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Syndiely Wade : « Je n’aime pas les spotlights »

Par Michael Ayorinde
Publié le 22 février 2011 à 22h58
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À la différence de son frère aîné, Karim, qui, lui, du fait de son parcours, remplit à longueur de semaine les colonnes politiques des journaux locaux et fait jaser les sites Internet. C’est dans la chaleureuse et relative quiétude d’une famille de l’élite africaine de Dakar qu’elle naît en 1972. Elle fait ses premiers pas, couvée par sa mère, Viviane, d’origine française, et à l’ombre du chef de famille, du leader politique de l’opposition d’alors, Abdoulaye Wade. Équitation et cours de piano. Des études primaires et secondaires au Sénégal, au cours Sainte-Marie de Hann notamment. La faculté en France ensuite, à la Sorbonne, où elle poursuit des études en ingénierie financière jusqu’en 1995. Puis, un premier travail à Genève, dans le cabinet PricewaterhouseCoopers. En 2000, son père triomphe à l’élection présidentielle. Elle quitte alors les bords du lac Léman pour se mettre au service du nouveau chef de l’État en qualité de conseillère. Elle a mis un pied dans la lumière…

 

C’est au volant d’un bolide aux centaines de chevaux qu’elle apparaît réellement sous les projecteurs de l’actualité. Elle participe, en 2003, pour la première fois au Paris-Dakar, où elle fait bien plus que figure honorable. Nouveau parcours à chicanes pour la jeune métisse : en juin dernier, le chef de l’État sénégalais lui demande de reprendre l’organisation d’un événement-serpent de mer, le Festival mondial des arts nègres, plusieurs fois reporté et qui doit se tenir du 10 au 31 décembre prochain, à Dakar. Un rude défi pour elle qui se retrouve, cette fois, en première ligne. Six mois pour mettre sur pied ce légendaire événement culturel dédié à la culture noire et vaincre la vague de scepticisme et de critiques qui, au Sénégal, a entouré cette nomination.

 

Enfant, dit-on, elle avait toujours le sourire aux lèvres mais parlait peu. Aujourd’hui, Syndiely, que nous recevons dans nos locaux, est là pour parler, sérieuse et concentrée, du Festival et de beaucoup d’autres choses.

 

AM : Pouvez-vous nous faire un point sur le Festival mondial des arts nègres ?
SYNDIELY WADE : Il y avait d’abord le problème du nom qui a été résolu. Nous nous sommes rendu compte que l’appellation Fesman avait été déposée et protégée par l’équipe gestionnaire précédente. Nous avons donc décidé de revenir à « Festival mondial des arts nègres », qui évoque d’ailleurs davantage, aux yeux du monde de la culture, les premières éditions de 1966 et 1977. Quant au budget de 18 milliards de F CFA, qui a fait hurler certains médias, c’est un chiffre qui inclut les spectacles, mais aussi et surtout la construction et la restauration d’infrastructures. Ce que nous voulons, c’est qu’après le 31 décembre diverses institutions ou sites culturels soient pérennisés, pour le plus grand bien du pays. Bref, ce festival aura bien lieu, je le confirme. Il couvrira toutes les disciplines artistiques et sera totalement gratuit pour permettre à tous d’y assister.

 

Pourquoi avoir accepté ce poste de déléguée générale ? Votre père vous l’a-t-il demandé ?
En tant que conseillère du président, j’ai exécuté diverses missions, telles que l’organisation de la conférence du Nepad en 2002. Je me suis aussi occupée de la logistique des Lions du Sénégal pour la Coupe du monde de 2002. Le chef de l’État m’a aussi chargée de m’occuper de la fondation Abdoulaye-Wade en direction de l’enfance. De même, il m’a demandé de reprendre la mise en place du festival… Mais je tiens à préciser que, de toute façon, c’est un projet qui me passionne. Le Festival mondial des arts nègres, c’est un challenge pour moi, pour l’équipe organisatrice, pour le Sénégal, pour l’Afrique.

