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Werrason : un seigneur à Paris

Par Michael.AYORINDE - Publié en février 2011
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La pression, en tout cas, elle a déserté le « Roi de la Forêt », ce jeudi, en début d’après-midi. Dans le hall du Concorde-Lafayette, où l’artiste est descendu, petit bonnet, jean et tee-shirt, il a le regard fatigué et les cernes en guest-stars. Tout autour de lui, c’est le Congo en miniature. Une bonne vingtaine d’hommes et de femmes sont installés. Les aficionados purs et durs qui collent aux baskets de la vedette dès la minute où il foule le sol français. La raison de ce retard ? Toujours les mêmes, sempiternels problèmes de visa Schengen. Conséquence : quatre membres de son groupe sont restés sur le carreau kinois. Eh oui, cette fois le « Petit Frère de Jésus » n’aura pas fait de miracles ! « Petit Frère de Jésus » ? ! Normal, il est né un 24 décembre, dans ce pays très chrétien où l’on adore affubler ses proches ou ses idoles d’un petit nom. Werrason assume très naturellement ce surnom ; après tout, quand on a un père pasteur, un frère qui est une des vedettes de la chanson religieuse et une épouse, Sylvie, qui prêche également la bonne parole protestante…

« Je crois au doigt de Dieu, affirme-t-il sans sourciller. Mon grand-père maternel a prédit à sa fille qu’elle accoucherait d’une voix. » Sitôt prédit, sitôt fait. Après avoir quitté sa province natale de Bandundu pour s’installer dans la capitale, Werra sera, dès ses douze printemps, membre de chorales, à Kinshasa. En 1981, il forme avec des amis le groupe Wenge Musica. La formation des jeunes. Pulvérisé, le soukouss des grands frères !
Débarque bientôt le rythme ndombolo, guitares saturées, animations vocales et fantaisie… La Wenge fashion se répand sur tout le continent. Les Papa Wemba, Emeneya Kester et autres Koffi Olomidé sont forcés de se mettre illico au parfum pour ne pas perdre pied dans la jungle musicale congolaise. En 1997, le groupe se dissout. JB Mpiana emmène avec lui la quasi-totalité des membres. Werrason reste seul. Mais sa route va croiser celle des chegues.
Les chegues, ces milliers d’enfants et adolescents, orphelins ou abandonnés par leur famille, échoués dans les rues de la capitale, passés par profits et pertes au nom de la guerre civile. « J’étais au fond du trou, se souvient l’ex-Wenge Musica. Ce sont eux qui m’ont donné le courage de me battre. Quand j’ai donné mon premier concert, en 1998, avec mon nouveau groupe, Wenge Musica Maison Mère, certains ont parcouru des kilomètres à pied pour y assister. On a fait 60 000 spectateurs, les sponsors se sont alors intéressés à moi. » Sa carrière redémarrait, avec le succès que l’on sait.

Depuis 1999, six albums qui font bouger les publics d’Afrique ravagent les charts et imposent le tempo dans les clubs. Ponctués des coups d’éclat de celui que tout le Congo appelle « le Roi de la Forêt » : ses entrées en scène en Caterpillar, à moto… ou à cheval ! Ses shows frénétiques au Zénith et au Palais omnisports de Paris Bercy. Et un sommet : en 2005, il donne à Kikwit, sa ville natale, un mégaconcert devant 500 000 personnes, dit la légende. En tout cas, un des plus importants shows jamais donnés en Afrique. Avec, toujours, derrière lui, les chegues, cette « armée de petits », devenue en quelque sorte la « griffe » du personnage sur la scène congolaise.

Car, si les autres ténors kinois ont des fans, lui, Werrason, a des fanatiques, des jeunes prêts à toutes les bagarres de rue avec qui douterait de la prééminence de leur idole. Et, depuis 1999, le maître ès ndombolo ne s’est pas montré ingrat. Il fonde, en 2000, la fondation Werrason. « Je m’occupe de plus de 300 enfants, de 8 à 16 ans, les cas les plus dramatiques, explique-t-il, les yeux soudain devenus brillants. Nous les hébergeons dans une ferme qui fait aussi fonction de centre de formation, où des bénévoles leur enseignent des métiers techniques. Un tiers des cachets du Wenge MMM y est consacré. Mais c’est parfois la galère ! »

En 2004, consécration de ses efforts, l’ONU lui décerne le titre d’ambassadeur de la paix. Et si notre « Roi de la Forêt » était avant tout un seigneur, un grand seigneur ? Et cette immense popularité ne lui donnerait-elle pas des envies de pouvoir ? « Je suis un artiste et la politique ne m’intéresse pas. Mais… si telle était la volonté de Dieu, je me verrais bien gouverneur de Kinshasa ou du Bandundu… mais, ajoute-t-il, malicieux, un gouverneur humanitaire ! On revient à la musique ? » Précisément…

Après ce fameux concert du Zénith en 2008, devant une salle comble, Werrason se la joue modeste. « Je vais chauffer le public parisien, car, ici, il fait trop froid. » Le leader de Wenge MMM voit plus loin. Il entame en effet un long séjour dans la capitale française. Motif : l’enregistrement de son nouvel album, intitulé Sans poteau. « Je vais signer chez Universal. Ce sera du ndombolo-world, avec des featurings de Missy Elliott et Shaggy. Car je veux conquérir le marché international. »

En attendant, pour ce quatrième show parisien, ce samedi 13 mars, le public est essentiellement congolais. Et le Zénith n’est rempli qu’aux trois quarts… L’étoile de notre « seigneur » commencerait-elle à pâlir, à 45 ans, face à la jeune génération, face à Fally  pupa en particulier, qui, deux mois plus tôt, avait attiré 7 500 spectateurs ? Dans les loges, avant le concert, où règne l’indescriptible pagaille qui convient à tout spectacle d’un artiste kinois, les  médias titillent un peu la star sur le sujet, polémique oblige. « Je souhaite à Fally, à Ferré Gola et aux autres beaucoup de courage. Qu’ils travaillent sans relâche ! » Manière de botter en touche. Werrason, juché sur un baldaquin improvisé et porté par ses animateurs, montera sur scène à 3 heures du matin et délivrera, jusqu’au bout de la nuit, un vrai ndombolo du terroir, que le public consommera sans modération.

Question pas du tout facultative sur les berges du Congo : et les looks du chanteur et du groupe ? Eh bien, la star arborait une tenue improbable de Dr Dolittle à la mode saka-saka, mâtiné d’un gilet et d’un chapeau de matador d’opérette. Quant aux musiciens, tous en tenue de marins de l’US Navy mais en version bleu azur ! De quoi faire palabrer à l’infini dans les cases de Matadi à Kisangani, dès que les premières images parviendront au pays. Bref, l’essentiel. Opération réussie.

Par JEAN-MICHEL DENIS