Thomas Ngijol : le rire à bloc !

NÉ A MAISONS-ALFORT, le jeune trentenaire a grandi dans le Val-de-Marne et se destinait à devenir instituteur quand, en 2000, l’appel des planches le mène au one man show. Il suit alors des cours d'art dramatique et d’improvisation, et enchaîne les scènes ouvertes au théâtre de la Main d’or, au Trévise, au Théâtre du bout, à Paris. En 2005, à l’issue de son premier spectacle, Bienvenue, Jamel Debbouze lui propose de rejoindre le Jamel Comedy Club, au théâtre du Temple. Il conquiert ce public, grand amateur de stand-up, durant plus de six mois et parvient à s’imposer sur la scène comique française. Ses passages acides au « Grand Journal », de Canal+, et dans le « Fou du roi », sur France Inter, détonent souvent dans le paysage médiatique « parisien bon teint ». Son acuité, sa classe, son mordant sur les sujets d’actualité, sont sa marque, c’est d'ailleurs le mot « société » qui revient le plus souvent dans sa conversation. Il présentera à la Cigale, à Paris, les 12, 13 et 14 novembre, son one-man show intitulé À block ! Éclairage sur la nouvelle star du rire.
AM : Comment êtes-vous venu à la scène ?
THOMAS NGIJOL : Naturellement. Je crois que c’est une histoire commune à beaucoup de personnages qui sont agités à l’école. La forme scénique, le goût de se mettre en scène m’a habité très tôt. Il y a ensuite eu un moment décisif dans ma vie : j’ai décidé d’aller au bout de cette aventure, en débutant par des cours de théâtre. Je souhaitais alors devenir comédien, je suivais des cours classiques, j’étais loin de m’imaginer seul sur scène, à mener un one-man show ! Je m’ennuyais sérieusement, je ne parvenais pas à exprimer ce qui était en moi à travers les auteurs classiques, ma vision de la société n’était pas reflétée dans les extraits que j'interprétais. Ma prédisposition au second degré s’affirmait de plus en plus et travailler l'art dramatique dans sa forme institutionnelle, trop sérieuse, m’agaçait vraiment.
Que représente l’humour, pour vous ?
Un exutoire. Tout ce que je ne supporte pas y transparaît, c’est une excellente thérapie. J’ai besoin de sa légèreté, surtout dans la société actuelle où tout est codifié, structuré, édulcoré. On m’a confié qu’on allait tous crever un jour, rigolons donc un bon coup ! Rien n’est définitif, rien ne nécessite autant de sérieux. La chose la plus grave demeure la guerre, et si c’est si terrible que ça, il faut aussi en rire. Je n’ai pas envie de faire la gueule sur des sujets qui n’en valent pas la peine.
Il faut donc rire de tout ?
Oui. Mais j’ai constaté que cela peut dépendre du public qui se trouve face à soi. Je ne l’ai pas remarqué d’emblée, mais au fil des spectacles, j’ai appris qu’il fallait tenir compte de la sensibilité de chacun. Je ne m’interdis aucun sujet, cela briderait ma créativité, la règle d’or c'est, avant tout, d’être drôle.
Comment est né À block !, votre nouveau one-man show ?
C’est un projet né à la suite de mon premier spectacle, intitulé Bienvenue, présenté en 2005. À block ! est le fruit d’un cheminement, et correspond à une succession d’événement liés à mon apprentissage, mes expériences, mes leçons de vie. Celles d’un jeune homme de 30 ans, parfois en introspection ou en questionnement par rapport à sa vision de la société. Ce one man show, renvoie de plus, à ma culture, à mon identité sociale, je viens des blocs de béton.
Vous avez recours à l’autodérision quand vous abordez le terrorisme, les inégalités Nord-Sud, la banlieue, la religion…
Ces problématiques m’intéressent d’autant plus que je pense qu’il faut rire de faits graves, je le répète. Je parle en tant que jeune artiste, je ne voudrais pas passer pour un maître à penser, mais le rire provient souvent de la douleur. Désamorcer des sujets aussi graves que le terrorisme ou la banlieue, où on laisse mourir d’ennui des jeunes esseulés, dans des cités-dortoirs, éloignés de la vie de la capitale, sans aucun transport. Ces questions sont évidemment loin d’être risibles, mais le propre d’un humoriste, c’est justement de pouvoir rendre ces situations drôles, et quand j’y parviens et que la salle explose de rire, c’est jouissif, et je suis heureux, au bout du compte.
