les autorités ont joué la carte de la négociation avec l’armée, les fonctionnaires… Ne risque-t-on pas d’éveiller tous les appétits ?
 
Il me semble que dans ce genre de situation, dont les effets pervers peuvent se propager rapidement, il est important de trouver des solutions immédiates avant de mettre en place ensuite une stratégie de moyen et long terme. Il fallait faire ce qu’il fallait faire pour calmer les ardeurs des uns et des autres.
 
 
En septembre dernier, votre agence a attribué la note A2 pour le court terme et A– pour le long terme. En résumé : une bonne stratégie économique mais des défis sociaux importants…
 
Nous avons tenu compte d’un certain nombre de critères. Tout d’abord, des indicateurs sociaux en amélioration. Avec des progrès réalisés ces dernières années, qui se sont traduits par l’évolution positive du taux de scolarisation (primaire et secondaire), et de meilleurs taux de succès aux principaux examens. Il est à noter également une réduction du taux de pauvreté, qui est passé à 46,3 % en 2015, contre 48,9 % en 2008. Cependant, les efforts méritent d’être poursuivis au regard du rang de la Côte d’Ivoire au classement de l’Indice de développement humain.
 
Enfin, il faut noter un environnement politique apaisé, qui a bénéficié des retombées positives du cadre de discussion entre les partis de l’opposition et le pouvoir en place, ce qui a contribué à un retour progressif des exilés politiques et à la participation du principal parti de l’opposition à la dernière élection présidentielle. Cependant, la réforme constitutionnelle engagée par les autorités ivoiriennes n’a pas forcément eu l’adhésion complète des partis de l’opposition et pourrait tendre à l’avenir les relations entre les différents acteurs politiques.
 
 
Vous indiquez également certaines inquiétudes quant à l’état de la dette.
 
Le cadre institutionnel de gestion de la dette a été réformé. La définition et la mise en oeuvre, depuis 2013, d’une stratégie de gestion de la dette à moyen terme (SDMT) et d’une analyse de viabilité de la dette (AVD) ont contribué à améliorer la gestion de l’endettement. Cette amélioration s’est traduite, notamment, par une meilleure maîtrise du poids de la dette dans le PIB, en dépit de l’augmentation du niveau d’endettement, ainsi que par l’absence d’arriérés de dette extérieure, après l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés), en 2012.
 
La Direction de la dette publique a également fait l’objet d’une restructuration, qui devrait permettre d’assurer une gestion active de la dette et de la trésorerie. À fin 2015, la dette intérieure représentait 45 % de la dette publique totale, une proportion toutefois en légère baisse par rapport à 2014. Les autorités doivent réaménager la structuration de la dette. Emprunter plus en local et régional qu’à l’international. Ce qu’elles ont commencé à faire. Et c’est une très bonne chose.
 
 
Dans le cadre du PND II, les autorités vont devoir tout de même aller sur les marchés internationaux ?
 
Pour le PND, il ne s’agit pas de prêt mais essentiellement d’investissements privés, dans le cadre de partenariats publicprivé. Cela ne va donc pas avoir une incidence insoutenable sur la dette, même s’il y a quand même un peu d’emprunt. Le point qui demeure inquiétant, c’est l’administration, qui reste à réformer en profondeur. Il y a un sérieux problème de gouvernance, d’efficacité et de sureffectif.
 
Des mesures ont été annoncées, notamment le non-remplacement d’un départ à la retraite sur trois. On va donc vers une logique de réduction du nombre de fonctionnaires, mais nous attendons plutôt un grand chantier de réforme de l’administration.
 
 
Et l’avènement de l’ « Ivoirien nouveau », pour reprendre l’expression en vogue, plus soucieux de l’intérêt général qu’individuel…
 
Oui, mais cela se cultive. C’est un très bon concept pour moi, parce qu’il est fondamental de changer les mentalités, mais il faut inculquer le changement. Par le volontariat de la part des Ivoiriens, mais parfois en allant au-delà. On devrait commencer par éradiquer l’impunité, inculquer le civisme, la discipline.
 
Les Ivoiriens doivent comprendre qu’il faut travailler pour y arriver et que le rôle de l’État est de créer un cadre permettant à chacun de se créer une opportunité. Il est important que le message soit porté par les membres du gouvernement dans des débats publics, télévisés par exemple, contradictoires et ouverts.