Yasmine Berrada
Le Maroc investit Art Basel
Dans un marché de l’art compétitif, mais de plus en plus ouvert, participer à l’une des plus grandes foires au monde était une aubaine évidente.
C’est la première galerie marocaine à participer à Art Basel Paris (du 18 au 20 octobre), l’une des foires d’art contemporain les plus importantes au monde. Créée à Casablanca en 2009 par Yasmine et Myriem Berrada, Loft Art Gallery présente un solo show de Mohamed Melehi et se positionne en ambassadrice de la scène artistique marocaine. Rencontre.
AM: Pourquoi participer à Art Basel Paris?
Yasmine Berrada: Créer des dialogues entre les artistes, les pays et les cultures a toujours été important pour nous et, au cours des huit dernières années, nous avons internationalisé notre travail. Nous accueillons chez nous des artistes étrangers, du continent africain et d’ailleurs, et nous défendons les artistes marocains en dehors du Maroc. L’ouverture sur le monde d’une galerie passe forcément par une participation aux foires internationales, et Art Basel est l’une des plates-formes les plus importantes. Elle réunit les structures les plus grandes, les plus importantes, et nous offre une grande visibilité vis-à-vis des collectionneurs, des institutions ou des musées. Exposer ici était l’un des objectifs de notre stratégie à long terme, et nous sommes très fières et très heureuses d’avoir pu l’atteindre.
À Londres, lors de la foire d’art contemporain africain 1-54, vous avez présenté plusieurs artistes. Pourquoi opter ici pour un solo show?
Nous travaillions avec l’artiste moderne Mohamed Melehi décédé pendant la pandémie à 83 ans depuis la création de la galerie. Il est l’un des fondateurs de l’école de Casablanca, le mouvement moderniste le plus important du Maroc. Ses expériences géométriques radicales ont joué un rôle essentiel dans la définition de l’esthétique du pays après l’indépendance. Il a aussi une vraie notoriété à l’international et il a su évoluer avec son temps. C’est un artiste moderne, mais la manière dont il abordait les sujets et dont il répondait aux questions de son époque, qui à mon sens sont extrêmement importantes, est très contemporaine. Nous avons voulu lui rendre hommage avec ce solo show, qui comprend les pièces qui jalonnent les étapes cruciales de sa carrière, depuis la fin des années 1950 jusqu’à sa mort.
Comment envisagez-vous l’avenir de votre travail de galeriste au Maroc?
J’espère que l’on continuera à suivre et défendre les artistes en lesquels on croit – doucement, mais sûrement. Il faut faire attention à ne pas brûler les étapes, car défendre des oeuvres qui ne sont pas forcément évidentes pour le public demande beaucoup de patience. Souvent, les oeuvres des artistes que l’on représente donnent l’impression d’une grande facilité ou ont une ligne particulière. Le public peut ne pas être réceptif tout de suite, mais on aime voir nos collectionneurs adhérer doucement à nos propositions. On construit brique après brique. C’est souvent comme ça que naissent les plus belles histoires. J’aimerais consolider tout cela dans les années à venir.
En février dernier, vous avez ouvert un deuxième espace à Marrakech, à l’occasion de la 5e édition de 1-54. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la scène artistique marocaine ces dernières années?
Quand nous avons démarré, elle était très locale. Aujourd’hui, du fait du travail des professionnels de l’art, des fondations, des musées et des différents acteurs de la culture au Maroc, elle est foisonnante. Nous y retrouvons des artistes de qualité, qui ont une expression riche, et on voit bien qu’elle suscite un intérêt de plus en plus fort à l’international. Cela a eu un impact sur tout l’écosystème de l’art, qui s’agrandit et se développe avec la spécialisation des métiers et l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché, notamment les acheteurs. Les collectionneurs marocains, qui auparavant ne voulaient acheter que des artistes marocains, sont aujourd’hui plus ouverts et regardent aussi du côté des artistes internationaux. De même, je pense que les collectionneurs internationaux s’intéressent plus aux Marocains. La scène artistique marocaine est devenue plus ouverte, et c’est précisément pour aller à la rencontre de ce public international que nous avons ouvert un espace à Marrakech.