À l’heure où le « penser correct » est de mise dans les médias parisiens, vous faites figure d’électron libre. On pense, notamment, à votre passage très incisif en 2007, sur le plateau du Grand Journal de Canal+, face à Nicolas Sarkozy, quelques jours à peine avant l'élection présidentielle. Vous n’hésitiez pas à lui demander ses papiers d’identité, s’il était musulman puisqu'il ne boit pas d’alcool. Vous sentiez-vous le bouffon du roi, remettant en question le candidat UMP ?
Non, je faisais, en réalité, mon numéro à fond, sans avoir conscience des retombées. Quand il m’arrive d’y réfléchir, je me dis que je m’en fiche de ce mec-là, dans l’absolu, même si je le respecte évidemment, en tant que président de la République. Je ne suis pas un leader prêt à rassembler des âmes derrière lui, au nom de quoi que ce soit. Je rigolerais même du pape ! Ma nature tient précisément à ça, passer le plus clair de mon temps à rire. Les socialistes ont d’ailleurs tenté de m’embarquer à leurs côtés, ce n’est pas mon rôle, je suis comédien et je m’amuse avant tout. Leurs préoccupations ne sont pas les miennes. Sur scène, je maîtrise mon propos, je sais où je mets les pieds, j’ai appris le métier sur le tas, ce qui m’a permis d’avoir du recul et de rester libre. Et j’essaie toujours de rester le plus libre possible.
Quels humoristes vous ont marqué ?
En France, des personnages comme Pierre Richard ou Louis de Funès m’ont donné envie de jouer la comédie. Sur scène, il y avait Coluche, mais celui qui me faisait rire aux larmes, c’est Eddy Murphy. Je trouvais ça extra, un mec noir, capable de faire autant rigoler, alors qu’en France, ce n’était pas fréquent.
Vous êtes d’origine camerounaise. Quels liens entretenez-vous avec ce pays ?
Des liens extrêmement forts. J’y pense très souvent, mais comme je travaille énormément, je manque malheureusement de temps pour y retourner. J'en ai très envie, j'aimerais y faire un long séjour, je ne veux pas y aller en touriste. Le Cameroun, c’est ma province, comme la Bretagne pour un Breton qui vit en France. Je suis toujours en contact avec ma famille, originaire d'Édea. J’ai eu la chance de connaître très jeune ce pays. En janvier, je devrais présenter mon nouveau spectacle, il est très important pour moi d’y jouer, ça signifie vraiment quelque chose d’inespéré ! Me produire à la Cigale, ça me fait plaisir, mais être sur les planches au Cameroun représente, à mes yeux, une symbolique d’une rare force…
Que faites-vous quand vous n’êtes pas sur scène ?
Je me consacre à ma vie familiale, à mes amis, je passe du temps avec mes neveux et nièces, puisque je n’ai pas encore d’enfants, je travaille également à d’autres projets, j’ai tant d’idées en tête. En ce moment, j’écris le scénario d’un long métrage, il s’agit d’un sujet lié à l’Afrique et qui traite d’un propos douloureux. Je ne peux pas encore vous en dire plus.
Parlez-nous de vos projets…
Je prépare mon spectacle qui se tiendra à la Cigale en novembre prochain, qui sera suivi de la sortie du DVD, c’est une partie de mon travail qui me tient très à coeur. Je vais également retourner à mes premières amours : je vais jouer dans un film français. Puis, assurer, la tournée de À block ! dans toute la France.
Que souhaitez-vous plus que tout ?
Être heureux, et ce n'est pas rien ! Et j’ajouterai épanoui, c’est ce que je recherche. Pas plus tard que la semaine dernière, j’étais en phase de création, mon père était de retour du Cameroun et j’ai apprécié ces moments de respiration. Accorder des interviews à la presse est une étape à laquelle on n’est pas forcément préparé, je préférerais partager ces moments avec le public, ce serait bien plus cool !
Par Alix Terry