Une voix qui resurgit
Banni de son pays pour avoir exposé les réalités du régime d’apartheid, Ernest Cole est mis à l’honneur par Raoul Peck.
Depuis Lumumba, la mort d’un prophète (1990), Raoul Peck poursuit un travail de mémoire décentré du regard occidental. Familier des luttes anticoloniales, il avait défilé contre l’apartheid dans les années 1970. Aussi lorsque la famille d’Ernest Cole vient le trouver après le succès de son documentaire inspiré des écrits de James Baldwin, I Am Not Your Negro, le cinéaste haïtien se souvient du livre de photos House of Bondage (La Maison des servitudes), paru en 1967. Des clichés devenus iconiques, réalisés par ce jeune photographe sud-africain de 27 ans, qui avait dû quitter son pays pour avoir ainsi révélé la réalité sordide du système érigé par le pouvoir blanc à Pretoria. Exilé aux États-Unis, sans espoir de retour, il tentera une nouvelle carrière sans succès, invité à faire des reportages sur les Afro-Américains pauvres quand il se rêvait photographe de mode et de publicité. Son travail capte à merveille les regards et les attitudes de la population des rues américaines, mais n’est pas reconnu. Il meurt à New York en février 1990, quelques jours seulement avant la libération de Nelson Mandela… Raoul Peck restitue sa parole dans un récit à la première personne, qu’il conte lui-même dans la version française (c’est la voix du rappeur américain Lakeith Stanfield dans la VO), illustré par les images du photographe, dont beaucoup d’inédites. En 2017, 60000 négatifs ont été retrouvés dans une banque…à Stockholm. Qui les y a mises? Qui a payé le loyer du coffre pendant près de trente ans? Ses ayants droit ont du mal à les récupérer, d’où leur appel au cinéaste haïtien. Le réalisateur, parti à la recherche de celles et ceux qui ont côtoyé Ernest Cole aux États-Unis et en Suède, ressuscite ainsi le parcours unique et injustement oublié d’un véritable artiste africain.