Zora Snake
Le chorégraphe et performeur camerounais crée des spectacles à la fois politiques, poétiques et spirituels, en croisant les disciplines. Il puise dans l’ancestralité, les rituels ou le hip-hop pour interpeller sur les questions de justice, de liberté, d’histoire coloniale.
Je suis né à l’ouest du Cameroun, au sein de la communauté des Bamilékés, qui ont bataillé pour l’indépendance du pays. La danse se transmet de génération en génération. Il s’agit d’un langage universel, un moyen de communiquer avec les ancêtres, avec le monde invisible, insaisissable, immatériel, sans frontière. La mort est le prolongement de la vie. Nous sommes véritablement liés à la nature, à l’univers. Je pense mes œuvres à partir de mon village pour parler de l’humanité et de ses blessures. L’ancestralité est très ancrée dans mon esthétique, mon travail, mon rituel. Elle me protège et m’accompagne. C’est aussi un guide, un fil conducteur pour serpenter dans l’univers.
Je me suis forgé en pratiquant dans la rue le hip-hop, une danse liée à l’histoire de l’esclavage, mais aussi à la libération, la fierté, et dont l’essence est en Afrique.
J’aborde l’art comme la boxe. Ma danse est un combat. Il faut travailler d’abord sur soi, sur son idéologie, avant de boxer à l’extérieur les conflits, les crises, les injustices, les discriminations, tenter de les panser. C’est aussi inspiré de la philosophie de l’Américain Mohamed Ali – la boxe pour s’affirmer en tant que Noir. Qu’est-ce que cela représente en tant que Camerounais de danser sur une scène contemporaine européenne? Danser est ma manière de tacher le visible, d’incarner avec fierté ce serpent. Le combat devient spirituel, transcende le politique.
Mon corps absorbe les inepties et les rêves de l’univers, ses crises et ses espoirs.
Le corps mue pour s’ouvrir davantage aux questions qui nous préoccupent. Pourquoi existe-t-on dans un monde si violent? Pourquoi résistons-nous par la non-violence, en laquelle on croit? Le corps est ce médium, ce médiateur, cet espace d’éclatement de toutes ces préoccupations, ces informations. Il est sacré, et c’est une matière politique, mais aussi poétique, ondoyante, omnipotente – corps-esprit, corps-âme, corps-physique.
Dans mes spectacles, tels L’Opéra du villageois ou Le Départ, je travaille les frontières, j’entremêle danse, performance, théâtre – des entrelacs situés dans ce basculement violent du monde. Je suis un serpent-caméléon, je n’entre pas dans les cases. Je torpille l’espace scénique: c’est là où je me sens le plus libre.
La transmission est essentielle. Aussi, j’ai créé le festival Modaperf (Mouvements, danses et performances) au Cameroun, un espace de rencontres pour éveiller les consciences, activer des réflexions sur l’état du monde, du pays, du vivre-ensemble, des frontières. Les thématiques émanent d’une discussion profonde avec la jeunesse. On mène une enquête d’analyse populaire, afin de comprendre les préoccupations de la société civile, sentir leurs besoins, leurs rêves, pour ensuite les amener poétiquement sur scène. Le dialogue s’active, les liens sociaux se renforcent. On rassemble, on réfléchit ensemble, on solidifie notre résistance – ce que le politique n’arrive pas à faire. Il faut l’implication des populations pour bâtir cet espace de réflexion, afin qu’il devienne un patrimoine camerounais. Modaperf est une plateforme de résistance, mais aussi d’élévation de l’esprit, le rêve d’un autre monde possible. Le continent bouillonne d’une envie folle de changement, de renouveau. C’est cette Afrique que l’on veut bâtir dès à présent. zorasnake.com