Thierno Souleymane Diallo
Le réalisateur Guinéen part à la recherche du premier film d’Afrique francophone subsaharienne dans son documentaire, Au cimetière de la pellicule. Une œuvre de résistance culturelle sur la place du septième art dans son pays.
Dans au cimetière de la pellicule, Thierno Souleymane Diallo, caméra au poing, parcourt son pays sur les traces de Mouramani, de Mamadou Touré, le premier film d’Afrique francophone subsaharienne, en 1953. La quête de cette œuvre disparue, qui le mène jusqu’à Paris, est un prétexte pour dresser un état des lieux du septième art en Guinée, explorer son histoire et s’interroger sur sa place dans la vie des citoyens. Un détail qui en dit long : le réalisateur–également scénariste – chemine pieds nus, manifestant ainsi sa révolte contre la défaillance criante des politiques culturelles. «Je suis cinéaste dans un pays où il n’y a pas un franc pour faire des films. Mais je résiste.» À la rencontre des pionniers et des lieux emblématiques aujourd’hui délabrés, il exhume un temps effervescent. «Dans les années 1960, le pays était doté de 32 salles, contre trois actuellement. L’institution Sily Cinéma était chargée de la production, de la distribution et de la diffusion. Les autorités envoyaient les étudiants se former à l’étranger. Elles organisaient des projections de films de propagande pour éduquer le peuple à la révolution socialiste.» Dès 1984,à la fin du régime de Sékou Touré, qui avait déjà arrêté la production et jeté des réalisateurs en prison, les salles obscures baissent le rideau, étranglées par les ajustements structurels imposés par le Fonds monétaire international et le système libéral capitaliste. Ce documentaire interpelle aussi sur la baisse mondiale de fréquentation des salles obscures : «Elles sont l’essence du septième art. Elles créent la socialisation, l’expérience collective, le spectacle. Le streaming, la télévision ne peuvent les remplacer.» C’est justement sur le grand écran que la magie des images animées l’a conquis, à Labé, où il a grandi. Enfant, il fait l’école buissonnière pour voir des films indiens, puis les raconter à ses copains en ajoutant des séquences nées de son imagination. Adolescent, le cinéma reste le lieu de sorties, de rencontres et de fêtes. Naturellement, il l’étudie à l’Institut supérieur des arts de Guinée, à Dubréka. Il découvre les réalisateurs africains : Abderrahmane Sissako, Ousmane Sembène, Souleymane Cissé… Et surtout Cheick Fantamady Camara, son professeur: «Il m’a appris à faire des films qui me ressemblent et qui parlent à ma société.» Après deux masters (cinéma documentaire et réalisation documentaire de création), il tourne deux moyens-métrages : Un homme pour ma famille, en 2015, et Nô Mëtî Sîfâdhe, en 2018. «Le documentaire est un cinéma de mémoire, qui aide à la construction des mentalités.» Thierno Souleymane Diallo invite à puiser l’inspiration dans les contes et légendes ancestraux. «Notre cinéma se trouve également dans la mémoire de nos aïeux. Ils nous contaient l’histoire de nos sociétés avant la colonisation, et ces récits sont en train de s’effacer», alerte celui qui plaide pour la préservation et l’archivage du patrimoine matériel et immatériel. Face aux obstacles pour exercer son métier, il oppose sa résistance: «Ne pas prioriser le septième art crée beaucoup de dégâts culturels, économiques, identitaires. Les réalisateurs sont livrés à eux-mêmes, mais il n’est pas question d’abandonner. Car un peuple qui ne se regarde pas est amené à disparaître.»