Une juste lumière :
Les tisons de Bwa Kayiman
"Sur la route d'hier
d'aujourd'hui et de demain,
nouveaux tisserands de songes,
Nous voici rassemblés"
Bernard B. Dadié, Hommes de tous les continents
Saint-Domingue, 14 août 1791. Par une nuit orageuse, des esclaves d’ateliers et de plantations se réunissent au lieu-dit Bwa Kayiman sous les auspices des lwa, les divinités tutélaires du vodou, pour sceller un pacte sacré de libération du joug impérial français et ainsi, mettre brutalement fin à l’ignominie de leur déshumanisation. La révolte de ces Nègres-marrons, trouve un large écho international, notamment dans une opinion publique européenne en gestation outrée par le revers de cruauté. En Allemagne des gravures d’époque se font le relai, en une forme de fabrique d’ensauvagement, par opposition à l’iconographie célébrative des lumières (l’Aufklärung), d’une ségrégative philosophie des Droits humains. On n’y voit notamment le spectacle répulsif d’un paradis de nature mis-à-sac, d’esclavagistes étranglés, à leur tour suppliciés, passés par l’arme blanche.
Berlin, août 2024. L’onde de choc de ce lieu de mémoire de l’émancipation est réactivée à Haus der Kulturen der Welt — La Maison des Cultures du Monde — par le “Festival Bwa Kayiman”, un rituel commémoratif imaginé à sa prise de fonction par son Directeur artistique Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, au lieu même où s’origine près d’un siècle plus tard la partition des Afriques. Comme s’il s’agissait d’initier à sa manière un Manifeste de déberlinisation, selon le bon mot du grand plasticien berlinois Mansour Ciss. Tout Moun Sé Moun, l’intitulé de l’édition, proclame l’égalité de nature entre tous, actualise et met en scène l’épopée libératrice des dominés sous un jour pacifiste, celui d’un dialogue équitable, d’une jubilatoire fête de l’esprit. Le festival rassemble artistes, activistes, intellectuels d’horizons divers (Haïti, Inde, Rwanda…), autours de table-rondes, de danses, de rituels d’invocation, de performances musicales animées par des desservants du culte, tel la Mambo Carole Demesmin ou le Oungan Hérold Josué, nouveaux Makandal, héritiers lointains de Cécile Fatiman et Dutty Boukman.
Cartographie céleste. Invité à proposer une pièce sonore en lien avec l’épisode phare de la Révolution Haïtienne, Jean-Ulrick Désert choisi, face à « l’effondrement perpétuel de la politique », d’explorer la carte du ciel et d’interroger les étoiles de Bwa Kayiman (Stars Above the Alligator Forest 1945N 7212W Sunday 14 August 1791 23 :18 TU). Une parodie de thème astral, de quête de prédictibilité, laquelle entremêle rituels et monologues, langue anglaise et créole. À travers le zodiaque, Jean-Ulrick Désert questionne les fatalités cosmiques, les systèmes de croyances, la pensée magique des sociétés occidentales. L’artiste convoque en un geste immersif, la mémoire commune du Djondjon, une variété de champignons noirs populaire sur l’île, le champignon tient lieu dans cette performance de madeleine de Proust.