Yusuf Tuggar
«Notre population est un atout majeur»
Ministre des Affaires étrangères du Nigeria
Le positionnement en matière de politique étrangère de l’administration Tinubu, c’est la Vision 4D Diplomacy. Celle-ci repose sur quatre principes essentiels : le développement, la démocratie, la démographie et la diaspora.
AM: Dès votre nomination, vous avez annoncé que vous mettriez en œuvre une nouvelle Vision 4D Diplomacy, axée sur la démocratie, le développement, la démographie et la diaspora. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Yusuf Tuggar: La politique étrangère de l’actuelle administration du président Bola Ahmed Tinubu est inspirée de la Constitution nigériane, qui définit les lignes directrices des relations diplomatiques du Nigeria avec les autres pays du monde. Notre devoir est d’interpréter la vision politique de notre pays, et la stratégie 4D englobe les piliers fondamentaux du développement qui, selon nous, s’ils sont renforcés, amélioreront nos relations avec le reste du monde. Ils dynamiseront également notre croissance sociale et économique. Nous sommes la plus grande démocratie d’Afrique et, à ce titre, nous croyons fermement aux valeurs qui découlent d’un tel système. Nous nous engageons à le promouvoir et encourager la bonne gouvernance dans notre pays et à l’étranger, en particulier dans la sous-région de l’Afrique de l’Ouest. Cette démarche repose sur notre conviction que la gouvernance démocratique, contrairement à la dictature militaire, favorise l’inclusion et protège les droits humains fondamentaux des citoyens. Pour nous, la démocratie servira de catalyseur au développement du Nigeria et de l’Afrique. Mais sans elle, il n’y aura pas de développement. C’est une composante cruciale de notre 4D Diplomacy, car il s’agit d’un outil incontournable pour répondre aux ambitions collectives des Nigérians. Le niveau de vie et la prospérité de toute société sont liés à son niveau de développement. C’est pourquoi nous nous engageons à le faciliter économiquement à travers toutes les couches de la société, en mettant en place des mesures efficaces grâce à des partenariats avec d’autres pays. Concernant le volet démographique, le Nigeria est le pays le plus peuplé d’Afrique et devrait devenir le troisième plus grand pays du monde d’ici 2050. Nous pensons que notre population importante est un atout majeur et un levier pour la prospérité économique. Nous sommes donc déterminés à en tirer parti, et en particulier la jeunesse, pour faire progresser la croissance économique, le développement et l’influence mondiale du Nigeria. La diaspora est un autre élément stratégique de la 4D Diplomacy. Les Nigérians sont présents aux quatre coins du monde et constituent une force essentielle pour le développement économique du pays. Nous avons l’intention de renforcer la collaboration avec les Nigérians à l’étranger, afin de consolider nos liens culturels et économiques.
Peu après votre nomination, il y a eu le coup d’État au Niger. Le président Bola Tinubu, à la tête de la Cedeao, a frappé fort, menaçant le putschiste d’une guerre pour rétablir l’ordre constitutionnel, à contre-courant de l’opinion nationale nigériane et d’une partie du reste de l’Afrique. Puis, vous avez accepté la proposition de médiation de l’Algérie. Qu’en est-il, aujourd’hui? La voie diplomatique fonctionne-t-elle? L’option militaire est-elle toujours d’actualité?
Le Nigeria et la Cedeao se sont engagés à restaurer la gouvernance civile dans la République du Niger et dans toutes les nations d’Afrique de l’Ouest. Ni la Cedeao ni le Nigeria n’ont changé de position, bien qu’ils aient accepté l’offre de médiation de l’Algérie. Notre objectif principal est la restauration de la démocratie et d’un gouvernement civil qui garantira la liberté et les droits des Nigériens à vivre dans la paix et la prospérité économique. Une intervention militaire est toujours envisagée, bien que nous soyons disposés à épuiser toutes les voies diplomatiques pour faire face à la situation et éviter d’aggraver les tensions préexistantes.
Quelle est votre opinion sur la création de l’alliance de trois pays dirigés par des putschistes (Burkina Faso, Mali et Niger), faisant front commun en cas d’agression contre l’un d’entre eux?
Le Nigeria n’est pas opposé aux alliances visant à favoriser l’unité et la croissance économique des autres nations africaines. Cependant, ce qui peut être préoccupant, c’est l’idée de former une alliance qui pourrait chercher à saper les initiatives de maintien de paix et miner la prospérité prônée par l’Union africaine et la Cedeao. Nous croyons au droit de chaque nation africaine à déterminer son destin et sa sécurité. Cependant, nous sommes plus engagés en faveur d’une Afrique unie, solidaire dans la prospérité et l’unité, propulsée par les valeurs démocratiques, car une démocratie favorise un environnement de libre arbitre et le respect des droits de l’Homme fondamentaux.
