Aller au contenu principal
Editos

Un nouvelle frontière verte

Par Zyad Limam - Publié en avril 2024
Share
Ferme de thé à Nandi Hills, Kenya. Jennifer Watson
Ferme de thé à Nandi Hills, Kenya. Jennifer Watson

L’Afrique est au cœur des enjeux stratégiques de ce siècle. Un continent immense, peuplé de près de 1,2 milliard d’habitants, avec une perspective de 2 milliards à l’horizon 2050. Un continent émergent, mais où la lutte contre la pauvreté reste une urgence permanente. Un continent marqué par une urbanisation révolutionnaire, qui bouleverse les schémas sociaux traditionnels, les flux commerciaux, les demandes de la population. Un continent, enfin, en première ligne face au changement climatique, qui d’ores et déjà impacte la vie et le travail de millions d’Africains.

Dans ce continent de plus en plus peuplé et urbanisé, la question agricole reste pourtant secondaire, alors qu’elle devrait s’imposer comme une priorité majeure. En Afrique, l’agriculture est au cœur de tout, du pacte social, le pivot des sociétés. C’est la principale source de revenus. Près de 60% de la population travaillent la terre, au moins 300 millions de personnes, dont de très nombreuses femmes.

L’Afrique subsaharienne est la région qui connaît la plus forte croissance agricole au monde. La production a plus que triplé en valeur au cours des trente dernières années. Mais ce progrès se fait par l’extension continue des surfaces cultivées et l’augmentation de la main-d’œuvre. Avec des conséquences sur un envi- ronnement déjà fragile. La productivité et la production restent faibles, bien en deçà du potentiel et des besoins. En fin de compte, 60 % de la population active travaillent pour un secteur qui génère moins de 20% du PIB de l’Afrique subsaharienne (400 milliards de dollars sur les 2 000 milliards du PIB). Le niveau de productivité de l’agri- culture africaine équivaut en moyenne à un tiers de celui de l’Asie. Moins de 10% des terres sont irriguées, contre plus de 40% en Asie.

Le continent est également devenu dépendant des importations. Leur valeur pourrait dépasser, à l’échelle continentale, la barre des 110 milliards en 2025. Une affaire qui pèse lourdement sur les comptes publics. L’héritage colonial a incité au développement des cultures de rente (café, cacao, coton...), aux dépens des cultures vivrières. Ces « rentes », particulièrement sensibles aux variations des marchés, ne participent pas à la sécurité alimentaire du continent. En parallèle, les modes de consommation ont été bouleversés avec l’apparition de produits « non africains », comme le blé, le riz, le soja, devenus incontournables. Et l’urbanisation crée une demande pour une alimentation différente, rapide, souvent à base de produits... importés.

Avec cette dépendance, l’Afrique subsaharienne s’expose dangereusement aux fluctuations des marchés mondiaux et aux crises internationales. L’exemple le plus récent a été l’impact de la guerre en Ukraine sur l’approvisionnement et le prix du blé. Les tensions sur le marché du riz (devenu un aliment de base) et le protectionnisme possible de certains grands producteurs, tels que l’Inde, illustrent le risque. Le tout provoquant de fortes inflations et son corollaire de subventions publiques...

L’agriculture reste donc un enjeu majeur, stratégique. Au XXIe siècle, en 2024, malgré le labeur de millions d’Africaines et d’Africains, les questions de la souveraineté et de la sécurité alimentaire restent encore une urgence publique. La malnutrition, la sous-nutrition, les famines sont encore une réalité inacceptable. Près de 300 millions de personnes seraient à risque en 2025, selon la Banque africaine de développement (BAD).

Il faut sortir de cette situation générale de précarité. Placer l’agriculture au centre de politiques publiques de développement. S’appuyer, d’abord, sur le petit exploitant, pivot de l’agriculture africaine d’aujourd’hui, et favoriser son écosystème. Agir sur la protection et la compréhension des sols, l’utilisation des engrais. Promouvoir les partenariats public-privé, inciter à l’entrepreneuriat. Imaginer l’avenir, soutenir les produits et les cultures adaptés aux changements climatiques, penser à ce que cherchent, enfin, les consommateurs du monde riche le bio, la nature, l’authenticité...

Les acteurs de la filière sont conscients de l’urgence de cette révolution agricole africaine. De la nécessité d’atteindre et de dépasser cette nouvelle frontière verte. Le potentiel en matière d’emplois et de cercles positifs de croissance est réel, avec le développement des hinterlands et des filières agro-industrielles compétitives. L’agriculture, c’est aussi un business rentable, avec la promotion de produits « grown in Africa » attractifs et compétitifs. L’Afrique peut se nourrir et nourrir une partie du monde.