 

Vous êtes métisse. Est-ce important pour vous ?
C’est une question que je ne me pose jamais ! J’avance, voilà tout ! Le métissage est, bien entendu, une richesse, au même titre que les voyages. Je me sens aussi bien africaine qu’européenne. J’ai, autrefois, essuyé quelques propos blessants sur mes origines, mais quand on parle de race et de religion, c’est qu’on est à court d’arguments. En fait, on appartient à une génération multiculturelle.

 

Vous pratiquez un art ?
Absolument pas ! Je crois que je ne suis pas douée pour ça. J’ai joué un peu de piano, enfant, car mes parents me payaient des cours. Mais, un jour, j’ai dû choisir entre la musique et la planche à voile… et j’ai choisi la planche (rires) !

 

Vous avez des artistes de référence ?
J’adore l’art contemporain, visiter des expositions. J’aime beaucoup Soly Cissé, qui est un peintre, photographe et sculpteur sénégalais. Ousmane Sow aussi. Et, sur le plan international, j’ai un faible pour le peintre Jean-Michel Basquiat, qui a produit des oeuvres très fortes, à la fois très africaines et tellement modernes !

 

Qui dit Afrique dit musique. Vous êtes une mélomane ?
Non, pas vraiment. Selon les moments, j’écoute du jazz : j’adore Dave Brubeck ou Miles Davis. Ou du classique : de l’opéra, Debussy, Mozart. J’aime beaucoup Ali Farka Touré, Richard Bona ou Akon. Et, quand je fais du jogging, j’écoute Air ou Black Eyed Peas, par exemple. Ça donne un rythme.

 

En revanche, vous avez pratiqué certains sports, notamment le sport automobile ?
Les courses de rallye, vous savez, j’y suis arrivée grâce à une opportunité. Ce n’était pas un calcul de ma part. À l’arrivée du Dakar 2002, je me suis retrouvée, un soir, avec Johnny Hallyday, qui y avait participé, et l’équipe Nissan. Le constructeur japonais a vu que je m’intéressais à ce sport et m’a proposé de courir dans l’édition suivante. Sur quatre Paris-Dakar, je n’ai abandonné qu’une fois. J’ai fait aussi le Rallye des Gazelles en 2009, et je me suis inscrite à l’édition 2011 en mars, où ma copilote sera l’ancienne championne de ski, Carole Montillet.

 

Il y a un plaisir de conduire en rallye ?
Le Dakar, au-delà d’une simple course, c’était à l’époque un défi, un voyage, une sorte d’itinéraire magique entre deux continents. On ne peut pas toutefois parler de plaisir. Je m’inscris, chaque année, au marathon de New York avec des amis. Vous vous demandez pourquoi vous parcourez ces 42 kilomètres, vous avez envie de vous arrêter. Le seul plaisir, c’est quand vous franchissez la ligne d’arrivée après avoir surmonté vos douleurs physiques. Ça se passe dans la tête, le sport, finalement…

 

C’est difficile d’être la fille du chef de l’État sénégalais ?
Je parviens à faire la part des choses, sans pour autant avoir une vie à tiroirs : il y a ma vie de fille de chef de l’État, ma vie professionnelle et ma vie privée. Lorsque mon père a été élu, j’avais déjà fini mes études, j’avais un travail. C’était par conséquent beaucoup plus simple pour moi d’affronter cette notoriété.

 

Et d’être la soeur d’un homme qui fait beaucoup parler de lui ?
C’est un choix qu’il a fait. Vous savez, à ma naissance, mon père avait déjà créé son parti. Nous n’avons connu qu’un cadre familial où le politique jouait un rôle central. Nous n’avons connu que ça à la maison, des réunions politiques, des préparations de campagnes électorales, des visites de chefs de parti. Se retrouver là où nous sommes, ce n’était ni une métamorphose, ni une rupture.


Alors, pourquoi ne pas vous servir du festival comme d’un tremplin pour une carrière politique ?
Vous savez, je suis rentrée de Genève pour aider le président. C’était une forme d’engagement, en faveur de mon père essentiellement. Ce fut un choix très important, mais je n’ai pas besoin de me mettre en avant. Je n’aime pas les spotlights. Et puis, le fils ou la fille d’un musicien n’est pas forcément musicien !