Le président Tinubu a prévenu qu’il remplacerait tous les ambassadeurs du Nigeria. C’est un geste courant dans le cadre d’un changement de régime. Mais il semble que son intention soit d’améliorer l’image du pays à travers ses chancelleries. Qu’est-ce que cela signifie?
Le remplacement des ambassadeurs lors de l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement est commun dans les relations internationales et la diplomatie. La décision du président n’était donc pas nécessairement motivée par le désir d’améliorer l’image du Nigeria via ses chancelleries. Désormais à la tête d’un nouveau gouvernement, le président Tinubu a une nouvelle vision et un nouveau programme de développement. Il est donc naturel de remplacer les anciens diplomates par de nouveaux, qui comprendront peut-être mieux la vision du président. Autrement dit, les ambassadeurs sortants ont rempli consciencieusement leur mandat au cours de la dernière administration et ont tous apporté une contribution immense aux relations internationales du Nigeria. Mais il est temps qu’une nouvelle génération d’ambassadeurs prenne en charge la mise en œuvre des objectifs de la nouvelle administration à travers le monde. Il n’y a rien de mal à ce que le président veuille améliorer l’image du pays. Après tout, la façon dont le monde perçoit et traite la nation et ses habitants dépend de la façon dont lui-même présente le pays à la communauté internationale. Il est donc important qu’il mette l’accent sur les points forts du pays et qu’il nomme des personnes capables de piloter ce changement en tant qu’ambassadeurs.
Le Nigeria est un géant anglophone entouré de pays francophones. Quelles relations entretenez-vous avec vos voisins? Il semble qu’il y ait très peu de liens. Depuis qu’il est au pouvoir, le président Tinubu ne s’est rendu qu’au Bénin. Pourquoi? D’autres voyages sont-ils prévus?
Le Nigeria a toujours entretenu des relations cordiales avec ses voisins francophones, et continue de le faire aujourd’hui. Nous avons bien plus en commun que des relations diplomatiques. Nos liens culturels et économiques remontent à plusieurs siècles. Nous avons l’intention de continuer à les renforcer. Le président Tinubu a souhaité assister à la célébration du 63e anniversaire de l’indépendance de la République du Bénin. Plus important encore, il est disposé à s’engager avec les pays voisins pour renforcer les liens bilatéraux et la démocratie dans la région de l’Afrique de l’Ouest, tout en accordant la priorité au développement du Nigeria sur le plan intérieur.
Quels sont les principaux partenaires et alliés du Nigeria aujourd’hui?
Le Nigeria entretient des relations cordiales avec de nombreux pays dans le monde. La France est un partenaire et un allié majeur, au même titre que la Cedeao, l’Union africaine, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Inde et l’Arabie saoudite, et nous avons de nombreux autres partenariats mutuellement bénéfiques. Les liens économiques et culturels entre le Nigeria et la France ont donné lieu à diverses collaborations entre les deux pays au fil des années. Le président français Emmanuel Macron s’est rendu au Nigeria en juillet 2018, témoignant ainsi des relations robustes et multiformes qui existent entre les deux nations.
Une dernière question sur la diaspora. Environ 1,7 million de Nigérians vivent à l’étranger. Comment les gérez-vous? Et prévoyez-vous des programmes pour garder vos citoyens, en particulier la population éduquée, qui est utile au développement du pays?
L’une des premières actions menées dans le cadre de la 4D Diplomacy, au titre du volet relatif à la diaspora, a été d’évaluer les véritables attentes de cette communauté dispersée. Le Global Citizen’s Help Desk (Bureau d’assistance des citoyens du monde) a été mis en place pour répondre à leurs besoins consulaires. Pour gérer efficacement les quelque 1,7 million de Nigérians vivant à l’étranger, le gouvernement a également créé la Commission des Nigérians de la diaspora (NiDCOM). Mise en place dans le cadre de la loi de 2017, cette instance est chargée de «prévoir l’engagement des Nigérians de la diaspora dans les politiques, les projets et la participation au développement du Nigeria, et d’utiliser le capital humain et les ressources matérielles des Nigérians de la diaspora pour le développement socio-économique, culturel et politique global du Nigeria et pour des questions connexes». Alors que la NiDCOM a considérablement renforcé la gestion des Nigérians vivant à l’étranger et leur apporte un soutien international, le président Tinubu s’est investi en lançant une série de programmes et de projets qui doivent relever les défis nationaux importants. Il s’intéresse en particulier à la création d’emplois. Il tient à optimiser la créativité et le potentiel d’innovation de notre jeunesse. Donc, oui, il y a beaucoup de programmes en cours pour répondre aux besoins de la population formée dans le pays, qui est essentielle à la quête de développement de notre grande nation.