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Thierry Dusautoir, capitaine métis

Par Michael.AYORINDE - Publié en février 2011
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CE JOUR-LÀ, Thierry Dusautoir sort de la mêlée des rugbymen ordinaires. Le métis cisaille, abat, lamine, renverse à bras raccourcis du Néo-Zélandais. Il sera crédité de trente-huit plaquages, une performance inouïe pour un seul joueur ! En un match, il entre au panthéon du rugby français. Il est même devenu le capitaine du XV national depuis novembre dernier et il mènera les Bleus dans le Tournoi des six nations qui débute ce mois-ci. Le second joueur de couleur, après Serge Blanco, à occuper ce poste, dans l’histoire du ballon ovale hexagonal ! Le premier rugbyman francoivoirien (il est né un beau jour de 1981 à Abidjan) à connaître une telle gloire. « J’ai essuyé quelques quolibets à l’école, en France, avoue-t-il, mais je ne fais pas spécialement attention à ma couleur de peau. Je représente un symbole. Si ça peut donner envie de faire du rugby à certains jeunes plutôt que du foot, je serais très heureux. » En tout cas, belle percée dans le royaume d’Ovalie, digne d’un trois-quarts centre, pour celui qui joue au Stade toulousain.

Il est désormais un joueur très convoité, il gagne très bien sa vie. Il est aussi le beau gosse que les dames dévorent discrètement des yeux, par-dessus l’épaule de leurs maris quand ils regardent un match à la télévision. Difficile de retrouver le Dark Destroyer dans cet homme un peu gauche dans ses Adidas qui nous a donné rendez-vous à Marcoussis, dans la banlieue parisienne. Marcoussis, le centre national de l’ovale gaulois, niché dans la verdure, où les tricolores se rassemblent avant chaque match parisien.

On surprend Thierry Dusautoir au sortir du déjeuner, en training. 1,88 m de muscles : normal quand on est troisième ligne aile, « soldat » des lourds combats obscurs et extrêmement physiques que se livrent deux packs sur un terrain. Et, en même temps, étonnamment longiligne. Il donne parfois l’impression d’un grand garçon de 28 ans, presque joufflu. Comme si quelque chose de l’enfance s’accrochait envers et contre tout à ses traits. Et il y a la timidité tout de suite perceptible, qui va de pair avec un côté taiseux. « Je parle peu quand je ne connais pas les gens. Je me définis plutôt comme un homme tranquille. Même si je ne suis pas le dernier à participer aux troisièmes mi-temps [ces fameuses soirées joueurs d’après-match où les joueurs se lâchent], je tempère souvent mes coéquipiers. Mais je ne suis pas un moine non plus ! » Et attention aux raccourcis présomptueux ! Vous le croyez « belle bête » simplement bonne à soulever des quintaux de muscle humain ? Erreur. Dans le rugby de haut niveau, où le joueur consacre exclusivement son temps à la pratique de son sport, il s’est singularisé en passant son bac, a fait math sup, est entré à l’École nationale supérieure de chimie à Bordeaux et a décroché un diplôme d’ingénieur en chimie des matériaux. « Le rugby ne constitue pas toute ma vie, affirme-t-il. Je me suis construit grâce au rugby, pas pour le rugby. » Et dès que les dernières clameurs se sont tues dans le stade, « Titi », comme ses coéquipiers le surnomment, redevient M. Dusautoir, homme de toutes les curiosités. Et notamment celui d’une passion, la bande dessinée. « J’en ai plus de mille chez moi. De l’école belge à Corto Maltese, confie-t-il. La bande dessinée vous prive d’imagination, contrairement au roman, puisqu’on vous livre visuellement les héros, mais, précisément, si l’auteur est bon, il vous emmène complètement dans son univers. »

Alors d’où peuvent donc lui venir ces manières de guerrier, ces allures de serial plaqueur, sur le terrain ? L’atavisme bété n’entrerait-il pas en jeu, via sa maman, prénommée Kekane ? L’allusion à cette ethnie de Côte d’Ivoire, celle du président Gbagbo, connue pour ne cracher ni sur la musique ni sur la castagne, le fait sourire. « Mon parcours a certainement alimenté ma façon de jouer », se contente-t-il de répondre pudiquement. Avant d’ajouter : « C’est un sport qu’adore ma mère. »

Son parcours ? Celui du coeur, où l’Afrique tient un des rôles principaux. D’ailleurs, ce bon élève de la vie sait admirablement conjuguer le continent. Au passé d’abord. Des grand-parents paternels français installés à Divo, au centre de la Côte d’Ivoire, depuis 1948, et qui cultivent le cacao et le café. Un père, enseignant de physique-chimie qui, après la faculté, revient au bercail et épouse une Ivoirienne. De cette union naîtront un frère, une soeur et notre Thierry. Et une enfance en forme de paradis sur la plantation, à jouer avec ses copains à en perdre le souffle. « J’ai été élevé de façon collective, à l’africaine. J’aimais cette notion de respect incontournable qui fait qu’un adulte dans la rue, quel qu’il soit, te corrige si tu te montres insolent avec un aîné. » Puis le brutal retour sur terre, à 10 ans. Au nom des études des rejetons, ses parents s’installent en France, à Périgueux, en Dordogne, en plein Sud-Ouest. Le choc. « Du coup, j’ai quitté l’enfance. » Ses parents divorcent, les vaches se font maigres. Alors, le jeune garçon se replie sur l’internat du lycée et sur le judo en guise de clés des champs. Jusqu’au jour où ses amis finissent par le convaincre que ce drôle de jeu à quinze, avec un ballon aux rebonds capricieux, ce n’est pas si mal…

Au présent ensuite. « Je suis retourné une seule fois en Côte d’Ivoire, il y a un an et demi, sur la plantation de mes grands-parents, dont s’occupe désormais ma soeur. Extraordinaire ! Ce qui est dommage, plus généralement, c’est que la jeunesse, les forces vives du continent ne parviennent pas encore à s’exprimer pleinement. Mais j’ai découvert qu’Africain n’est plus forcément synonyme d’immigré. À Abidjan, il y a pas mal de gens qui n’ont plus aucune envie de venir en Europe, qui ont choisi de faire leur vie là-bas. »

Pas besoin de le pousser dans ses derniers retranchements pour que lui, le taiseux, se montre d’une éloquence d’avocat. Sur la cuisine. « Mes plats préférés ? Ceux de ma mère et en particulier le garba au poisson. » Sur la littérature. « J’adore les romans d’Ahmadou Kourouma. Son humour mêlé de gravité pour aborder des sujets sensibles comme la complexité de la société africaine. » Sur la musique. « Ma soeur m’a fait écouter du coupé-décalé. Moi, j’en étais resté au zouglou et à Magic System. Ça me fait plaisir que la musique ivoirienne soit parvenue à damer le pion à la rumba congolaise. » Au futur enfin. « Retourner à l’anonymat ne me gêne pas, avoue-t-il sans une once de regret dans la voix. J’ai toujours admiré Nelson Mandela ou Martin Luther King, par exemple, mais les inconnus qui les ont portés dans leur lutte me plaisent bien, me fascinent. » Il se dit qu’il finirait bien sa carrière sur le coup des 34 ans. Et on sent bien qu’une reconversion aux postes d’entraîneur ou de manager de club ne le tente guère. Alors encore quelques Tournois des six nations et quelques championnats de France, une Coupe du monde… Puis, les crampons raccrochés, « j’aimerais monter une société en Côte d’Ivoire, m’occuper de la plantation familiale, y promouvoir le rugby, entretenir un lien régulier ». Une façon pour ce « célibataire en quête de bonheur », comme il se définit, d’enfin vivre pleinement son amour de toujours pour l’Afrique.

Par Jean-Michel Denis